Chapitre 8
Le retour se fit en silence.
Lemoine était au volant, l'air agacé. Mais Amélia savait qu'il finirait par lui pardonner.
— Tu sais que je ne pouvais pas faire autrement.
Lemoine ne répondit pas, le regard concentré sur la route, son ressentiment seulement trahi par ses sourcils froncés.
— Franck, tu l'as dit toi-même, il faut l'arrêter.
L'homme soupira.
— Oui, mais ce n'est pas à toi de le faire. Tu n'es pas ici pour ça.
La jeune femme sourit.
— Considère ma venue comme un signe du destin. Combien de chance y avait-il que je sois ici, alors qu'un tueur...
— C'est Arnaud, la coupa le policier.
Elle l'interrogea du regard.
— Vallée. C'est lui qui a demandé au commissaire une formation en profilage, il se sentait dépassé par tous ces événements et il pensait que ça pouvait nous aider. Je le soupçonne même d'avoir cité ton nom.
La jeune femme s'enfonça dans son siège.
— Il a eu raison.
Lemoine ricana.
— Bien sûr, ça t'arrange bien! Tu es censée décrocher mais encore une fois, tu pars à la chasse aux monstres. Tu ne peux pas t'en empêcher, c'est plus fort que toi ! Ça finira par te détruire...
La jeune femme garda le silence.
Lemoine avait tort, elle l'était déjà, détruite, à cause de l'erreur qu'elle avait commise à Boston.
L'enquête sur L'Écorcheur était un moyen pour elle de se rattraper, et peut-être était-ce la raison pour laquelle Vallée avait autant insisté pour qu'elle intervienne.
Il lui offrait une chance de rédemption.
Mais ce meurtrier était un mystère pour la profileuse.
Elle savait que ses crimes étaient liés à l'immense colère qu'il ressentait envers une femme. Mais pourquoi la détestait-il autant? Qu'avait-elle bien pu lui faire? L'avait-elle rejeté, abandonné? Avait-il été maltraité par cette personne?
Cela avait un rapport avec le viol, elle en était certaine. L'Écorcheur ne violait pas ses victimes par besoin ou par perversité. Il n'en retirait aucune satisfaction sexuelle. Non, il le faisait pour lui adresser un message, elle le sentait.
Cette femme, que ses victimes représentaient, avait peut-être abusée de lui et c'était sûrement ce qu'il essayait de lui faire comprendre à travers cet acte.
Elle en était à présent convaincue. Le tueur avait été victime d'abus sexuels par le passé et c'était la raison de sa rage.
Tout comme toi.
Son visage apparut dans son esprit.
Sa peau mate à l'aspect constamment sale, recouvrant ses joues émaciées, ses deux incisives supérieures cariées dépassant de ses lèvres charnues, ses cheveux épais parsemés de fines pellicules blanches résultant des restes du gel de la veille et ses yeux noirs la dévorant, remplis de désir malsain...
Autant de détails qui lui donnèrent la nausée et lui provoquèrent des frissons dans le dos, le long de sa colonne vertébrale.
Elle n'avait pas pensé à lui depuis des années, enterrant le souvenir de l'homme qui lui avait volé son enfance et son innocence au plus profond de son âme.
Elle était capable de regarder des corps mutilés ou démembrés sans sourciller, mais penser à lui la rendait malade.
Au plus profond d'elle, elle savait que sa capacité à comprendre les individus déviants venait du fait d'avoir grandie dans un environnement familial mêlant pervers narcissiques et obsédés sexuels.
Elle commençait presque à ressentir de la compassion pour L'Écorcheur, ce tueur impitoyable, sachant à quel point une telle enfance pouvait avoir des conséquences néfastes une fois adulte.
Cette affaire s'annonçait plus complexe que prévue, faisant resurgir les sombres ombres de son passé.
La voix de son mentor l'a sortit de sa torpeur.
— Tu es sûre que c'est ce que tu veux faire ?
— Comment ça ? Demanda-t-elle, d'une voix pâteuse.
— Te faire passer pour une étudiante. Tu es sûre que c'est une bonne idée ?
Elle secoua la tête, chassant au passage les images qui encombraient son esprit.
— Vu son âge et ses modes opératoires, il est forcément là-bas. C'est son terrain de chasse. S'il sait qu'on en a conscience, il pourrait accélérer le rythme de ses meurtres ou disparaître. On ne peut pas se le permettre. Et je suis la seule à avoir l'âge requis.
Lemoine pris une grande inspiration.
— Tu n'as pas parler des lieux dans ton profil...
