Chapitre 13 - Suhua
13 septembre – 10 heures 23
Kyoto
J’ai finalement envoyé mon mémoire hier à vingt-trois heures, et aujourd’hui, je me repose ! C’est le dernier jour de travail de Felix, alors même si j’ai envie d’être avec lui, je vais le laisser étudier tranquillement et on passera du temps ensemble demain. Aujourd’hui, je prends la journée pour moi.
Je décide de prendre un bain, alors je fais couler de l’eau brûlante dans la baignoire et pose sur les rebords des shampooings, après-shampooings, soins pour le visage, lotions pour la peau et huiles pour les cheveux. Ensuite, je pose une pile de mangas sur un tabouret à côté de la baignoire et je me plonge dans le bain.
Pendant qu’un masque repose sur mon visage et qu’une huile de jojoba censée rendre mes cheveux soyeux agit, je feuillette mes scènes préférées du livre que j’ai lu au moins cinq fois. Ça fait du bien de se détendre, surtout après ces deux jours de stress.
Alors que je rince mon huile et applique des shampooings pour ne pas avoir les cheveux gras, je pousse un soupir.
Felix me manque.
J’ai envie qu’il soit avec moi, à m’embêter et à se lancer des fleurs…
Je pousse un nouveau soupir puis immerge tout mon corps dans l’eau brûlante lorsque tous mes soins ont été effectués.
Sortie du bain, je m’assois par terre, enroulée dans une serviette, et applique du vernis rouge brillant sur mes ongles, que j’essaye de laisser pousser. La langue ressortie, un tic que j’ai quand je me concentre, je tente de ne pas mettre de vernis sur mes cuticules.
Après ça, je m’habille et m’observe dans le miroir. Je porte un jean large bleu, avec un t-shirt noir trop large qui appartient en réalité à Felix et qui m’arrive presque aux genoux. Mes cheveux, brillants, propres et soyeux, cascadent le long de mon corps. Ma peau est toute douce, et je sens bon. Je me sens belle.
Guillerette, je sors de la salle de bain et regagne ma chambre pour récupérer mon portable. Dehors, le doux soleil d’automne remplace la pluie habituelle.
J’irai bien faire un tour…
J’attrape mes écouteurs et sors dans les jardins pour regagner le pavillon d’études. Je toque au bureau de Felix et ouvre la porte.
- Oui ?
- Désolée de te déranger, je venais juste te prévenir que je sortais faire un tour… Travaille bien et n’oublie pas de manger.
Un sourire illumine son visage.
- Ok, merci. Ça va ?
- Oui, et toi ?
- Oui. Ton teint semble plus lumineux. Ça fait plaisir de te voir en meilleure forme.
Je rosis de plaisir. C’est grâce aux soins, ça.
Felix m’observe un instant.
- Tu es belle.
- Oh, wow, merci.
Il sourit puis je referme la porte pour le laisser tranquille, avant de retraverser tous les jardins pour quitter la villa.
Mes écouteurs diffusent une playlist un peu classique, composée des musiques du moment, mais ça me met un peu dans l’ambiance de l’automne qui arrive… et donc de Halloween. Je suis déjà excitée à l’idée de cette fête, même si c’est dans plus d’un mois.
Je passe à la supérette acheter des nouilles instantanées et des Marshmallows, puis je fais un détour par la forêt de bambous avant de rentrer. Il n’y a pas beaucoup de gens, étant donné que les adolescents et enfants sont à l’école, et que les adultes travaillent. Il y a un couple âgé assis sur un banc, qui ne discute pas. Ils ont quand même l’air heureux. La présence de l’autre leur suffit probablement.
L’air est frais, mais j’aime bien cette température, quand il y a un peu de vent mais que les rayons du soleil sont suffisamment chauds pour caresser ma peau. Je profite encore un peu de l’air agréable avant d’entamer la montée pour rejoindre la villa.
Il est midi quinze quand je rentre, aussi je fais chauffer mes nouilles instantanées, puis je disparais dans le pavillon avec le mini-cinéma, équipée de mon repas et de mes petits bonbons. Je m’installe parmi les coussins et les couvertures, et j’allume le grand écran pour lancer un drama chinois.
J’ai l’impression que ça fait super longtemps que je n’en ai pas regardé un.
Quand je vois qu’il y a toujours Love 020 sur Netflix, une série chinoise que j’ai beaucoup regardée adolescente, je décide immédiatement de la lancer, même si je la connais par cœur.
