Chapitre 9
- Mes amis sont là-bas, je vais te les présenter! C'est tellement rare de voir des nouvelles têtes!
Amélia ne parvint pas à se laisser gagner par l'enthousiasme de la blonde. Elle était bien trop préoccupée par l'ampleur du travail qui l'attendait.
Même si elle pouvait d'office éliminer les première, deuxième et troisième années de sa liste des suspects, cette dernière en restait néanmoins très longue. Il lui restait encore six promotions, comptant chacune environ 215 étudiants, ce qui faisait pas moins de 1300 personnes à analyser, étudier afin de savoir qui se cachait derrière ces crimes.
- Hey les gars, je vous ramène de la chair fraîche! Scanda Margot quand elles arrivèrent à proximité du petit groupe d'amis de celle-ci.
Cinq têtes, trois filles et deux garçons, se retournèrent vers elles.
- Elle s'appelle Amélia et elle vient de... D'ailleurs, tu m'as pas dit d'où tu venais? Demanda Margot en se tournant vers Amélia.
- Iassy, en Roumanie.
- Enchanté, moi c'est Aurélien.
Un des garçons lui tendit la main, un sourire n'atteignant pas ses yeux se dessinant sur son visage, dévoilant des dents jaunies par le tabac et parfaitement alignées.
Amélia le dévisagea. Il était de taille et de stature moyennes, ses cheveux bruns courts et bouclés étaient disciplinés avec une bonne dose de gel. Ses sourcils et sa barbe épaisse durcissaient les traits de son visage.
Tout en lui serrant la main, Amélia se dit qu'il avait sûrement des origines espagnoles ou portugaises.
- Ça, c'est Fatiha. Ici, tu as Pauline et Alicia, et à côté de toi, c'est Julien, qui est en sixième année, lui indiqua Margot.
- Comment tu trouves la fac? Lui demanda la dénommée Pauline. Ça doit te changer de la tienne!
Le mépris perçait dans sa voix mais Amélia ne releva pas.
Les étudiants français en Roumanie payaient 5000€ l'année pour avoir accès à un enseignement limité et dépassé dans des locaux spartiates, dépourvus de tout équipements médicaux de dernier cri.
- Je n'ai pas encore eu le temps de visiter...
- Je pourrais te faire une visite guidée si tu veux! Lui lança Aurélien en lui faisant un clin d'œil appuyé.
Il ne cessait de la regarder avec insistance et Amélia se sentit gênée, avec l'impression d'être nue face à lui, mais elle s'efforça de ne rien laisser transparaître.
Elle n'avait jamais été très à l'aise face aux individus du sexe opposé, maintenant ses distances, et le portugais pouvait lui lancer tout les regards aguicheurs possibles, il ne dérogerait pas à la règle.
Alicia, qu'on aurait presque pu confondre avec Pauline tellement les deux jeunes femmes se ressemblaient, pris la parole.
- Oh ça va, t'es lourd Auré! Fous lui la paix, elle vient juste d'arriver! C'est qui ton tuteur? Lui demanda la brune en se tournant vers elle.
- Mon quoi? Interrogea Amélia.
- Ton tuteur, l'étudiant qui est désigné pour t'accompagner et te guider pendant ton semestre. C'est sûrement inscrit dans ton dossier.
Amélia sortit la pochette cartonnée de son sac et fouilla dedans, à la recherche de l'information.
- Alors, c'est écrit ici que c'est... Liam Dieuvhat.
- Ah... laissa échapper Margot.
Amélia détacha son regard de la feuille pour les poser sur le petit groupe. Fatiha levait les yeux au ciel tandis que les deux fausses jumelles s'échangeaient des regards lourds de sous-entendus et qu'Aurélien grimaçait.
Seul Julien, le brun aux faux airs de Zac Efron, ne semblait pas réagir à cette annonce.
- Quel est le problème avec lui exactement? Leur demanda la jeune agent.
- Avec Liam? S'emporta Margot. Ce mec est le problème! Arrogant, prétentieux, il se prend littéralement pour Dieu, comme son nom l'indique! Pour lui, si tu ne fais pas parti des premiers du classement, tu n'es rien! Il est méprisant, ce mec est un véritable connard!
- Si tu n'es pas parmi les meilleurs, il va t'ignorer, ajouta Fatiha. Autant te dire que tu as peu de chances d'avoir un tuteur.
La maghrébine sembla se rendre compte de ses paroles car elle reprit.
