Chapitre 16 - Felix

7 minutes de lecture

19 septembre – 19 heures 13

Kyoto

J’attends à la gare de Kyoto que le train de Suhua arrive. Je lui ai dit que je ne viendrai pas la chercher, mais j’ai évidemment menti pour lui faire la surprise. Je suis même passé à la boulangerie franco-japonaise en bas du mont Arashi pour lui acheter un éclair au sésame noir.

Je jette un œil aux écrans qui diffuse l’heure d’arrivée des trains. Celui en provenance de Tokyo, où Suhua est, devrait arriver dans cinq minutes.

Trépignant d’impatience, je commence à faire les cent pas, consultant ma montre toutes les deux secondes. Quand enfin les premiers passagers passent les portiques, je me poste en face des petites portes et attends.

Je la repère de loin, ses cheveux bruns attachés en deux épais chignons qui recouvrent ses oreilles, sa frange qui lui tombe sur le front, et deux mèches mi-longues qui lui encadrent le visage. Elle porte un jean slim et un sweat large qui m’appartient.

Je ne savais même pas qu’elle me l’avait piqué.

Suhua passe les portiques et commence avancer, et je l’arrête en me plaçant face à elle. Je la vois hausser un sourcil, puis elle remonte ses yeux jusqu’au mien. Ses lèvres s’entrouvrent sous le choc, puis s’étirent en un grand sourire.

- Felix !

Je l’attrape par la taille et la serre dans mes bras, un frisson me parcourant de la tête aux pieds. Je respire son odeur, enfouis mon visage dans ses cheveux.

- Ma petite Suhua… soufflé-je. Je savais que tu m’avais manqué, mais je n’avais pas réalisé à quel point avant de te voir.

Ma petite amie rosit de plaisir et relève le visage pour m’observer. Je remonte mes mains sur ses joues, glisse mes doigts dans ses cheveux et écrase mes lèvres contre les siennes.

Quand je la relâche, j’ouvre ma veste et sors de la poche intérieure le sachet en papier kraft avec l’éclair.

- Tiens. Il est peut-être un peu écrabouillé.

- Merci !

Suhua l’ouvre et contemple le désastre, puis elle mord dedans. Nous sortons de la gare, dans l’air un peu frais du milieu de soirée. Le ciel commence à noircir lentement, les rues se vident… J’entrelace mes doigts à ceux de Suhua et serre sa main.

Ça fait tellement du bien de la revoir.

Nous regagnons un quartier voisin à celui où se trouve la gare en environ trente minutes, puis nous prenons un taxi pour rentrer puisque sinon, on aurait mis deux heures.

Une fois à la maison, Suhua retire ses chaussures, détache ses cheveux et court dans la chambre remplacer son jean par un short et un autre pull à moi, qu’elle a pris dans ma commode.

- Pourquoi tu passes ton temps à prendre mes vêtements ? demandé-je en mettant de l’eau à bouillir pour préparer le repas.

- Ben, parce qu’ils sont confortables.

- Je peux t’acheter les mêmes, si c’est juste ça.

- Ceux du magasin, ils ont pas ton odeur.

Je souris et plonge le riz dans l’eau, étant donné qu’il doit chauffer en même temps que l’eau bout. En attendant que les aliments cuisent, je m’avance pour reprendre ma petite amie dans mes bras.

- Tu comptes faire ça toute la soirée, ou me laisser respirer à un moment ?

- Non. Prends des grandes bouffées d’air et dis-moi quand tu n’as plus d’oxygène, comme ça je peux te refaire un câlin.

* * *

Je sers à Suhua une assiette, puis nous nous posons dans la salle à manger.

- Tu ne manges pas, toi ? demande-t-elle en plissant les yeux.

- Je n’ai pas faim. J’ai peut-être trop manger ce midi.

Ce qui est faux, étant donné que j’ai dû manger trois pauvres grains de riz.

- Ok.

Elle savoure son repas et mange tout en cinq minutes, puis elle se laisse tomber en arrière.

- Je suis repue !

Je souris puis débarrasse son assiette, avant de la rejoindre. Elle m’indique qu’elle va prendre une douche et je la laisse faire, allant l’attendre dans la chambre.

Je suis assis sur le lit lorsque mon téléphone sonne. C’est un appel de Judith, et je décroche.

- Oui ? Pourquoi tu m’appelles aussi tard ?

- Ton père… il est content de t’avoir vu.

En effet, j’ai accepté de rendre visite à mon père dans un parc de Kyoto, mais juste parce qu’il avait fait le déplacement depuis Tokyo et que je ne suis pas malpoli.

- D’accord.

- Merci de faire des efforts. Je lui ai beaucoup parlé, comme je t’ai dit, et je suis vraiment contente. Asahi n’est pas méchant, il a juste mal agi suite à la mort de ta mère. Il se sentait débordé.

