Chapitre 9 - Suhua

7 minutes de lecture

10 septembre – 15 heures 12

Kyoto

Nous sommes revenus à Kyoto accompagnés de Judith, étant donné qu’elle y vit aussi. Je l’aime bien, elle est plutôt gentille, alors j’espère m’être faite une nouvelle amie, même si j’ai eu envie de mourir de honte à cause d’elle hier, quand elle m’a appris la danse un peu suggestive… Heureusement que Karina n’a pas essayé, sinon Robin aurait été aussi troublé que Felix et ça aurait été hyper tendu dans la salle.

Étendue en étoile de mer sur les coussins du mini-cinéma, mes écouteurs dans les oreilles, j’écoute de la musique tout en ressassant les deux jours que nous avons passé à Tokyo, et plus particulièrement la nuit du neuf septembre…

Je revois la tête que Felix tirait quand il m’a sorti « De toutes les personnes dans ma vie… c’est toi, ma préférée ». Son regard était tellement sincère. Rien qu’y repenser me donne des frissons.

Je suis heureuse qu’il m’ait dit ça et qu’il le pense réellement, et pas juste pour me rassurer. Et même si en effet, ça m’a réchauffé le cœur et j’ai ressenti une vague d’amour pour lui, voire même un tsunami, ça ne fera pas disparaître ma peur de l’abandon pour autant.

Mais malgré tout, je suis trop émue, j’ai presque envie de pleurer. Sérieusement, pourquoi est-il aussi mignon et attentionné ?

Bon, je vais pas m’en plaindre.

Et de toute façon, ses défauts compensent son surplus de qualités.

Wow, c’était méchant, ça.

Même si j’aime trop certains de ses défauts…

La pluie se met à tomber et je soupire. Elle n’arrête pas en ce moment, alors que ce n’est même pas la saison des pluies. J’ai de la chance de ne pas être tombée malade alors que je suis sortie en petite tenue sous une pluie diluvienne, d’ailleurs.

La musique change, passant d’une musique joyeuse mais assez nostalgique à une musique qui me fait pleurer chaque fois que je l’écoute. Elle n’a pas de paroles, mais ce qu’elle représente me tue.

C’est Doomsday Theme de la série Doctor Who, et elle apparaît à un moment trop triste de l’histoire.

Juste y penser me met les larmes aux yeux. Je regardais cette série britannique avec Suhui et Lia quand j’avais quatorze ans, et ils s’étaient moqués de moi parce que j’avais pleuré.

Je coupe la musique pour la remplacer par une mélodie plus joyeuse.

La porte en papier de riz coulisse et Felix apparaît. Il pose sur moi son habituel regard rempli de douceur et vient s’asseoir à mes côtés.

- Ça va ? demande-t-il.

- Oui, oui. Qu’est-ce qu’il y a ?

- Rien de spécial, je voulais juste être avec toi.

Un sourire lumineux éclaire mon visage, et je retire mes écouteurs avant de les fourrer dans la poche centrale de mon sweat bleu nacré.

Son téléphone vibre et il l’attrape, avant de le déverrouiller. La notification provient de sa boite mail professionnelle, alors il l’ouvre et lit le mail. Je le fais aussi par-dessus son épaule, curieuse.

- Oh, wow, tu as des bonnes notes, toi !

Il a obtenu quatre-vingt-treize sur cent à son dernier examen. Ça lui fait environ dix-neuf sur vingt.

- Sur quoi ça portait ?

Felix sourit.

- En même temps, c’était simple…

Il m’explique alors qu’il devait imaginer le look d’un mannequin pour un shooting photo pour un magazine de mode. Le mannequin était androgyne, et la tenue devait être adaptée pour la fin d’automne et le début d’hiver, sans être trop chaud à cause du climat tropical où se trouve le mannequin en question, et il fallait rester sobre tout en étant chic. Je ne vois pas en quoi c’est simple, j’ai même l’impression que certains critères sont incompatibles…

J’applaudis et fais mine d’être impressionnée, ce que je suis, d’ailleurs.

- Par contre, ils ont osé dire que le bleu que j’avais choisi n’allait pas avec le blanc, qui aurait dû être d’une nuance plus claire.

Il me montre le blanc qu’il a choisi.

- Regarde, ça, c’est le #FAF8E9, et eux pensaient qu’il fallait que je mette le #FFFAF0.

Euh, je lui dis que c’est le même blanc, ou pas ?

- Ah, ouaiiiis…

Il rit vu que je ne comprends rien.

- En vrai, je préférais avec le #FA je-sais-pas-quoi.

- #FAF8E9.

- Ouais, voilà.

Felix pose son portable.

- Mais je sais que j’avais raison… Ils voulaient juste pas assumer que j’étais trop fort donc ils ont cherché des erreurs dans les détails.

- Oui, Felix, oui.

Mon petit ami sourit puis penche la tête vers moi, avant de m’embrasser.

- Et toi, les études ?

