Une terrible vérité

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Rose le rejoignit et ils traversèrent le village à cheval. Aaron scrutait le ciel qui s’assombrissait de plus en plus. Il frappa la croupe de son étalon pour accélérer la cadence. À l’orée d’un petit-bois, il descendit de cheval. De nombreuses questions tourmentaient Rose, mais ce n’était pas le moment de les poser. Légèrement en retrait, elle l’observa dessiner son pentagramme et en faire le tour.

- Où que tu sois, je te trouverai ! Grogna Aaron.

Il balaya son dessin de la main, puis se déplaça en chuchotant des mots étranges.

- Pourquoi ne pas l’avoir poursuivi, puisque vous êtes capable de voler ? Questionna Rose.

Aaron partit ramasser quelques branches d’arbre bien sec et alluma un feu.

- Pourquoi le laissez-vous commettre ces atrocités sans intervenir, je ne comprends pas !

- Parce que votre présence m’en empêche. Répondit-il, la voix cassée.

- Ma présence ? Rétorqua Rose, surprise par cette réponse insensée. Très bien ! Sans tarder, je repars pour le château du comte. Ainsi, vous ne m’aurez plus sur le dos !

- Je vous en empêcherai.

- Vous devez absolument l’empêcher de nuire. Pourquoi tenez-vous à me mettre à l’abri ?

- J’ai une dette envers vous…

- Arrêtez ! S’écria-t-elle. Ce n’est qu’un prétexte. Vous me voulez en vie, et bien sûr chaste ! Pourquoi ? Ferais-je l’objet d’un sacrifice ?

Aaron lui lança un regard sévère. Bien qu’amusé par tant d’imagination et surtout de fougue. Mais il détourna la tête, refusant le dialogue.

- C’est donc ça ! Comment comptez-vous faire ? M’égorger, m’ôter les entrailles, me vider de mon sang, ou me donner en pâture à vos semblables ? Peut-être que vous visionnez déjà la scène et vous languissez cet instant.

- Ça suffit ! S’écria-t-il, les sourcils froncés. Je ne veux plus rien entendre !

- C’est la vérité qui vous fâche ?

- Je n’ai rien à vous expliquer ! Répondit-il en recouvrant un peu son calme.

Rose ne le quittait pas du regard. Il fouillait les braises, les yeux rivés sur les flammes. Elle avait besoin de savoir. Mais comment l’inciter à parler ? Et si tout ce qu’elle avait dit était proche de la réalité ? L’angoisse lui comprimait le cœur. Après tout, elle ne le connaissait pas et ne savait rien de sa mission. Alors, lentement, elle se leva, fit quelques pas autour de lui, puis prétextant un besoin pressant, elle s’éloigna tranquillement, jusqu’à être suffisamment loin pour s’enfuir à toutes jambes.

Après deux bons kilomètres, elle se trouva, hélas, en face d’une troupe de soldats accompagnée de deux moines Dominicains. Tous se regardèrent surpris. Un moine se leva et ordonna de la capturer. Les soldats n’eurent aucun mal à la mettre à terre et l’attachèrent solidement. La jeune femme se débattait, mais ils étaient bien trop forts et la traînèrent par les cheveux devant un des moines.

- Comme on se retrouve ! Dit Jean en retirant sa capuche. Le pape va être ravi d’attiser ton bûcher, sorcière !

Rose se débattit encore, mais à quoi bon !

- Emmenons-la ! Ordonna-t-il en faisant un geste de la main.

Sous le rire des hommes armés, elle se retrouva attachée et bâillonnée à la croupe d’un cheval. Elle regardait parfois en arrière, mais pas d’Aaron. Rien d’étonnant après ce qu’elle lui avait dit. Ils marchèrent des heures et la fatigue commençait à la gagner. Elle tomba à de nombreuses reprises, se laissant choir sur la terre meuble, mais les soldats la remettaient debout à chaque fois. Ils la voulaient vivante, et vaillante afin qu’elle puisse expier ses péchés devant le représentant du pape.