— Parce que je n'ai aucune idée de ce que ça signifie. Pourquoi il change à chaque crime et ce que ces lieux représentent pour lui.
Elle posa son front contre la vitre, pour mettre fin à la conversation. Elle pensa au plan qu'elle avait élaboré avec les enquêteurs.
Oui, elle était sûre d'elle. Elle allait se faire passer pour une étudiante en médecine. Et débusquer l'Écorcheur là ou il se cachait.
Après avoir pris une douche et s'être préparée pour son premier jour en tant qu'étudiante, Amélia se dirigeait maintenant vers la Faculté de Médecine et de Pharmacie, située à 10min à pied de chez elle, sur le Boulevard Gambetta.
Arrivée devant l'établissement, Amélia l'observa en détails.
Un bâtiment central à la façade rouge regroupait, selon les panneaux, les bureaux de l'administration, le bureau du doyen et la bibliothèque universitaire.
Un autre, blanc, situé sur sa droite, était constitué des amphithéâtres, de la cafétéria et du restaurant universitaire.
Le bâtiment sur sa gauche et celui au fond était destinés à la recherche médicale.
Amélia se dirigea vers l'administration, elle devait récupérer les documents nécessaires à sa fausse scolarité.
Le service administratif était divisé en trois bureaux: celui le plus à gauche s'occupait des premières et deuxièmes années, celui du centre, des quatrièmes aux sixièmes années, et le dernier bureau gérait les étudiants du dernier cycle.
La jeune femme entra dans le bureau concerné et attendit son tour tandis qu'une fille blonde se disputait avec la secrétaire.
— Mais puisque je vous dis que je n'ai pas ma carte d'étudiante, je l'ai perdue!
— Mademoiselle Garnier, c'est déjà la deuxième fois que vous perdez votre carte cette année. Les cours n'ont repris que depuis deux semaines!
La blonde souffla et sortit du bureau telle une furie.
Amélia s'approcha de la secrétaire qui lui lança un regard hautain.
— Qu'est-ce que vous voulez? Lui demanda-t-elle sèchement.
La jeune agent pris sur elle pour ne pas lui lancer une réplique cinglante.
— Bonjour. Dit-elle en insistant bien sur le mot. Je souhaiterai récupérer mon dossier d'inscription. Je viens de la Faculté d'Iassy, en Roumanie.
Tout avait été réglé, au détail près. Amélia Downey, étudiante en médecine en Roumanie, venait faire son semestre en France, à la faculté de Médecine de Rouen. Les enquêteurs lui avaient créer un faux dossier scolaire et de faux papiers dans ce but.
— Votre nom?
— Downey, Amélia.
La femme fouilla parmi une pile de dossier et en tendit un à Amélia.
— Vous trouverez à l'intérieur votre emploi du temps, un plan de l'université, le règlement, etc etc...
Visiblement, la secrétaire était agacée et n'en avait rien à faire.
Amélia prit le dossier et sortit de la pièce, énervée. Les français et leur mauvaise humeur légendaire!
Elle marchait dans le couloir qui la menait dans le hall du bâtiment quand une voix l'interrompit.
— Salut!
La jeune femme qui s'était adressée à elle était la blonde de tout à l'heure.
— Tu es nouvelle c'est ça? Lui demanda-t-elle avec un grand sourire. Tu es en quelle année? Tu viens d'où? Tu veux faire quoi comme spécialité? La fac te plaît?
Amélia la dévisagea, l'air interloquée.
Cette fille lui donnait mal à la tête, elle posait beaucoup trop de questions.
Malgré son air enfantin, elle semblait énergique, comme si elle était montée sur piles.
— Amélia. Je suis en cinquième année.
La blonde frappa dans ses mains, surexcitée, un grand sourire se dessinant sur ses lèvres.
— Oh! Comme moi! On est dans la même promo! Viens je vais te faire visiter. Au fait, moi c'est Margot!
Tandis que la dénommée Margot lui attrapait le bras et l'entraînait vers l'extérieur, les paroles de Lemoine revinrent à l'esprit d'Amélia.
Nouer une relation avec une personne normale ne serait pas un problème pour elle, elle n'aurait qu'à laisser parler la blonde à sa place.
Margot poussa la porte vitrée et elles sortirent à l'extérieur.
L'agent se retint de pousser un cri de stupeur. Démasquer L'Écorcheur s'avérerait une tâche plus ardue que ce à quoi elle s'attendait.
Dans la cour intérieure de la Faculté, des milliers d'étudiants étaient rassemblés, buvant une boisson chaude, discutant ou fumant une cigarette.
Autant de suspects potentiels qu'elle allait devoir écarter de la liste.
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