Chapitre 6 - Felix
Vingt minutes plus tôt
8 septembre – 20 heures 46
Tokyo
Karina m’a envoyé parler avec des membres de la famille de son mari, mais j’en ai vite eu marre des discussions classiques du genre « tu as quel âge », « où habites-tu », « qui es-tu pour Robin », alors j’ai fini par laisser tomber. Je cherche Suhua dans la salle, mais je ne la trouve pas. De toute façon, il y a trop de bruit, d’odeurs, j’ai mal à la tête. J’ai toujours détesté les endroits bondés à cause de ça.
Je me dirige vers la porte de sortie pour prendre l’air, saisi d’un vertige. Lorsque je pose un pied sur le parking et referme la porte, l’air frais du soir me fait immédiatement du bien. Le ciel est dégagé, les étoiles scintillent.
Je repense à quand Suhua m’a dit « Quand on tombe amoureux de la lune, on en oublie les étoiles », et qu’elle est ensuite partie dans un discours sur cette métaphore. C’était il y a deux ans, lorsque je la raccompagnais chez elle suite à notre road-trip, avant qu’elle ne m’annonce qu’au final, elle restait au Japon avec moi.
Un léger sourire aux lèvres, je m’enfonce un peu plus dans la pénombre du parking. Une petite bruine tombe, et j’entends la musique de la salle en sous-marin. J’espère que c’est juste parce que je suis dehors et non pas parce que je suis en train de faire un malaise.
Je ferme les yeux et laisse les fines gouttes d’eau humidifier un peu mon visage.
Ça fait tellement de bien…
Tout m’envahissait dans la salle, je n’en pouvais plus. Je dois être hypersensible ou un truc comme ça, parce que j’ai souvent l’impression de tout ressentir à deux-cents pourcent.
J’entends un éternuement et sursaute, avant d’ouvrir les yeux et de balayer le parking du regard. Adossée à une voiture, une jeune femme a les yeux rivés sur son portable. Je ne l’ai jamais vue pendant la soirée, mais avec la foule qu’il y a, ça ne m’étonne pas.
Elle lève les yeux et les pose sur moi, puis me détaille du regard. Je n’aime pas vraiment être observé comme ça, même si je passe mon temps à dire que je suis trop beau et que je mériterais d’être exposé dans un musée.
- Salut, lance-t-elle.
La femme s’approche et range son portable dans son sac à main.
- Je suis Judith, la petite sœur de Robin. Et toi ?
- Felix, le frère de Karina.
- Oh, c’est toi, mon beau-frère.
- Tu n’avais pas besoin de savoir que je suis le frère de Karina pour savoir que je suis beau, plaisanté-je.
Judith hausse un sourcil.
- Ok, je vois le genre. Robin m’avait dit que tu étais un peu… space.
Je plisse les yeux. Je crois que ça veut dire être un peu étrange ou décalé. C’est dingue que tout le monde me voit comme ça, je vais finir par penser que je le suis vraiment.
- Je dispose juste d’une intelligence supérieure qui fait que personne ne me comprend vraiment. À part Suhua et Karina, à force.
- Ah, ok…
Elle semble un peu mal à l’aise, ce que je peux comprendre. Sans aller jusqu’à dire que je suis introverti, je suis parfois un peu gêné avec les inconnus, même si j’ai l’air sûr de moi.
Si Judith ne sait pas qui est Suhua, elle ne pose pas la question. Je ne m’attarde pas dessus, je ne vais pas aller raconter ma vie à la sœur de mon beau-frère, et de toute façon, si elle a écouté la cérémonie, elle sait que Suhua est ma petite amie, même si elle ne connaît pas forcément son apparence physique, ce qui, en soit, ne pose pas de problème.
- Il y a quelque chose de drôle ?
- Hein ? Non, pourquoi ?
Judith penche la tête sur le côté.
- Tu souriais.
Je dois avoir l’air complètement taré, à sourire sans m’en rendre compte.
- Bon, tu es content pour ta sœur ? demande-t-elle.
- Si elle est heureuse, oui. Et toi ?
Judith opine du chef.
- Karina a l’air sympa, quoiqu’un peu space, elle aussi. Vous formez un beau duo de frère et sœur.
- Merci. Je ne t’ai jamais vue avec Robin, en revanche. Je savais qu’il avait une sœur, mais…
- On était un peu en froid à cause de mon ex… Mais bon, on s’est réconciliés il n’y a pas longtemps.
- Ah, d’accord.
- Felix !
Je sursaute et me tourne vers Suhua, qui arrive vers nous, le pas pressé. Je lui souris.
- Coucou.
Une fois arrivée à ma hauteur, je remarque ses frissons. Elle doit avoir froid. Seulement, ma petite amie ne s’en formalise pas et observe attentivement Judith avant de lui sourire.
Bon, ok, la dernière fois que je l’ai vue remonte à un peu plus d’une heure, mais elle m’a manqué. En plus, j’avais peur que mon père vienne me voir ou même qu’il vienne la voir elle. J’ai tout fait pour l’éviter, mais mon paternel trouvera toujours le moyen de me retrouver. Et je ne sais pas ce qu’il est capable de dire à Suhua.

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