Le ciel était très sombre et la nuit ne tarda pas à tomber. Le convoi s’arrêta pour dresser le campement. Ils entreront au château le lendemain, dans la matinée. Rose se sentait perdue, elle avait abandonné tout espoir, et s’était résignée à son triste sort. Rien ne pourrait faire obstacle à sa mise à mort. Toute la soirée, elle pria le seigneur afin qu’il protège son âme et qu’il lui pardonne ses fautes. Puis éprouvée par cette dure journée, elle ne tarda pas à s’endormir.

Dans la nuit, elle sursauta en sentant une main se poser sur sa bouche. Elle se débattit, mais vit les yeux verts d’Aaron briller sous le crépitement des flammes du feu de camp. À terre, les deux gardes étaient morts, la gorge tranchée, et le ventre éviscéré. Elle eut un mouvement de recul, mais son ami lui remit la main sur la bouche et lui fit signe de se taire. Les yeux exorbités, elle lui adressa un signe de la tête. Il retira sa main, défit ses liens puis l’enjoignit de le suivre. Aaron la serra dans ses bras musclés et récita quelques mots incompréhensibles avant de s’envoler au-dessus du bois, jusqu’à leur campement. Il la déposa au pied d’un arbre et éteignit le feu afin de ne pas être repéré.

- Ne refaites plus jamais ça, Rose.

- Pourquoi ne les avoir pas tous tués ?

- Je ne suis pas là pour tuer et vous le savez ! Pourquoi vous êtes-vous enfuit ?

- Qu’attendez-vous de moi Aaron ? Et surtout pourquoi refusez-vous d’affronter Esios ?

Aaron resta silencieux. Il prit place à ses côtés et referma sa cape. Rose grelottait, l’humidité venait lui glacer les veines. Ils restèrent, un moment, sans parler. Puis Aaron lui proposa de venir profiter de la chaleur de son corps. Rose hésita, mais sachant que les températures allaient baisser, elle se lova contre lui. Il la saisit par la taille et la souleva pour la placer entre ses jambes, puis replia sa grande cape autour d’elle. Rose percevait cette douce chaleur qui émanait du corps de son ami et s’installa encore plus confortablement.

- D’où venez-vous, Aaron ?

Celui-ci leva les yeux vers le ciel assombri, puis fixa une percée dans les nuages épais et noirs.

- Voyez-vous cette petite grappe d’étoiles ? Dit-il en pointant du doigt la Petite Ours.

- Oui !

- Il y a une terre, un peu comme la vôtre qui s’appelle : Pthélia.

- Une terre comme la nôtre ?

- Oui, en fait, il en existe beaucoup que l’on peut voir quand le ciel est dégagé.

- Et vous venez de celle-ci ? J’ai peur de ne pas comprendre.

Aaron sourit.

- Et comment avez-vous fait pour venir jusqu’ici ?

- C’est un peu compliqué, je l’avoue. Il existe des apôtres, mais pas ceux de votre bible, dont le contenu n’est pas tout à fait exact. Mes apôtres, détiennent des pouvoirs immenses.

- La magie noire ?

- Non ! Aucun pouvoir ne vient des ténèbres. Il faut que vous arrêtiez de consulter la bible. Ce livre est rempli de mensonges grossiers.

- Alors dites-moi la vérité, Aaron. Je me pose tant de questions, et après ce que vous venez de me dire…

- Je comprends ! Coupa-t-il. Mais, le moment venu, je vous expliquerai tout. Retenez juste une chose : nous sommes dissemblables, Rose. Bien, il faut vous reposer, demain, nous avons de la route à faire.

- Ne pratiquez plus cette chose que vous faites pour m’endormir, s’il vous plaît.

- Je vous le promets, sur mon âme.

Rose s’engouffra un peu plus entre ses bras. Elle avait froid et la chaleur que dégageait son compagnon était insuffisante. Aaron replia les jambes de la jeune femme sous sa cape, mais rien y faisait, elle tremblait de froid. Alors, il lui saisit ses mains pour les poser l’une sur l’autre et mis sa main gauche dessous et l’autre au-dessus. Il prononça un mot et la magie opéra. Une toute petite flamme bleue vint scintiller au-dessus des mains de Rose. Elle n’éclairait pas, mais diffusait une douce chaleur. Surprise, Rose se mit à rire. Là, juste au-dessus de ses mains, une petite flammèche avait l’air de danser. Aaron retira les siennes, et la petite flamme continua à diffuser une douce chaleur.

