Chapitre 10 - Felix
10 septembre – 15 heures 31
Kyoto
J’observe Suhua. Ses joues sont rouges, ses cheveux un peu décoiffés. Ses yeux en amande pétillent, tandis que ses lèvres roses, brillantes, tellement tentantes, sont entrouvertes. Si on cède à la tentation alors que ma belle-sœur pourrait arriver, ce sera gênant.
Je déglutis puis craque, embrassant Suhua. Tout son corps tremble contre le mien, et je me dis que je dois lui faire mal, alors j’use de nouveau de ma force pour m’appuyer sur mes bras. Elle pousse un léger soupir de soulagement.
- Désolé, soufflé-je contre ses lèvres.
- Ce n’est pas grave…
Ma petite amie passe ses mains sous mon pull blanc et ses doigts effleurent mes abdominaux lorsque la sonnerie de son portable retentit. Sentant la vibration contre mon torse, je me décale et lâche ma petite amie, m’asseyant à côté d’elle. Alors qu’elle sort son téléphone de la poche centrale de son sweat, je me recoiffe rapidement puis passe ma main dans ses cheveux pour les discipliner aussi.
Lorsqu’elle pose son portable, elle me regarde, un peu grave :
- Judith est au portail.
Même si je m’y attendais, je suis assez frustré. Je pousse un soupir et tente de refouler mon désir, me mettant debout, avant de quitter le pavillon où se trouve le mini-cinéma. Talonné par Suhua, je traverse le pont qui enjambe la rivière puis les jardins principaux avec les chemins en pierres plates qui y serpentent, encadrés d’érables et de pagodes en pierre moussues, jusqu’au portail en bois sombre, sculpté de motifs floraux un peu abîmés.
Je passe une dernière fois ma main dans mes cheveux puis j’ouvre le portail. Ma belle-sœur y est, avec un énorme sourire aux lèvres, un totebag rose flashy à l’épaule et trois boîtes en carton tachées de graisse dans les mains.
- J’ai apporté le goûter, des pizzas et des boissons, sourit-elle.
Suhua la débarrasse des boîtes de pizzas et nous entraînons Judith à travers les jardins pour rejoindre le pavillon de vie, où nous regagnons la cuisine.
- Wow, c’est immense ici. Robin ne mentait pas quand il disait que votre maison pourrait servir de palais impérial pour tourner un drama d’époque.
Mon beau-frère et ses exagérations…
La rousse s’appuie contre le plan de travail en bambou et balaye la cuisine du regard.
- Vous vivez ici depuis combien de temps ?
- Depuis ma naissance, réponds-je. Et pour Suhua, depuis deux ans.
J’évite un peu le regard de ma petite amie, parce que je sens que même si mon désir s’est apaisé, il pourrait revenir en quelques secondes. J’espère qu’elle comprend.
- C’est cool. Ça veut dire que Karina a grandi ici ? demande Judith.
- Oui.
- Au fait, j’ai rencontré mon beau-père hier, en rejoignant mon hôtel. C’est lui qui a fait construire la maison ?
Je tique un peu à la mention de mon père mais ne dis rien, me contentant de hocher la tête. Même si j’ai une dent contre mon paternel, il faut bien avouer qu’il a dû goût en matière d’architecture. Assez logique, pour un magnat de l’immobilier.
- Vous avez un jardinier ? continue la rousse en observant nos cours traditionnelles.
- Oui. Même plusieurs. L’entretien d’une aussi grande surface verte demande beaucoup de mains. Ce que tu vois ici n’est que le jardin central ainsi que quelques une des cours intérieures de ce pavillon. Il y en a d’autres dans cette partie de la villa, et dans les deux autres pavillons. Il y a plus de jardins que de pièces d’intérieures, à vrai dire.
- Wow, trop bien.
Suhua sourit. Je sais qu’elle aussi aime beaucoup le côté palais japonais, et elle est fière de vivre ici. Elle plaisante parfois, disant que c’est la seule raison qui explique qu’elle sort avec moi.
Judith sort de son totebag des donuts industriels saupoudrés de sucre, des mochis qui font pétiller les yeux de Suhua, des petites brownies et des biscuits composés d’une couche de caramel, d’une couche de chocolat et d’une pâte sablée.
- Ce sont des biscuits écossais. J’ai mis quinze ans à trouver une boutique qui en vendait, explique-t-elle. On appelle ça des shortbread millionnaire.
Ensuite, ma belle-sœur tire de son sac deux bouteilles de soda.
- De quoi prendre un bon goûter ! lance-t-elle avec les yeux qui brillent.
Même si j’apprécie le geste, la vue de toute cette nourriture sucrée m’écœure un peu. Je plisse le nez discrètement et détourne le regard des gâteaux suintant de sucre, aidant Judith et Suhua à tout amener sur la table en métal qui se trouve sous le kiosque en bois, près du lac.
On va vraiment ingérer autant de sucre puis rester assis à rien faire toute la soirée pour faire de la graisse ?
Je repousse mes idées rabat-joies et m’assois en face de Judith, et à côté de Suhua.
Tandis que Suhua lit les ingrédients qui composent les mochis, les yeux plissés, Judith ouvre les paquets de gâteaux et en saisit un.
