Chapitre 24 — Retrouver Klein

6 minutes de lecture

L’appartement de Gabriel était plongé dans une pénombre épaisse, seulement troublée par la lumière bleutée du terminal encore allumé sur la table basse.

Il n’avait pas allumé les lampes en rentrant. Il s’était laissé tomber sur le canapé, le regard fixé sur un écran où il faisait défiler les relevés d’Icare. Des chiffres. Des courbes. Des schémas cérébraux. Des vidéos du chimpanzé.

Rien qui puisse lui donner une réponse.

Il se sentait vidé. Comme si la suspension de l’expérience avait siphonné jusqu’à sa dernière parcelle d’énergie.

Mais il savait que ce n’était pas vrai.

Parce qu’une partie de lui était encore en mouvement.

Quelque chose en lui ne voulait pas lâcher.

La matière oscillante avait fait quelque chose à Icare. C’était une certitude.

Mais quoi ?

Et surtout… comment Klein pouvait-il l’aider à comprendre ?

Il passa une main sur son visage, chassant la fatigue qui s’installait dans ses tempes. Il devait le retrouver.

Il était le seul à pouvoir répondre à cette question.

Le seul à pouvoir lui dire ce qu’il avait vu.

Le nom d’Elias Klein s’afficha sur son terminal.

Gabriel fit défiler les dossiers qu’il avait déjà lus des dizaines de fois. Les carnets de Klein étaient éparpillés sur son canapé.

Il repris celui avec la note : Silence, Melk. Gabriel redressa légèrement la tête.

Il lança la recherche, ses doigts tremblants d’excitation. Une localisation apparut.

L’abbaye de Melk, en Autriche.

Son souffle se coupa légèrement.

Pourquoi un physicien aurait-il atterri dans un monastère bénédictin ?

Qu’est-ce qu’un homme qui avait passé sa vie à traquer l’invisible aurait bien pu chercher dans le silence ?

Un frisson lui remonta le long de la nuque.

Il tenait une piste.

— Tu veux sérieusement aller en Autriche avec juste ça comme indice ?

Sonia était debout, les bras croisés, appuyée contre le bureau de Gabriel.

Son regard passait d’un écran à l’autre, analysant les maigres éléments qu’il avait rassemblés.

Gabriel haussa les épaules, exaspéré.

— C’est mieux que rien.

— C’est aussi très probablement une fausse piste.

Il ne répondit pas.

Elle le connaissait trop bien pour ne pas voir l’obsession qui s’était installée en lui.

Alors elle soupira et s’assit sur le bord du bureau.

— Laisse-moi au moins t’aider.

Gabriel la fixa, surpris.

Sonia pianota sur son terminal et fit apparaître une nouvelle série de recherches.

— Si Klein a réellement disparu après 2041, il y a forcément une raison.

Elle fit défiler des données, cherchant des liens dans des bases que Gabriel n’avait pas encore explorées.

— Et si il a effacé ses traces, ça signifie qu’il n’a pas voulu être trouvé.

Puis elle afficha un léger sourire.

— Alors on va le trouver.

Le matin suivant, Gabriel boucla son sac.

Cléa avait réservé son vol pour Vienne.

Il ne dit rien à Stanislas.

Sonia lui envoya un message court.

“Fais attention à toi.”

Il fixa les lettres pendant plusieurs secondes, avant d’éteindre l’écran et de fermer les yeux.

Dans l’avion, Gabriel resta immobile, le regard perdu au-delà du hublot.

Un mélange étrange d’anticipation et de certitude lui pesait dans la poitrine.

Klein était vivant.

L’avion vibra légèrement lorsque ses roues quittèrent le tarmac mouillé de Genève. Gabriel resta immobile, le dos calé contre le siège, les bras croisés, son regard perdu au-delà du hublot. En contrebas, la ville s’étendait comme une constellation ordonnée, un quadrillage de lumières froides traversé par des flux de trafic autonome, des véhicules aériens et terrestres circulant dans une danse millimétrée. L’écran tactile intégré au dossier du siège devant lui affichait son itinéraire.

Vienne. Puis un transfert en train jusqu’à l’abbaye de Melk. Une destination qui n’avait rien d’un centre de recherche. Mais c’était là que Klein avait disparu. C’était la qu’il s’était reclus.

Gabriel inspira profondément, tentant de calmer la tension qui lui nouait l’estomac. Le silence de l’avion, rythmé par le souffle feutré de la ventilation, lui laissait trop de place pour penser. Pour douter.