Même si Felix me manque et que ça fait un petit moment qu’on n’a pas passé une journée entière ensemble, j’adore prendre du temps pour moi, manger un peu n’importe quoi en regardant des films…
Seulement, l’après-midi, j’ai un trou noir. Je n’ai aucune idée de ce que je pourrais faire, et mon surplus de temps libre commence à me peser. Je tente de réfléchir à une activité créative ou ce genre de choses, mais je finis assez rapidement par regarder des vidéos sur Instagram.
Pas très productif, tout ça…
Je repose donc mon portable et me demande si je ne pourrais pas cuisiner. Ok, je suis vraiment nulle dans ce domaine, mais je pourrais tenter de faire le repas préféré de Felix, pour ce soir.
Le problème, c’est qu’il aime trop de trucs. Il aime manger en général, et il n’a pas de plat préféré.
Bon… Je peux tenter un repas japonais…
Quoique c’est un peu ennuyant, comme choix…
Je me souviens de son enthousiasme quand on est allés au restaurant italien, alors je cherche des recettes de pizzas sur Internet, avant de filer en cuisine.
* * *
Je pense que si l’émission « Cauchemar en cuisine » n’existait pas, il aurait fallu l’inventer à ce moment-là…
J’ai voulu faire la pâte à pizza moi-même, mais j’aurais peut-être dû aller en acheter à la supérette, quand je vois le résultat. Elle est assez collante, et quand je l’ai pétrie, elle restait accrochée à mes doigts.
En plus, j’ai fait cramé les poivrons donc la cuisine embaume la fumée, et la casserole a bien noirci. Elle est gentiment en train de refroidir dans l’évier, qui déborde de cuillère, couteau, planches à découper et j’en passe.
J’ai tartiné trop de sauce tomate sur la pâte à pizza, mes poivrons sont donc cramés, mes lardons suintent de gras, et il y a trois bouts de cheddar qui se battent en duel parce qu’on n’en avait plus dans le frigo.
Je passe la pizza au four, qui sera prête dans vingt minutes.
Je suis dépitée quand je vois que les croûtes ont noirci tandis que le centre n’est pas encore totalement cuit.
Mais qu’est-ce qui ne va pas avec moi, sérieux ?
Je sors la pizza du four et la pose sur une planche à découper, avant de la fixer avec réticence. Même moi, je n’ai pas envie de la manger.
Est-ce que ça vaut le coup que je dérange Felix en plein travail pour ça ?
Non, clairement pas.
- Oh, ça sent bon et en même temps ça sent le cramé. Tu fais quoi ?
Quand on parle du loup…
Felix passe sa tête par l’embrasure de la porte avant de rentrer totalement dans la pièce. Il avise la pizza d’un œil inquisiteur avant de déposer un petit baiser sur mes lèvres.
- Je te rassure, c’est la dernière fois que je m’essaye à la cuisine.
Mon petit ami rit légèrement.
- Tu as fini ton travail ?
- Oui, répond-il fièrement.
Il attrape un couteau, probablement pour m’assassiner parce que j’ai utilisé des ingrédients pour faire ce petit caca qui ne mérite même pas le nom de « pizza ».
Il découpe avec attention le truc qui nous sert de dîner et le porte à ses lèvres pour souffler dessus. Felix croque dedans, mangeant une de ses mèches de cheveux au passage.
- C’est… spécial…
- Dis que c’est pas bon, t’inquiètes pas.
Felix sourit.
- Non, en vrai, ça va… C’est juste que les légumes sont trop cuits et la pâte est un peu crue.
- Elle cramait sur les croûtes.
- T’as pas dû régler le four correctement. Il faut mettre sur « chaleur tournante ».
- J’en sais rien, j’ai rien compris au mode d’emploi.
Mon petit ami rit encore avant de m’ébouriffer les cheveux.
- En tout cas, t’as réussi à me donner faim, c’est déjà ça.
- Tu n’as pas faim, en ce moment ?
Felix hausse les épaules et s’appuie contre le plan de travail.
- Pas trop. Ça doit être parce que je passe ma journée assis.
J’opine du chef puis repousse la pizza, voulant éviter de faire une intoxication alimentaire.
- Sinon, tu as passé une bonne journée ? me demande-t-il.
- Oui, et toi ?
- Oui, ça va. Je ne t’ai pas trop manqué ?
- Si.
Felix s’attendait sûrement à ce que je plaisante en disant « non », mais je ne suis pas trop d’humeur. J’ai préféré être sincère.
Mon petit ami entrouvre les lèvres, un peu déstabilisé par mon absence de taquinerie, avant de m’attirer à lui.
- Toi aussi, tu m’as manqué, ajoute-t-il.
Je tends mes lèvres vers lui, dans l’attente d’un baiser, et il finit par m’embrasser doucement.

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