- Vous pouvez retirer vos mains, Rose, la petite flamme continuera à vous réchauffer.

- C’est stupéfiant ! Combien d’autres choses pouvez-vous faire ?

- Beaucoup !

Rose retira doucement ses mains, et effectivement, la flamme poursuivait toujours sa petite danse. Aaron serra la jeune femme contre son torse, sentant son cœur battre à vive allure. Il effleura son visage et enfonça ses doigts dans la chevelure blonde. Rose haussa le menton et tous deux se regardèrent un moment. La jeune femme passa ses bras autour de son cou et le remercia d’être venu la chercher. Elle posa ses lèvres sur les siennes. Aaron sentit une vive émotion le submerger et se laissa aller à partager ce moment merveilleux. Ils s’embrassèrent passionnément, frénétiquement puis fougueusement, mais Aaron recula et tourna la tête.

- Ne refaites plus jamais ça, Rose. Dit-il, tremblant encore d’émotion.

- Je suis désolée, pardonnez-moi !

- Reposez-vous, demain, nous partirons très tôt.

Rose le regarda, un instant, puis se pelotonna contre son épaule. Aaron posa sa tête contre l’arbre et fixa les étoiles. Il soupira puis releva sa capuche.

****

Il était trop tôt pour que le soleil réchauffe la terre gelée. Dans le ciel, les nuages s’assombrissaient de plus en plus. Aaron scellait les chevaux, tandis que Rose cherchait un petit encas à grignoter, mais son sac ne contenait qu’une gourde à moitié pleine.

Ils chevauchèrent toute la journée, la faim les tenaillait. Sur toutes les collines, des victimes de l’inquisition mourraient crucifiées. Les plus résistantes réclamaient la fin de leurs souffrances. Aaron n’avait pas l’air de s’en soucier et bondissait à terre, régulièrement, afin de pratiquer son rituel. Esios, introuvable, se cachait quelque part.

En traversant un immense champ, ils distinguèrent une petite ferme d’où la fumée s’échappait de la cheminée. Ils avaient trop faim et n’avaient pas d’autre choix que de s’inviter. Assis autour d’une table, une humble famille partageait un modeste repas. Habillés de haillons, les visages noircis, et les corps maigrelets, ils toussaient fortement. Rose, compatissante, ne voulait pas les priver du reste de leurs réserves. Sur le pas de la porte, Aaron lui susurra à l’oreille qu’une maladie grave les avait atteints et qu’elle devait éviter de s’approcher trop près d’eux.

- Ne pouvez-vous pas intervenir ?

- Non Rose, sortez.

- Qu’allez-vous faire ?

- Adoucir leur fin de vie.

Dans les yeux de la jeune femme, des larmes perlaient. Aaron la repoussa doucement et referma la porte. Rose alla s’asseoir sur le puits et envoya le seau dans le fond. L’eau était trouble et sentait mauvais. Elle vida le contenu au sol et s’effondra en larmes. Toute cette misère lui était intolérable. Comment Dieu, pouvait-il laisser faire ça ? Subséquemment, elle s’agenouilla et pria pour le repos des âmes de cette famille.

Quelques instants plus tard, Aaron sortit, un sac en toile de jute plein de vivres. Sa compagne le regardait, se demandant ce qu’il avait bien pu faire. Mais mieux valait ne rien savoir. Ils remontèrent à cheval et partirent en direction de la forêt. Aaron fit une pause, alluma un feu, trancha un pain noir et sortit le jambon sec. Le silence était pesant et la sensation de faim intense. Rose espérait que les fermiers n’avaient pas souffert.

- Ils dorment ! Lui confia Aaron, et ne se réveilleront plus.

Rose laissa échapper quelques larmes. Quelle injustice, ces deux petits enfants auraient mérité une autre vie. Manifestement, ses prières n’étaient pas écoutées.

L’obscurité devint plus intense et l’humidité insupportable. Soudain, Aaron se redressa, le visage austère, les mains tremblantes. Rose sursauta et regarda autour d’elle. Il lui fit signe de s’éloigner, en lui criant d’aller se cacher au plus vite. Elle se précipita derrière un énorme rocher et se plaqua contre lui, pensant qu’Esios allait de nouveau frapper. Apeurée, elle se laissa glisser au sol, mais elle ne percevait rien. Que se passait-il ? Alors, elle s’agrippa au rocher et regarda discrètement.