Il consulta son terminal. Les dernières recherches de Sonia étaient toujours ouvertes, des articles sur les disparitions volontaires, sur les scientifiques ayant quitté le monde académique du jour au lendemain, sur l’abbaye de Melk et son histoire.

Un lieu de savoir. Un lieu de réclusion. Un lieu de silence.

Gabriel fit défiler les photos du monastère. Un bâtiment massif, couronné de coupoles baroques, surplombant le Danube comme une sentinelle du temps. L’idée qu’un physicien comme Klein ait choisi cet endroit le troublait profondément.

Pourquoi ici ? Pourquoi le silence ? Et surtout… Pourquoi fuir ?

Un détail attira son attention sur l’une des images en haute résolution. Une mosaïque ancienne, incrustée dans l’une des alcôves du cloître. Deux figures stylisées, presque identiques, encadraient une porte sculptée dans la pierre.

Deux cercles.

Un trait vertical.

Un frisson lui remonta le long de la nuque. C’était ce que dessinait Icare. Il serra les dents, son souffle s’accélérant.

Il effleura son oreillette.

— Cléa ?

Un léger signal retentit, la voix de l’IA s’adapta immédiatement au niveau sonore ambiant.

— Je suis là, Gabriel.

Il fixa le vide devant lui.

— J’ai l’impression de me jeter dans quelque chose que je ne comprends pas.

— C’est souvent ce que tu fais.

Un sourire fatigué lui échappa.

— Et si je ne trouve rien ?

Un silence. Puis Cléa répondit d’une voix neutre, mais posée.

— Tu trouveras quelque chose. Mais peut-être pas ce que tu cherches.

Il souffla, pressant son pouce contre sa tempe.

— J’ai l’impression de les abandonner.

— Sonia et Stanislas ?

— Oui.

— Ils savent pourquoi tu pars.

— Tu ne peux pas être l’ancre, Gabriel.

Il serra les dents. Parce que c’était exactement ce qu’il refusait d’admettre.

Il coupa la connexion et ferma les yeux.

La pluie caressait la verrière de l’aéroport, traçant des sillons éphémères sur le verre avant de disparaître. Gabriel récupéra son sac de voyage, le sang encore engourdi par les heures d’immobilité. Tout autour de lui, le monde s’agitait en flux calculés. Les annonces s’affichaient en hologrammes flottants, les passagers se dirigeaient vers leurs véhicules autonomes, les drones de livraison fendaient l’air sans un bruit.

Vienne était une ville d’ombres et de lumière, où l’ancien côtoyait l’ultra-moderne. Les bâtiments baroques, aux façades sculptées, étaient entrelacés de structures de verre et de métal, comme si le passé et le futur tentaient de coexister. Gabriel s’enfonça dans les couloirs de la gare souterraine, suivant les panneaux projetés à même l’air, et rejoignit la plateforme ferroviaire où l’attendait son train pour Melk.

Le train était presque vide. Gabriel s’installa près de la fenêtre, posant son sac à côté de lui. Les panneaux interactifs indiquaient un trajet d’une heure, longeant le Danube et ses courbes tranquilles. La nature s’étendait par vagues silencieuses, des plaines brumeuses se succédant sous le ciel d’un gris profond. Les vibrations du train résonnaient dans ses os, un battement lent et régulier, presque hypnotique.

Il consulta une dernière fois les notes de Klein. Et cette phrase, cette simple mention qui l’avait amené ici.

Silence, Melk.

Le train glissa sans un bruit à travers les étendues noyées de brume. Gabriel observa son reflet dans la vitre. Ses traits étaient marqués, ses yeux creusés par les nuits blanches. Il se demanda s’il faisait la bonne chose. Puis, lentement, il ferma les yeux.

Il aperçut Melk bien avant d’y arriver. L’abbaye dominait la ville, juchée sur son promontoire comme une forteresse ancienne, auréolée d’une présence écrasante. Les coupoles dorées se découpaient dans la grisaille, comme une relique d’un autre temps figée dans le monde moderne.

Gabriel descendit du train, l’air glacial fouettant son visage. Il inspira profondément, son sac pesant sur son épaule. Puis il leva les yeux vers l’abbaye. Et une pensée lui traversa l’esprit. C’est ici que Klein s’est effacé. Et maintenant… C’était ici que Gabriel devait le retrouver.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lucien Thégust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0