Chapitre 4°) Le Musagète
Il fallut un moment avant que les négociations ne soient terminées, sans même avoir été entamées. Les deux femmes n'arrivèrent malheureusement pas à un accord :
- Si j'étais encore une monstresse, je pourrais conclure un pacte, mais bon, on se contentera d'un accord tacite.
- C'est quoi, ce machin, accroché dans mes fringues ? demanda la jeune femme qui espérait ne pas se faire escroquer au cours des négociations.
- Pfff... Une babiole. C'est juste un artefact qui permet de communiquer, une version primitive de vos téléphones... Ah! Donc... Ça veut dire que quelqu'un avait envoyé l'épouvantail et le gros mastoc. répondit la jeune femme qui prit l'objet dans sa main
- Dis... On peut retourner à la fac, s'il-te-plaît... Jake doit s'inquiéter ? On pourra négocier après.
La femme qui fut autrefois une divinité païenne prit l'avant-bras de sa nouvelle amie en main.
Ania incanta un nouveau sort dont la rune était connue de Manuela.
Le rayonnement bleuté fit disparaître le décor de l'appartement de la conjuratrice pour le remplacer par celui du marécage.
- Ah ben, vous étiez où ?
La police était déjà sur place.
Les techniques d'investigation des agents de la paix Zoryais surprirent les deux sorcières. Où étaient les voitures?
- Des cartes de tarot? Des aiguilles de divination ? Un pendule ? On dirait la librairie de mon ancien magasin... réagit Manu en empêchant Ania de rire.
- Et encore... Dans ton magasin, les sorciers peuvent trouver du vrai matériel. Maintenant que vous êtes revenues, fuyons, j'ai pas envie de subir ces clowns. soupira Jake.
Le sorcier roux ne laissa même pas ses amies réagir. Il venait lui aussi de conjurer un sortilège.
Tout en soufflant, Jake laissa Ania découvrir la montagne où il l'avait déjà emmenée.
Le groupe se trouvait dans le hall d'accueil du bureau. Comme il y avait moins de monde que tout à l'heure, Manu découvrit que c'étaient huit arbres qui décoraient ce monde de diamant et d'ivoire.
Les passerelles qui reliaient les étages montraient plusieurs créatures. Ce n'étaient plus les mêmes passants.
- Tiens, il y a des mortels sans pouvoir, ici? nota Ania.
- Oui, la "Flèche de Fer" ne ment pas sur ses attentes. Manu, Yassine devrait avoir terminé sa performance, tu peux aller le voir dans la salle 137... Premier étage, par là. répondit Jake en regardant Ania. J'ai des coups de fil à passer.
Le sorcier aux yeux de jade partit vers son bureau. Il laissa les deux jeunes femmes chercher la pièce sélectionnée.
- C'est quoi, exactement, la "Flèche de Fer"? demanda Manuela.
- D'après ce qu'on m'a dit, c'est une association qui fait le lien entre les trouducs de Zorya et le reste des communautés humaines et magiques. répondit Manuela.
- J'comprends pas.
- Zorya, c'est la ville où se trouve l'université où tu te fais agresser et cette montagne...
- Euh... Un marécage et une montagne dans une même ville? réagit Manuela.
- MANU! fit une voix masculine.
Un jeune homme portant une tenue de danseur de feu, soit uniquement un pagne de feuilles assorti aux bracelets de ses chevilles et poignets, arriva en courant.
Yassine ne put pas laisser sortir le moindre autre mot, le cristal rose du médaillon se mit à briller, une voix féminine en sortait:
- Au secours... À L'AIDE !
******
- Bon, tes "amis" ont dit qu'ils parlaient aux force de l'ordre ou une c*nnerie du genre, on va donc pouvoir négocier.
La situation dépassait Ania Dolorès et Manuela Tobias, elles le savaient. Même pour quelqu'un comme l'ex-divinité, tout ceci était absurde.
- Notre réincarnation, ces deux créatures et ces histoires de "Résurrecteur", ça commence à faire beaucoup en une journée. Pour commencer, il va falloir que nous nous fassions confiance, Manuela !