Juste au-dessus de leur feu, une gigantesque fumée s’éleva dans le ciel. Rose ne comprenait pas, Aaron était à genoux, la tête baissée. Un grondement lui glaça les veines et brusquement un visage apparu. L’être, manifestement en colère, arborait des cheveux longs et grisonnants. Un long bouc ornait son menton volontaire.

- Aaron ! Dit celui-ci d’une voix grave, empreinte de reproches. Je t’avais fixé un délai et il est amplement dépassé. Où est Esios ?

- Je le recherche avec assiduité, mais il est insaisissable et les moines Dominicains me compliquent considérablement, la tâche.

- Tes excuses ne m’intéressent pas Aaron ! Extermine-les, s’il le faut, mais amène-moi rapidement Esios. Il doit répondre de ses actes, sinon, c’est toi que je vais exiler aux confins de l’univers.

- Oui, Judas, je vais faire de mon mieux.

Rose avait bien entendu, Judas ! Elle se plaqua contre le rocher. S’était-elle trompée depuis le début ? Paniquée, elle tenta de s’enfuir, mais glissa et chuta dans les cailloux.

- Défais-toi de cette mortelle, Aaron ! Cria Judas. Elle ne fait qu’entraver ta mission.

- Maître, je lui dois la vie. Répondit-il en se redressant.

- Serais-tu devenu faible, Aaron ? J’avais confiance en toi, non seulement, tu as laissé Esios descendre sur cette terre. De plus, tu brises un des traités que nous avions ratifié ! Je te laisse sept jours, si je n’ai pas Esios, c’est toi qui seras sanctionné.

Judas disparut sous un tremblement de terre et un vacarme épouvantable. Rose n’osait plus bouger, stupéfaite par ce qu’elle venait d’entendre. Aaron vint à sa rencontre, sachant parfaitement qu’elle avait tout entendu. Rose le fixa un instant puis s’en alla. Aaron la rattrapa et la tira vers lui. Elle se débattit, tentant vainement de lui assener des coups de pieds.

- Arrêtez Rose! Ordonna Aaron. Ne m’obligez pas à employer la force.

- Faites-le, qu’attendez-vous ?

Aaron l’agrippa par les épaules, et la plaqua contre un rocher.

- Laissez-moi, au moins, vous expliquer, ensuite, vous pourrez partir où bon vous semble !

- Vous êtes un traître, vendu à Judas !

La jeune femme lui asséna un coup de coude et se prépara à fuir. Aaron la saisit par sa robe et en un tour de main la plaqua au sol en la tenant fermement. Ses yeux cherchaient ceux de Rose, mais elle se garda bien de le regarder.

- Je vais tout vous dire ! Dit-il d’une voix caverneuse et apaisante.

- Vous êtes un menteur et un traître. Que pourriez-vous rajouter ?

- C’est faux, Rose. Je ne vous ai jamais menti ! Écoutez-moi. Ce que je vais vous divulguer représente la réalité.

- La vérité c’est que vous vous êtes vendu à Judas, l’homme qui a trahi Jésus.

- Non Rose, Judas n’est pas un traître. Bien au contraire ! Dans votre livre, Judas est appelé Iscariote, n’est-ce pas ?

- Oui !

- En fait, dans d’autres récits, on l’appelle Sikariot, le révolté.

- Où voulez-vous en venir ?

- Judas est un apôtre, non de Jésus, mais de Dieu en personne. Il a été envoyé pour escorter Jésus et non pour le trahir. Pourquoi l’aurait-il fait, puisque Jésus est l’un des nôtres.

- Quoi ?

- Jésus n’est pas le fils de Marie. Nous sommes tous, à quelque chose près, les enfants de Dieu, avec des parcours atypiques. Nous venons tous de planètes différentes, choisis grâce à nos pouvoirs. Lorsque Jésus avait décidé de venir en aide à votre peuple, comme nous l’avons tous fait durant une certaine période, Judas a assuré sa protection. Voilà pourquoi nous l’appelons le révolté. Et il a échoué face aux soldats de Ponce Pilate. Lorsque votre peuple a cloué Jésus sur la croix, qui a-t-on envoyé pour abréger ses souffrances ? Esios ! C’est là, que Judas a demandé qu’un traité soit ratifié, afin que nul apôtre ou élites ne reviennent ultérieurement, sur terre.

