Chapitre 12 — Extraits du journal d’Elias Klein — 20 janvier 2039
Cela fait quelques mois maintenant que je me suis éloigné du laboratoire, que j’ai quitté cette vie qui était autrefois la mienne, cette vie dédiée à la quête de l’invisible, de l’indétectable. Il m’arrive parfois de repenser à ces moments, dans le silence de ma chambre, ou lors de mes longues marches solitaires. Ce silence m’enveloppe désormais tout entier, mais il est devenu un allié, un compagnon de réflexion. Je pense à cette dernière rencontre avec mes collègues, cette confrontation qui marqua la fin de tout : leurs regards, mêlés de scepticisme et de reproche, leur refus de voir la vérité qui m’apparaissait si clairement. Je pouvais entendre leurs pensées. Elias, il dévient fou, Le grand Elias Klein perd la boule. Mais à quoi bon continuer à essayer de leur faire entendre ce que j’étais le seul à percevoir ?
J’ai longtemps pensé que la science était un abri, une vérité objective. J’ai cru que les faits, les chiffres, les courbes étaient les seules choses qui comptaient, que nous pouvions toujours les manipuler, les analyser, les comprendre. Mais tout ça a changé le jour où j’ai compris l’oscillation. Cette matière, oscillante, réagissant à la conscience, non pas comme une simple réponse biologique, mais comme une interaction subtile, presque vivante. Ces fluctuations… ce n’était pas juste de la physique, c’était comme une conversation silencieuse avec l’univers, une réponse en miroir à la présence de vie. Cette découverte m’a happé, comme un tourbillon dont on ne peut s’échapper.
Je me souviens du jour où j’ai fait cette première observation. C’était après une longue série d’expériences qui visaient à isoler et étudier la matière noire. Ce type d’expérience était à la mode à l’époque. Tous les physiciens l’étudiaient. Je n’avais voulu y croire d’abord. Je me disais que ce n’était qu’une anomalie, un détail à écarter. Mais plus je testais, plus la réponse de cette matière devenait évidente. Et cette évidence est devenue ma prison. Car personne ne voulait comprendre. Je n’étais pas dans le droit chemin, ce n’était pas un phénomène que l’on pouvait expliquer avec des concepts classiques. Au contraire, il fallait plonger dans quelque chose de plus vaste, de plus incertain. Je savais que je n’étais pas prêt à renoncer à ce que j’avais entrepris.
Et puis, il y a eu cette réunion, cette confrontation avec mes collègues. Je les ai vus se détourner de moi, leurs regards de plus en plus froids, leurs doutes, leurs critiques. Ils ont été incapables de voir ce que j’avais vu. C’était comme si, à ce moment-là, une barrière invisible s’était dressée entre nous, une barrière de méfiance et de peur. Mais au fond, je savais que cela ne pouvait plus durer. La science avait toujours été mon refuge, mais ce que j’avais découvert n’avait pas sa place dans ce monde. La vérité qu’il fallait que je porte ne correspondait plus à ce que l’on attendait de moi.
La décision de quitter, de partir, ne fut pas un acte de révolte, mais un acte de survie. Je n’avais plus le choix. Il y avait quelque chose de plus grand qui m’appelait, quelque chose que je devais poursuivre, coûte que coûte, même si cela signifiait tout perdre. Et, dans un coin de mon esprit, je savais que je n’étais pas seul. D’une manière étrange, j’avais l’impression que l’univers m’écoutait. Une part de moi se disait que tout ce que j’avais découvert, tout ce que j’avais pressenti, pouvait ouvrir des portes sur un autre monde. Mais ce monde, il n’était pas celui des chercheurs rassurés par leurs protocoles et leurs méthodes bien huilées.
On disait que je n’était plus le même. Mais ce n’était pas tant moi qui avais changé, c’était le monde autour de moi, celui dans lequel je n’avais plus ma place. Et pourtant, je n’avais pas le choix. Je savais que je devais continuer. Mais comment leur expliquer cela ? Comment leur dire que je n’étais plus celui que j’étais, que j’étais devenu cette autre personne, guidée par une vérité plus grande que tout ce que j’avais connu ?
Je suis maintenant seul, plus seul que jamais. L’université et le laboratoire m’ont abandonné, mes amis m’ont tourné le dos. Non, j’ai quitté mes amis, mes confrères. J’ai abandonné ma vie. Pourtant, une part de moi se dit que ce vide, cette solitude, est précisément ce que je cherchais. Car, dans le silence qui s’installe autour de moi, je perçois cette vérité qui se dévoile lentement, presque imperceptiblement, à chaque battement de cœur, à chaque mouvement de la matière. Il y a cette interaction, cette résonance entre la matière et la conscience. Et je suis convaincu qu’il y a une intelligence cachée la dessous, une force, une présence silencieuse. C’est là, au centre de l’oscillation, que réside la vérité.
J’ai quitté tout ce que j’avais connu. Mais en quittant tout, j’ai ouvert la voie à un nouveau commencement, un commencement solitaire mais nécessaire. Tout ce que j’ai observé, tout ce que j’ai compris, n’était pas un simple accident de la science. Non. C’était la naissance d’un nouveau paradigme. Et il est temps que quelqu’un l’explore. Ce chemin, solitaire et ardu, est désormais le mien.
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