- Bien obligée... lâcha la jeune femme intimidée.
- Voilà ce que je te propose, nous allons prendre deux jours. On explique que le traumatisme nous force à nous détendre et à décompresser et là, on s'aide. Tu me fais comprendre ce que j'ai manqué et je te fais découvrir le monde paranormal. Les garçons comprendront qu'ils ne peuvent pas nous parler de l'avancée de l'affaire dans ces circonstances...
*****
Le soir venu, Ania et Manuela avaient trouvé le moyen de discuter entre femmes adultes et responsables.
Elles se trouvaient à présent sur une plage à Hawaï, entourées des employés d'un hôtel, chacune des deux sorcières étendue sur un transat profitait du coucher de soleil, un chapeau de vacances sur la tête, les lunettes de soleil sur le nez.
- Comment tu as fait pour nous payer ça? demanda Manuela
- Je suis allée dans les abysses, j'ai cherché un trésor, j'ai défoncé le kraken qui voulait me le piquer, j'ai échangé le trésor à un mec contre sa carte de crédit et je lui ai promis de pas révéler à sa femme qu'il la trompait, du coup, il nous a offert cette soirée.
- Ah... Ça a l'air basique pour toi...
- Écoute, Mannie, pendant plus de cinq-mille ans, ma famille a su s'infiltrer parmi les mortels, je maîtrise pas tout, mais je sais comment vous fonctionnez. J'ai appris que certaines personnes ne mangeaient pas de porc, mais comme ton haleine sentait le poulet, je me suis dit que tu n'étais pas végétarienne, donc je nous ai commandées du porc kalua avec un substitut.
- C'est sûr que là, je suis tout à fait apte à entamer les négociations. Personne ne viendra nous déranger?
- Si quelqu'un arrive, mes pouvoirs me le signaleront. Ne t'inquiète pas. Quant au livreur, il ne parle pas cette langue.
La capacité d'adaptation de l'ex-divinité surprenait Manu.
- Si j'avais un jour imaginé que je passerais une soirée comme ça...
- Par contre, je pars après le dîner. Mon oncle se trouve sur cette île, j'aimerais le rencontrer, tu n'as qu'à profiter de l'hôtel sans moi.
- Comment tu sais ça? remarqua Manu.
- Eh bien, disons que je connais mon tonton. Quoi qu'il en soit... Tout ce que tu as à faire, ici, c'est prendre le temps de réfléchir, sans que personne ne te dérange, et si jamais un nouveau monstre vient te donner un collier ensorcelé qui crie à l'aide, je le saurai immédiatement.
*******
Les habitants de cette planète ne me connaissaient pas, ils avaient de la chance.
Pour eux, les mystérieux voyageurs de l'espace ressuscitant les morts et les bureaux remplis de monstres n'existaient pas.
Les mortels ignoraient qu'une jeune femme s'était fait agresser par deux morts-vivants. Ils ignoraient qu'une communauté toute entière était chamboulée par mes décisions.
À Hawaï, sur une petite île touristique, un chanteur était en train de déchaîner sa foule.
Le costume du jeune homme représentait le dieu Grec Apollon.
Les spectateurs et spectatrices hurlaient et dansaient en écoutant et en admirant leur idole.
Usil n'avait pas encore la vingtaine qu'il avait déjà su captiver tout le stade.
Ania comprenait les mortels, même certaines créatures magiques étaient tombées sous le charme du musicien.
Le rock était une musique qui lui plaisait bien, elle aurait aimé la découvrir plus tôt.
Usil possédait des cheveux blonds très pointus, deux yeux bleus comme les saphirs.
Sous sa peau bronzée, apparaissaient une silhouette plus large et musculeuse que celle d'Yassine, en particulier au niveau des bras.
La lumière enveloppait le chanteur. Ce spectacle pyrotechnique donnait l'impression qu'il était aspiré par les éclairs lumineux.