- J’ai peur de ne pas comprendre !

- Abraham, Moïse, Jésus et bien d’autres sont venus à votre aide. Mais votre peuple était assoiffé de pouvoir et d’argent et nous n’avons rien pu changer. Vous représentez une cuisante défaite pour tout l’univers. Aucune planète habitée n’est autant affectée par cette soif de domination qui vous pousse à détruire, humilier et asservir la race humaine.

- C’est faux !

- C’est la vérité, Rose. Dans votre bible, il est écrit : tu ne te prosterneras pas devant des idoles ?

- Oui, c’est dans l’ancien testament où l’énumération des dix commandements résume la loi de Dieu.

- Exact, et que font vos hommes d’église ? Il est écrit également : tu ne tueras point ou encore : tu ne convoiteras pas le bien d’autrui…. Mais que font vos moines et vos évêques lorsqu’ils contraignent d’humbles paysans à payer la dîme, avant de les torturer et de les condamnés au bûcher. Notre mission était d’essayer d’y remédier.

- Je croyais que le nom d’apôtre était exclusivement réservé aux douze disciples de Jésus.

- Non, Apôtre est issu du grec Apostolos qui désigne couramment un « envoyé » chargé d'une mission. Nous, nous sommes les élites. Nous avons été choisis depuis notre tendre enfance afin de servir Dieu. Les apôtres sont nos gouverneurs.

- Pourquoi Esios fait-il revivre les dix plaies d’Égypte ?

- Je ne sais pas, Rose, mais je suis venu pour le découvrir. Êtes-vous rassurée ?

- Je ne sais pas. J’ai tellement de questions sans réponses!

- C’est normal ! Coupa Aaron en la relâchant. Ils ont convenablement fait leur travail, et votre tête est remplie de mensonges. Si nous devions reprendre toute votre bible, nous en aurions pour un bon moment. À présent, souhaitez-vous toujours vous enfuir ?

- Que ferez-vous de moi lorsque vous appréhenderez Esios ?

- Je vous mettrais en lieu sûr ! Venez, ne restons pas là !

Il s’écarta et lui tendit la main. Rose hésita, elle avait peur et était terrorisée par tout ce qu’elle apprenait chaque jour, mais elle lui accordait sa confiance. Elle se surprit même à espérer qu’Aaron ne retrouve pas Esios, afin d’en apprendre davantage. Aaron devenait son mentor. Il lui avait dévoilé une vérité qu’on lui avait toujours cachée. Ils remontèrent à cheval et poursuivirent leur route. Régulièrement, Aaron descendait et pratiquait son rituel. Il devenait nerveux, limite coléreux. Esios avait disparu encore une fois.

Le soir venu, ils dressèrent le camp au bord d’un étang. Rose partit remplir les gourdes, mais lorsqu’elle les remonta à la surface, Aaron s’en saisit pour les renverser. Il pointa du doigt l’étendue d’eau. Des centaines de poissons flottaient, morts.

- Il ne doit pas être très loin ! Dit-il entre ses dents.

- Nous n’avons plus d’eau, et presque plus de nourriture !

- Je vais y remédier. Écartez-vous de moi.

Rose prit place au pied d’un arbre rachitique. Aaron prononça ses habituelles incantations en levant les bras au ciel. Ses mains tremblaient, ses pupilles se transformèrent, il hurla et un éclair fendit le ciel sombre. Rose fixa le rivage qui semblait se mouvoir. Des vaguelettes vinrent s’écraser aux pieds d’Aaron, puis la terre se souleva et une nappe d’eau en sortie.

- Prenez les gourdes et remplissez-les. Dit-il d’une voix gutturale.

Rose se leva brusquement et vint à ses pieds. L’eau était claire, limpide. Elle remplit les deux grosses gourdes. Aaron s’avança, l’eau montait toujours, jusqu’à le recouvrir. Rose se redressa, éberluée, cherchant son ami, mais ne put apercevoir que la surface de la gouille.