- Je vous jure, il faut que vous goûtiez les biscuits écossais, lance-t-elle en mâchonnant son brownie.
Ma petite amie opine du chef puis en attrape un entre ses doigts pour le porter à ses lèvres. Je suis le geste et mes yeux se posent donc sur ses lippes roses et brillantes de sucre. Je sens une légère tension dans mes épaules, et je sursaute quand un raclement de gorge se fait entendre.
Ma belle-sœur me lance un petit regard malicieux, et j’ai presque l’impression de voir Karina. Rougissant, je détourne les yeux et les pose sur l’étang à l’eau cristalline.
- Bon, il paraît que vous faites des études ! C’est Karina qui m’a dit ça. Vous faites quoi ?
- Des études en thérapie. Pour gérer des adolescents qui auraient des traumatismes, et des couples en crise.
- Wow, awesome. Et toi, Felix ?
- Des études de stylisme éditorial.
- C’est pour ça que tu es aussi charismatique, plaisante-t-elle.
Suhua hausse un sourcil et même moi, je suis un peu gêné de la remarque. J’ai beau faire semblant de me vanter, même auprès de gens que je viens de rencontrer, je n’ai pas l’habitude que les gens plaisantent en me lançant des fleurs. Mais Judith ne pense probablement pas mal, et si un gros blanc suit, elle va être mal à l’aise.
- Non, mais en revanche, c’est la raison qui m’a poussée à ses études. Il faut bien que je montre mes talents au monde entier.
Ma belle-sœur rit à gorge déployée puis grignote un mochi jaune.
- Et toi, tu fais quoi ? demande Suhua.
- Je suis wedding planner.
- Oh, je voulais faire ça quand j’étais toute petite. Enfin bon, je voulais aussi être mannequin, maîtresse et actrice.
- Tu as aidé à organiser le mariage de Karina et Robin ?
Judith hausse les épaules.
- Pas vraiment. Même si j’aurais aimé !
Je souris poliment et attrape un verre pour le remplir d’eau.
- Du coup, vous aimez les biscuits écossais ?
- C’est trop bon, sourit Suhua.
- Et toi, Felix ?
Mes yeux se posent à nouveau sur les fameux biscuits. Même s’ils ont l’air bons, ils provoquent en moi un peu de dégoût, sans que je ne sache trop pourquoi. Ce serait trop malpoli de le dire, cependant…
- Oui, c’est bon.
Ma belle-sœur rayonne.
- Sinon… Vous avez quoi comme projet, dans la vie ? demande-t-elle ensuite avec un petit sourire.
- Comment ça ? Précise, répond ma petite amie en passant une main dans ses cheveux.
- Pour votre avenir de couple. Si ce n’est pas indiscret. Je sais que les japonais sont très respectueux, et vu que ce n’est pas ma culture, excusez-moi si je fais des erreurs parfois.
- Ce n’est pas grave, lancé-je.
- De toute façon, on est des amis en devenir, tous les trois, affirme Suhua avec une voix enfantine. Enfin, sauf Felix et moi du coup…
Judith sourit à ma petite amie et garde ses yeux fixés sur elle un moment. Soit elle est dans la lune, soit elle la juge, même si, compte tenu de ce que j’ai vu de ma belle-sœur, je ne pense pas qu’elle soit du genre à juger. Mais bon, on ne connaît jamais vraiment les gens.
- Donc ? Vous aimeriez… Je sais pas, moi, vous marier, avoir des enfants ?
Ma petite amie et moi secouons la tête.
- Nous ne voulons pas nous marier, répond Suhua.
- Et pour ce qui est des enfants, je n’en veux pas, mais si elle en veut… Bah, il faudra me convaincre.
Ma petite amie rit légèrement.
- Je te rassure, j’en veux pas non plus. Je vois plus les enfants comme des boulets qu’autre chose.
Judith fronce les sourcils, un léger sourire aux lèvres.
- Cherche pas, Suhua est une personne très égoïste, dis-je avec un sourire taquin.
- Eh ! crie l’intéressée.
- J’aurais plus dit franche qu’égoïste… ajoute Judith. Mais bon, chacun son avis.
- Et toi, Judith, tu es en couple ? demande Suhua.
La rousse se tasse dans sa chaise et croise les jambes. Son regard se perd dans le vague avant de se poser sur moi, puis sur ma petite amie.
- Non. J’ai eu plusieurs expériences au long de ma vie, comme beaucoup de gens. Ma dernière relation amoureuse date d’avril, mais ça n’a duré que deux mois.
- Et tu as quelqu’un en vu ? relance ma petite amie, un sourire presque flippant aux lèvres.
Alors elle…
Je l’imagine bien au lycée, à essayer de savoir les petits crush de tout le monde et les histoires croustillantes.
Enfin bon, ce n’est pas dérangeant tant que pour tout ce qui est érotique, elle s’en tient aux livres qu’elle lit…
Interloquée, ma belle-sœur observe à nouveau Suhua avec insistance, avant de me jeter un bref coup d’œil.
- Non, finit-elle par dire.
- Ok, répond ma petite amie avec un sourire un peu déçu.

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