Au bout d'un moment, alors qu'il entamait une étrange danse en faisant bouger ses bras se bas en haut, Ania ne put se retenir de prendre en photo Usil.
Le visage du chanteur s'assombrit en découvrant la jeune femme perchée sur l'un des camions de l'équipe technique.
Ses fans, eux, ne pouvaient pas savoir que la vue du jeune homme portait aussi loin.
Une fois le concert terminé, Usil se rendit dans sa loge, il était gêné de se présenter à Ania en ne portant que ce déguisement de scène :
- C'est un de tes fans, Yassine Taka, qui m'a permis de te repérer. Et à ce que je vois tu l'as bien inspiré...
- Je peux savoir depuis quand tu ne te réincarnes en simple "Angane", Ania? demanda le jeune homme en verrouillant la porte.
- Justement, c'est pour ça que je suis venue, j'ai besoin de toi, tonton. Au passage, je me demandais si c'était raisonnable de ne pas garder mon identité secrète, mais toi, tu fais encore moins d'efforts, Usil!
- Apollon! C'est sous ce prénom que les mortels me connaissent, ma chérie. répondit l'oncle en fronçant les sourcils.
Le chanteur se changea donc, un claquement de doigts suffit à le nettoyer et à magiquement remplacer ses vêtements de scène par un débardeur et un short.
- Enfin, les parents de l'humain que tu vois l'appellent Paolo Raybeam. précisa le jeune homme.
- Tu aurais pu faire un effort pour trouver le nom... Remarque, je me suis pas trop cachée.
- Tu te doutes que ce sont les parents que j'ai évoqués qui ont choisi le nom. répondit un Usil moqueur.
Ania exposa donc sa situation à son oncle qui ne but rien, il aurait risqué de recracher sa boisson. Le chanteur attendit la fin de l'histoire pour s'exprimer :
- Et si c'était quelqu'un qui voulait se venger de ta mère ?
- Voyons, réfléchit oralement la jeune femme. Peu probable... Les gens savent à quel point Éris est dangereuse. De plus, j'ai un suspect évident !
- Laisse-moi deviner: Zombi!
- Qui? fit la nièce en haussant un sourcil.
- Ben, tu sais... Le “Résurrecteur”, quoi! lâcha l'oncle.
- Ah... C'est quoi, ce nom? "Zone-Bi"?
- C'était une ancienne divinité Africaine, les humains ont même donné son nom à leurs serviteurs... Et maintenant, ce nom désigne les morts-vivants mangeurs de cervelles.
- Non, ça c'est un Örek! réagit la sorcière à la mèche.
- Si tu n'aimes pas l'évolution du mot "zombie", attends de voir ce que les mortels appellent "multivers"... C'est à pleurer. Enfin, pour en revenir au "Résurrecteur", on suppose qu'il s'agit de Zombi, parce que ce dernier ressuscite les morts et que tous les témoins qui l'ont vu parlaient d'une couleuvre blanche.
- Oui, mais y a pas que ça. Nous savons tous les deux QUI pouvait ressusciter les morts! rétorqua Ania en appuyant le sous-entendu.
- Mon fils n'a rien à voir là-dedans ! Ça fait des siècles qu'il ne s'est pas réincarné ! grogna le jeune homme.
- Asclépios n'est peut-être pas concerné, mais c'est lui qui a découvert le maléfice de résurrection.
Apollon était probablement l'une des divinités les plus populaires du panthéon de la Grèce Antique.
Les mortels voyaient en lui le "dieu de la lumière et de la vérité"...
L'ancien Porteur du Soleil restait encore un sujet d'idolâtrie et de fascination pour ses admirateurs et admiratrices et pas seulement ceux et celles qui se rendaient à ses concerts sans savoir sa véritable nature.
D'autres ne retenaient que ses erreurs, car s'il avait perdu deux fils et un fiancé, plusieurs femmes et nymphes lui ont voulaient encore.
Cassandre...
Daphné...
Avant d'aller plus loin, le jeune homme regarda ses pieds. Il serra son bras et posa une question
- Comment va Yassine?
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