Chapitre 2 (4)

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Le craquement se poursuivit et il sentit le sol basculer. La maison s’écroulait ! Non ! Elias hurla de toutes ses forces, s’accrochant comme il pouvait aux lourds meubles. Du bric à brac se fracassa sur lui jusqu’à ce que le tout cesse de bouger. Il ne pouvait pas rester là. Mais le dôme de la fenêtre était devenu inaccessible avec la maison penchée. Impossible de mettre un tabouret pour y grimper dessus. Elias avait perdu tout ses repères. Il tatonna jusqu’à retrouver l’emplacement de la porte dans laquelle il se glissa avec prudence. Et si le plancher s’était écroulé ? Et si l’escalier n’était plus là ? Il se laissa tomber à quatre pattes pour avoir à la fois plus de stabilité et d’assurance sur ce qu’il marchait. Il glissa ainsi jusq’aux marches de l’escalier. Ses mains s’aggripèrent aux barreaux de la rambarde et il descendit une à une, se maintenant sans cesse pour ne pas basculer dans le vide. Des marches penchées n’était vraiment pas facile à pratiquer. Il descendit un moment qui lui paru des heures jusqu’à ce que ses pieds touchèrent le vide. Le vide !

La terreur prenait le dessus. Comment savoir s’il pouvait sauter à proximité, si ce n’était que deux marches qui avaient disparu et que le reste de l’escalier se trouvait là ? Comment savoir quand on ne voyait strictement rien ? Qu’on vivait dans le rien, jour après jour ? Alors en désespoir de cause il hurla.

—Isaaaaaac !

Il hurla à en cracher ses poumons. Il hurla jusqu’à ce que sa voix se brise.

—Isaaaaaac !

Si son oncle avait dormi à proximité, peut-être se trouvait-il encore dans les parages. C’était sa dernière chance. Ou alors il allait rester coincé là, dans cette maison qui serait son tombeau.

—Isaac, sanglota-t-il.

—Saute, petit !

—Isaac ?

Des pas lourds craquèrent sur le sol. Des bruits de cailloux et de pierre ainsi que de bois brisés résonnèrent à ses oreilles. Les pas s’approchaient.

—Saute !

Mais cette simple commande était impossible pour Elias. C’était pire que de sauter dans le vide, au-dessus d’une falaise vertiginieuse, pire qu’un plongeon dangereux. Il devait sauter dans l’inconnu. Et ça c’était au-dessus de ses forces.

—J’peux pas !

—Si tu peux ! Saute j’te dis !

—Non, viens me chercher !

Les larmes remontèrent à nouveau et l’angoisse perça sa poitrine.

—Le trou est juste en-dessous de toi, j’peux pas grimper.

—Le trou ?

Sa voix se brisa sur l’aïgu alors que toute l’horreur décrite par les volatyls ses derniers jours lui remonta en pleine face. Un trou ? Chez lui ? Sous ses pieds ? Un nouveau craquement le fit hurler de terreur.

—Saute ! Droit devant !

L’escalier était en train de basculer à nouveau. Elias n’avait plus le choix. Son instinct de survie prit le dessus. Il lâcha les barres de la rambarde et bondit vers l’avant, dans un saut de l’ange, droit vers sa mort.

Des bras solides le rattrapèrent au vol. Il effectua une courbe dans l’air, perdant au passage une de ses chaussures. L’odeur de sueur d’Isaac le prit au nez alors que l’homme le faisait basculer sur son épaule comme un sac. Il le sentit bouger à grande vitesse. Derrière eux un gros craquement plus violent que les autres se déclencha et un tas de poussière le fit éternuer. Un peu plus et il y passait avec sa maison.

Isaac le posa comme un objet fragile sur un gros rocher. Elias se raccrocha à ses vêtements comme une moule à son rocher.

—Me laisse pas !

—Te faut des chaussures.

Il délia ses doigts de force et s’éloigna de lui. Elias ne pouvait même pas le suivre des yeux ni constater l’étendue des dégâts. Il n’était qu’une statue posée là en attendant que son propriétaire revienne. Des larmes de rage cette fois perlèrent à nouveau à ses yeux. Il se sentait tellement inutile, tellement incapable. Il ne pouvait aller nulle part. L’effroi de ce qu’il était en train de vivre le frappa de plein fouet. Sa maison. Détruite. Ses parents. Introuvables. Il n’était pas taillé par la survie ! Déjà sortir pour une simple promenade était impensable alors se déplacer dans un monde qui perdait les pédales !

Sa respiration s’accéléra, il n’arrivait plus à se contrôler. Autour de lui, il n’entendait que cris, destruction, rien de rassurant.

— Isaac ! cria-t-il en vain. Isaac !

Sa voix cassa dans les aïgus, mais il ne put s’empêcher de hurler de plus en plus fort, hurler sa paniquer.

— Isaac ! Isaac ! Isaac !

Des larmes bloquèrent ses mots, sa gorge ne suivait plus. Il perdait pied. Il s’agenouilla pour donner moins de prise au vent qui continuait de le frapper. Il cherchait son air. Il n’arrivait plus à respirer, ni même à crier, tellement les pleurs envahissaient son corps. Secoué de soubresauts, il hurla de sa voix déraillée :

— Isaac !

— Tiens, tiens… un gamin perdu.

Une voix nasillarde coupa ses cris. Il ne pouvait cependant s’empêcher de continuer à pleurer, cherchant l’air qui lui échappait. Son corps se mettait à trembler. Il ne connaissait pas cette personne. Ni son odeur de rouille, ni son haleine fumée.

— Gamin, gamin, il doit avoir plus de dix ans ! répliqua une voix de fille, dont les accents prouvaient qu’elle n’était pas d’ici.

Son parfum collant se mélangeant à l’homme. Elias sentit une main passer devant ses yeux, au coup de vent qu’il ressentit soudain.

— Il est aveugle, le grand gamin.

—L’a pas l’air de posséder grand-chose.

Des doigts s’aggripèrent soudain à lui tandis que d’autres mains fouillaient dans ses poches. L’odeur de rouille s’insinua dans ses narines et le fit réagir. Il se débattit pour les repousser. En vain. Des ricanements répondirent à ses efforts puérils.

Soudain, les prises sur son corps se relachèrent. Ce fut au tour de ses agresseurs de hurler. Un bruit d’éclaboussure retentit et il fut aspergé de gouttes d’eau. Une grosse main bourrue essuya ses larmes. Isaac.

—T’as rien ?

Au moins, sa crise d’angoisse avait cessé, engloutie par la peur qu’il avait ressenti devant l’agression. Jamais on ne l’avait forcé ainsi à se mouvoir. Il se sentait faible, terriblement inutile. Un fardeau à porter.

— Laisse-moi ici, supplia-t-il.

Il y a cinq minutes, Elias hurlait pour ne pas rester seul et maintenant il était prêt à abandonner plutôt que de devoir évoluer dans un univers inconnu. Isaac lui mit les chaussures dans les mains et le laissa les enfiler avant de répondre enfin :

— Pas tant qu’on aura pas retrouvé tes parents.

Sourd à ses protestations, Isaac le jeta en travers de son épaule et repris sa marche dans l’eau. Un vent frais se mit à souffler, signe que la nuit n’allait pas tarder à tomber. Elle charriait des relents de peine et de souffrance, bien éloignée de l’apaisement d’une fin de journée de travail. Son monde réduit venait de voler en éclats.

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