Quelques instants plus tard, Aaron ressortait, les muscles encore plus volumineux. Rose ne formula aucune question, pensant qu’il venait de reprendre des forces pour s’opposer à Esios.

Ils prirent place devant le feu et se partagèrent le reste de nourriture. Aaron fixa la jeune femme et lui tendit son morceau de pain.

- Mais, et vous ?

- Je n’en ai pas besoin.

- Et si Esios…

- Il ne se montrera pas.

Après un long moment de silence, Rose ne put retenir plus longtemps ses questions.

- Pourquoi Esios a-t-il tué Jésus ?

- Il ne l’a pas tué, voyons, Rose. Jésus est comme nous, et il ne peut être mort.

- Mais, son corps a disparu ?

- Exactement !

- Le connaissiez-vous ?

Aaron la fixa droit dans les yeux tout en remuant les braises. Il lui en avait déjà dit beaucoup, mais son regard était pétillant.

- Oui. À vrai dire, nous nous connaissons tous.

À sa grande surprise, elle ne posa plus de questions. Ils restèrent encore un moment, puis se couchèrent l’un contre l’autre pour se tenir chaud.

****

Le lendemain matin, Rose s’éveilla seule au bord du feu consumé. Elle chercha du regard son compagnon, puis se leva et parcouru les alentours. Un craquement de branches éveilla son attention. Là, dans une clairière étroite, Aaron se tenait droit, tourné vers les arbres. En l’entendant, il lui fit signe de la main, de ne plus avancer. Le silence était pesant, même les oiseaux ne chantaient plus. Toute la forêt semblait figée. Effrayée, Rose se réfugia derrière un tronc centenaire. Qu’attendait-il ? Il n’y avait rien, mais Aaron se déplaçait lentement, scrutant chaque recoin. Ses pupilles avaient changé et ses griffes étaient sorties. Les nuages envahissaient le ciel et un orage se préparait. Aaron leva les mains et aussitôt des éclairs percèrent le ciel. La pluie ne tarda pas à tomber, doucement, puis plus violemment sous les incantations d’Aaron. L’eau ruisselait sous ses pieds, ses cheveux se collaient à son torse dénudé. Il marchait à pas comptés, effectuant des va-et-vient. Rose n’osait toujours pas bouger. Nul doute, qu’une confrontation se préparait. Soudain, un vent cinglant se dressa. Sa puissance faisait plier la cime des arbres. Aaron se retourna et aperçu une tornade qui s’étalait sur toute l’étendue de l’étang. Le face-à-face allait commencer, un terrible combat entre deux géants.

- Mettez-vous à l’abri, Rose ! Hurla Aaron.

Rose se traînait au sol, agrippait les troncs tant elle avait du mal à se déplacer. C’était trop tard, la tornade, d’une violence inaccoutumée, s’abattit sur eux. Rose passa ses bras autour d’un arbre et replia ses jambes. Elle luttait, se cramponnait de toutes ses forces afin de ne pas lâcher prise. Elle criait, gémissait puis, se sentit happé.

Les cheveux d’Aaron s’envolaient, mais la tourmente ne semblait pas le gêner. Il conservait les yeux rivés sur l’œil du cyclone. La terre se souleva de toute part, des branches s’entrelacèrent ou se brisèrent dans le tourbillon. Le vacarme était assourdissant. L’œil du cyclone approchait. Aaron leva une main et hurla de toutes ses forces. Une longue lance en argent apparue, étincelante. Il fit de vastes mouvements et la pluie se remit à tomber. Les bourrasques devenaient de moins en moins violentes et la tornade faiblissait. Mais dans l’épais nuage de poussière et d’eau, la silhouette méconnaissable d’Esios se dressa.

À sa vue, Rose hurla d’horreur. Esios avait deux grandes cornes de bœufs sur le crâne. Sa taille et sa carrure étaient impressionnantes. Des griffes croissaient au bout des mains et des canines larges et pointues apparaissaient dans une gueule entrouverte. Dans sa main droite, il tenait une longue lance en argent, similaire à celle d’Aaron. Les pieds bien encrés au sol, il se tenait devant son adversaire, prêt à en découdre. Aaron fit un pas en arrière puis s’assura que Rose s’était bien mise à l’abri. Les deux individus se jaugèrent, plein de haine, prêts à en finir, là, maintenant. Aaron se figea, tenant sa lance à bout de bras, mais Esios ricanait.