- Désolée, ce n'est pas contre toi mais les facs roumaines... Et Dieuvhat est le genre de mec qui ne laisse rien passer. Une seule mauvaise réponse et il va te jeter comme une merde.
- Je me ferais un plaisir de le remplacer! Plaisanta Aurélien.
Les filles se mirent à rire tandis qu'Amélia se réjouissait intérieurement de pouvoir échapper à son chaperon. Elle ne pourrait pas travailler efficacement avec quelqu'un sur son dos, à surveiller ses moindres faits et gestes.
La matinée avait été des plus longues.
Amélia n'avait strictement rien compris au cours sur la neurologie auquel elle avait assisté, les notions de synapses, neurorécepteurs ou encore de plasticité synaptique lui étant totalement étrangères.
Mais en tant qu'étudiante infiltrée modèle, elle se devait d'assister aux cours.
Cela lui avait au moins permis de pouvoir analyser les hommes de sa promotion. Au vu du comportement de chacun, elle avait commencé à noter les noms des individus dont il faudrait creuser le profil.
Aurélien Da Costa était le premier nom qu'elle avait inscrit.
Le jeune homme provoquait un malaise inexplicable chez l'agent, sensation qu'elle avait ressentie à chaque fois qu'elle s'était trouvée face à un suspect qui s'avérait coupable.
Le portugais correspondait à plusieurs points du profil de l'Écorcheur qu'elle avait établi: il était parfaitement intégré, sociable, il aimait attirer l'attention sur lui et était incroyablement prétentieux, trait de caractère qui, après seulement une demi-journée en sa présence, tapait déjà sur les nerfs d'Amélia.
Après leur déjeuner au restaurant universitaire, le petit groupe était monté à la bibliothèque pour étudier.
Amélia s'était installée à une table au fond de la BU avec Fatiha et Margot.
Cela faisait maintenant deux heures qu'elle faisait semblant de travailler, ressassant sans cesse les éléments de l'enquête dans son esprit.
Elle leva la tête et mordilla son stylo en réfléchissant aux pistes éventuelles qu'elle pourrait trouver. Mais elle ne pouvait pas poser de questions aux étudiants sans risquer d'éveiller les soupçons.
Un coup de coude dans ses côtes de la part de Margot la fit émerger de ses pensées. Un garçon, attablé un peu plus loin, venait de la prendre en photo avec son smartphone et était maintenant secoué d'un petit rire.
Les yeux dans le vague, perdue dans ses réflexions, Amélia n'avait pas remarquée qu'elle avait fixée son regard sur lui. Il devait penser qu'elle était en train de l'aguicher ouvertement.
Elle fut envahi par une vague de chaleur et tout en prenant son sac, fit signe à Margot qu'elle sortait fumer.
Elle sortit de la BU et descendit les deux étages qui la menait dans le hall, avant de pousser la porte et de se retrouver à l'extérieur.
Il y avait un distributeur dans le bâtiment des amphithéâtres mais Fatiha lui avait indiquée que si elle voulait avoir un café de qualité sans attendre trop longtemps, il fallait se rendre dans le bâtiment le plus au fond de la faculté, ce qu'elle fit.
Elle pénétra dans la pièce rectangulaire au rez-de-chaussée vide, comme le lui avait dit Fatiha, dans laquelle trônaient quelques petites tables circulaires et une machine à café.
Elle attrapa quelques pièces dans son sac qu'elle abandonna sur une des tables et se dirigea vers la machine, dans laquelle elle inséra sa pièce qui fut immédiatement rejetée.
Déjà à bout de nerfs, elle prit sur elle pour ne pas céder à la colère. En temps normal, elle savait rester maître de ses émotions mais cette ville lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Et si cette machine ne lui donnait pas rapidement un café, elle ne garderait pas le contrôle très longtemps.
Elle mit sa pièce une deuxième fois et la machine l'accepta. Amélia tapa le numéro de sa commande sur le clavier mais rien ne se produisit.
À bout, elle commença à taper sur l'appareil.
- Mais tu vas marcher, bordel de merde! Cria-t-elle.
- C'est sûr qu'en la cognant, elle va mieux fonctionner.
La jeune femme se retourna.
Le type de la BU était là, adossé contre l'une des tables. Elle ne l'avait pas entendu arriver. Depuis combien de temps l'observait-il?
Il resta planté quelques secondes à la détailler de haut en bas, quand enfin, les mains dans les poches de son jean, il s'avança nonchalamment jusqu'à la jeune femme.
Il tapa un nombre sur le clavier et appuya sur la touche entrée.