- Bah, je suis confrontée à des ados qui veulent se suicider et à des couples qui n’arrivent pas à exprimer leurs sentiments donc qui se séparent. Trop cool, tu vois ?

- Ouais, ça met de bonne humeur. Mais bon, vu que tu es trop forte, un jour tu sauveras ces gens-là. En vrai, si ça te plait… Tu ne regrettes pas de n’être pas devenue actrice, au final ?

Je secoue la tête.

- Non. Tu te rends compte, j’aurais dû simuler d’être amoureuse d’autres hommes que toi.

Felix se renfrogne.

- Je veux même pas y penser. En plus, et je parle sérieusement, même si c’était le métier de tes rêves et que tu aurais été heureuse, ça m’aurait vexé que tu embrasses d’autres mecs.

Ce que je comprends tout à fait…

- Tu veux l’exclusivité, hein ? l’embêté-je.

- Évidemment ! Tu es ma petite amie, tu te rends compte ? Honnêtement, ça m’aurait fait mal. Mais ne te sens pas coupable, hein. Tu sais que je t’aurais soutenue, même si tu embrassais d’autres hommes et qu’il y aurait des gros zooms sur vos lèvres à la caméra.

- De toute façon, je ne suis pas actrice. Ou alors, il aurait fallu que tu sois acteur aussi, comme ça on aurait tourné plein de films ensemble.

- Ne transforme pas notre relation en télé-réalité, se plaint-il.

Je souris et dépose un baiser sur sa joue parsemée de petites tâches de rousseurs discrètes. Felix saisit ma taille et m’attire sur ses genoux pour m’embrasser sur les lèvres lentement, puis avec un peu plus de passion. Nos souffles se mêlent, je soupire, il s’accroche à mes hanches… À mesure que nos baisers s’intensifient, Felix m’allonge parmi les coussins, mes cheveux s’étalant partout autour de moi. Tandis que l’une de ses mains est toujours agrippée à ma taille, l’autre est posée à côté de ma tête et le maintient un peu en hauteur pour qu’il évite de m’écraser, même s’il relâche un peu la contraction de son avant-bras pour que son torse vienne se presser au mien. Il détache ses lèvres des miennes pour venir effleurer ma joue gauche.

- Suhua… Je t’aime plus que tout, souffle-t-il, avant de laisser ses lèvres descendre à l’angle de ma mâchoire.

Les joues rougies, je lâche un petit soupir. Je frissonne lorsque la main qui tenait ma taille se glisse lentement sous mon pull et qu’il caresse avec douceur ma peau nue. Il m’attire à nouveau à lui pour reprendre notre baiser fougueux, puis il s’écarte. Ses yeux noisette sondent les miens, cherchant probablement mon approbation… Je sens son souffle chaud sur mes joues, ce qui intensifie d’autant plus mon désir. Je me redresse un peu pour embrasser ses lèvres, qui sont chaudes, douces et légèrement humides. Un nouveau frisson me parcourt.

Felix m’étreint avec force et plonge son visage dans mes cheveux. Son cœur bat vite, et je sens la manifestation de son propre désir contre ma hanche.

- Évitons de repenser à la danse que Judith m’a apprise…

Ses doigts se cramponnent à ma taille et il relève le visage pour me regarder. Légèrement essoufflé et s’empourprant, il lance :

- Ne parle pas de ça, s’il te plait…

Je souris puis le serre contre moi. Je sens ses lèvres se poser sur mon cou et je soupire, mordant ma lèvre inférieure.

- Ça te dérange si je repose mes muscles quelques instants ?

- Non.

Avec douceur, il se laisse retomber sur moi, m’écrasant maintenant de tout son poids. Il n’est pas si lourd, il doit faire soixante-cinq kilos, ce qui est en-dessous de la moyenne pour un homme d’un mètre quatre-vingt-deux, mais quand on sait qu’il a été victime d’un TCA, ce n’est pas choquant.

Enfin bon, il fait quand même seulement dix kilos de plus que moi…

Quand j’y pense, on est tout les deux en sous-poids par rapport à la moyenne. Si lui, c’est à cause de son passé, moi c’est purement génétique…

- Je ne sais pas si on devrait… tu vois, quoi. Judith a dit qu’elle voulait passer dans le milieu d’après-midi, et il va être quinze heures trente, souffle Felix, une pointe de regrets dans la voix. Mais en même temps, si on en a envie tout le long de la soirée, ça va être trop bizarre avec elle, on va être gênés…

Je pince un peu les lèvres, même s’il a raison. J’ai l’impression que comme ça fait quelques semaines qu’on n’a pas eu ce genre de relations, mon désir est décuplé. Je serais frustrée si on arrêtait là, mais en même temps je me dis qu’on est pas des sauvages et qu’en tant que personnes civilisées, on devrait être capables de tenir.

Enfin bon, le désir est quand même humain…

Felix semble percevoir mon doute et il soupire. Sa propre envie ne s’est pas atténuée non plus, elle s’est même accentuée, mais il semble être venu à la même conclusion que moi.

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