- Alors, tu es devenu comme eux, Aaron ?

Aaron ne répondit pas et préféra attendre l’affrontement. Esios regarda Rose puis son adversaire et se mit à rire à plein poumon.

- Ne me dis pas que cette mortelle est plus importante que ta mission, Aaron ?

- Cesse de jacasser et viens te battre, Esios.

Esios s’élança déplaçant une brusque bourrasque. Il frappa de toutes ses forces sur la lance d’Aaron qui dut reculer. Les coups fusèrent, les deux êtres étaient habiles. Esios bondissait et replongeait, la rage au ventre. Il éleva son arme et la tempête reprit de plus belle. Aaron prit son élan, et s’éleva. Il fit tournoyer son arme afin d’apaiser les vents. Mais rien n’y faisait, Esios criait commandant à la tempête de s’abattre sur lui.

Cramponnée dans son coin, Rose promenait ses regards sur le combat, priant Dieu de leur venir en aide. Les éclairs foudroyants perçaient le ciel, les grondements résonnaient dans toute la vallée. Les deux monstres s’entre-tuaient à coup de lance et le sol prenait une couleur pourpre. Les pointes déchiquetaient les chairs. La fureur de ces deux extraterrestres était à son paroxysme. Ils frappaient, esquivaient, relançaient leurs attaques sans répits. Le ciel et la terre tremblaient, les arbres se déracinaient, et sur leur passage, le sol n’était plus qu’un torrent de boue et de sang.

Esios n’en avait pas fini, malgré ses blessures, il se releva, conservant un œil sur son ennemi, couché au sol. Aaron rampait, la lance d’Esios l’avait transpercé à six reprises. Les plaies étaient béantes et tout son torse à vif. Il s’appuya sur un rocher pour se soulever. Esios se présenta une nouvelle fois devant lui.

- Autrefois, Aaron, j’aurai eu peur de toi. Mais ce que je vois aujourd’hui, me donne la nausée ! Tu es pathétique. Comment les apôtres pourraient-ils encore te faire confiance ? C’est la fin, je vais prendre ta place, et pour être bien certain que tu ne tentes pas de m’arrêter, je garderai ta petite amie auprès de moi.

- Ne la touche pas ! Murmura, avec difficulté, Aaron, avant de s’effondrer de nouveau.

Esios rit et se dressa devant la jeune femme, terrorisée. Il la saisit par le bras et tira pour lui faire lâcher prise.

- Je te le répète… Souffla Aaron. Ne la touche pas !

Esios regarda son congénère et fit une grimace. Aaron se redressait, tremblant de colère. Il enfonça son pied dans la boue et se souleva à bout de bras. La tête baissée, il posa l’autre pied au sol. Tout son corps se mit à trembler. Esios recula, en le voyant reprendre de la vigueur. Les muscles d’Aaron se gonflèrent, ses griffes s’allongèrent et ses cheveux se soulevèrent. Tout son corps se mouvait, pour atteindre une hauteur effrayante, son torse doubla de volume. Sous les lumières saccadées d’un ciel en furie, le vert de ses pupilles s’illuminait. Un regard de fauve jaillit, il leva les yeux et rugit de toutes ses forces. Ses canines s’allongèrent maculées de sang. Il écarta les bras et hurla. Les éclairs fendirent le ciel. D’immenses cornes de mouflon jaillirent sur son crâne. Les pointes s’avançaient de chaque côté de la mâchoire massive.

Esios fut surpris de le voir se métamorphoser devant la jeune femme qui était tétanisée en voyant à présent le vrai visage de son compagnon.

Aaron marcha droit sur Esios, posant ses pieds sur les nappes de sang qu’il perdait. Mais la volonté de le tuer restait inébranlable. Il avait osé réveiller la bête qui sommeillait en lui, et il allait en payer le prix cher. Aaron dressa sa lance, mais Esios posa brutalement son pied au sol et disparut dans un tourbillon de poussière. Aaron tenta de le poursuivre, mais tomba à genoux, bien trop faible pour s’envoler. Il cracha du sang, suffoqua et s’effondra lourdement dans la boue.

La pluie cessa de tomber et le calme revint.

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