Un gobelet tomba dans le socle prévu à cet effet et l'eau commença à couler.
Une fois l'opération terminée, il prit le café et le tendit à Amélia qui l'accepta volontiers, sans quitter son "sauveur" des yeux.
Elle le dévisagea à son tour. Elle le reconnut. C'était le type de l'ascenseur, le soir où elle était arrivée en France. Elle se détendit un peu à ce souvenir, il lui avait fait plutôt bonne impression cette fois-là.
Il était plutôt séduisant. Son teint pâle contrastait avec la noirceur de ses cheveux en bataille, ses traits étaient fins et ses yeux bleu vert donnèrent envie à la jeune femme de se noyer dedans. Il faisait une tête de plus qu'elle et on pouvait deviner ses muscles saillants à travers son t-shirt.
- Tu devrais arrêter de me mater comme ça, ça pourrait devenir gênant, dit-il, un sourire en coin se dessinant sur ses fines lèvres rosées, dévoilant une fossette à leurs commissures.
Amélia sentit le rouge lui monter aux joues. Ce type était l'incarnation de son idéal masculin et elle ne parvenait pas à détacher son regard du sien.
- Je ne te matais pas, lança-t-elle, pleine d'aplomb et bien décidée à ne rien lui montrer du trouble qu'il provoquait en elle.
Il s'avança de quelques pas, réduisant la distance qui les séparait, si bien qu'elle pouvait presque sentir son souffle chaud sur son visage et que son parfum envahit ses narines.
Elle sentit son cœur s'emballer dans sa poitrine, ses jambes menaçant de la lâcher à tout moment, tandis que l'homme ne la quittait pas des yeux.
- Vraiment? Murmura-t-il. J'ai pourtant une photo qui prouve le contraire...
- Tout à l'heure, j'étais simplement en train de réfléchir, répliqua-t-elle.
Il soutint son regard quelques instant et se recula en soupirant.
- Dommage...
Il lui adressa un dernier regard et sortit de la pièce, sans se retourner.
Amélia se détendit. Il avait provoqué une tension intense en elle en très peu de temps.
Elle sortit à son tour, s'alluma une cigarette et attendit patiemment que son palpitant reprenne un rythme normal et régulier.
Le reste de la journée était passée à une lenteur incroyable et, épuisée après autant d'inactivité, Amélia était enfin rentrée chez elle. Elle commençait à se demander si cette infiltration était vraiment une bonne idée ou si elle ne perdait tout simplement pas son temps.
Après avoir maigrement dîner, elle se décida à appeler son collègue Dereck sur Skype. Elle était en train de fouiller dans son sac pour prendre son pc quand un petit rectangle blanc au fond attira son attention.
Elle l'attrapa et l'examina. C'était une enveloppe blanche sur laquelle était noté : "Agent Spécial Downey".
Piquée par la curiosité, elle l'ouvrit et lut la lettre qu'elle contenait:
" Chère inspectrice,
Quel plaisir d'enfin pouvoir vous rencontrer!
Votre visite me réjouit au plus haut point!
Au vu de vos récents exploits, je suis bien obligé de me sentir honoré qu'une enquêtrice de votre stature soit affectée sur l'enquête dont le but est de conduire à mon arrestation.
Cela annonce des semaines à venir des plus divertissantes.
Avez-vous pu admirer mes œuvres?
Je ne doute pas un seul instant qu'une femme telle que vous n'ait pas réussie à déchiffrer les messages de mes actes.
Me pensez-vous fou chère inspectrice?
Croyez-vous réellement qu'un homme puisse commettre de telles atrocités car il a manqué de l'amour de sa mère ou de sa dernière petite amie?
Vous imaginez-vous objectivement meilleure que mois? Plus intelligente peut-être?
Mais dans ce jeu, c'est encore moi qui mène la partie.
Je sens que vous et moi, nous allons bien nous amuser ensemble.
Je me languis déjà de vous revoir, essayant de vous mêler à la foule des étudiants pour essayer de me débusquer.
Je suis tellement proche et tellement loin à la fois.
Avec toute ma considération.
L'Écorcheur"
Amélia n'en crut pas ses yeux.
Ce taré avait réussi à glisser cette lettre dans son sac à son insu, ce qui signifiait qu'à un moment de la journée, elle s'était retrouvée près de lui.
Mais elle avait croisé des étudiants toute la journée en cours, à la BU, au RU, dans les couloirs... Cela pouvait être n'importe qui.
Mais ce qui inquiétait encore plus Amélia, c'est que L'Écorcheur savait précisément qui elle était.
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