Je soupire. Judith dit peut-être vrai, mais je ne suis pas encore prêt à voir ça comme ça.

Suhua entre dans la chambre et hausse un sourcil en désignant mon téléphone. Je bouge les lèvres pour articuler « Judith », tandis que l’intéressée me fait un monologue sur mon père.

Ma petite amie fait une petite moue puis tire les rideaux de la chambre, avant d’allumer la lampe de chevet et d’éteindre la lampe principale. Elle se laisse ensuite tomber à côté de moi sur le lit et tente de comprendre ma conversation avec ma belle-sœur.

- Je sais, Judith, mais si aujourd’hui je suis venu, ce n’était pas par envie. Je l’ai juste écouté parler et me servir ses excuses à la noix, puis je suis parti.

- C’est déjà ça, Felix. Bref, je suppose que tu es avec Suhua. Je te laisse.

Je souris.

- Merci.

- Salut.

- Salut.

Je décolle le téléphone de mon oreille et raccroche, puis je pose mon portable sur l’étagère à côté du lit. Je me tourne vers Suhua, tout sourire.

- Tu es proche de Judith ?

Je hausse les épaules.

- Pas plus que ça.

- Mais tu l’as beaucoup vue, ces derniers jours. Et là encore, elle t’a appelé.

Je comprends où Suhua veut en venir.

Je pousse un soupir et m’allonge. Ma petite amie fait de même et éteint la lumière, nous plongeant dans la pénombre.

- C’est une bonne amie, c’est ça ?

- Oui.

- Rien de plus… mais rien de moins.

Un peu agacé, je pince les lèvres et me tourne vers Suhua.

- Pourquoi est-ce que tu te prends la tête avec ça ? Tu n’as pas confiance en moi ?

- Si… Juste…

- On ne dirait pas, coupé-je.

Le choc se peint sur ses jolis traits, puis elle plisse le nez.

- Tu es sérieux ?

- Oui. Maintenant, dormons.

Je commence à m’avancer pour la serrer contre moi, mais elle recule. Je hausse un sourcil.

- Tu ne veux pas que je te prenne dans mes bras ?

- Non.

Je mords mes lèvres, déçu. Est-ce que c’est parce que je l’ai blessée ?

- Je peux au moins t’embrasser ?

Suhua semble en proie à un grand dilemme. Elle mordille sa lippe et soupire.

- Sur le front.

Je m’exécute, déposant un baiser appuyé sur ladite partie, puis je bouge légèrement et lui tourne le dos. Je sais qu'elle a besoin que je la rassure. Elle a probablement peur que je l’abandonne. Alors pourquoi je ne l'ai pas fait ? Peut-être que j'en avais un peu marre qu'elle ne me croit pas totalement. Après tout, j'ai une confiance aveugle en elle, mais je n'ai pas toujours l'impression que c'est réciproque. Mais maintenant, je m'en veux. J'aurais dû lui dire qu'elle se trompait, qu'elle savait pertinemment que je l'aimais plus que tout. Au lieu de ça, je me suis énervé. Je pousse un soupir, ne sachant pas trop quoi faire.

* * *

Je suis réveillé par des petites secousses. Je regarde par-dessus mon épaule et réalise que c'est Suhua qui me secoue. Je me tourne alors complètement vers elle, et plisse les yeux pour tenter de la distinguer dans la pénombre de la chambre.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Non, je... désolée de t'avoir réveillé pour ça... Je... J'ai froid.

Je remonte la couverture sur ses épaules.

- C'est mieux ?

Elle semble attendre autre chose, mais vu que je ne comprends pas, elle souffle.

- Laisse-tomber, c'est bon. Ça te dérange d'aller chercher une autre couverture ?

- Je n'ai pas envie de me lever, mais...

Je me rapproche d'elle, un peu hésitant. Est-ce que c'est ça, qu'elle attend de moi ?

- Je peux te réchauffer, si tu veux.

Je l'entends hoqueter de stupeur, puis elle plonge son visage dans ses mains et éclate de rire. Les joues brûlantes, je l'attire dans mes bras, l'enveloppant de ma chaleur corporelle.

- Qu'est-ce que tu ressens pour moi ? souffle-t-elle.

- Je t'aime de tout mon cœur.

- Non, je... je voulais que tu développes autrement qu'en disant "je t'aime".

Je me tais un moment pour choisir correctement mes mots.

- Je suis amoureux de toi. Quand je suis avec toi, je suis heureux. Quand on n'est pas ensemble, tu me manques. Et quand on passe la journée à travailler chacun dans un bureau et qu'on ne se voit même pas pour les repas... Chaque fois que je vois la nuit approcher, je suis content parce que je sais que je vais te retrouver. Je veux te voir heureuse.

Elle hoche la tête.

- Je suis désolé de m’être énervé tout à l’heure. Je sais que… c’est difficile pour toi. Mais je te jure que je ne t’abandonnerai jamais.

- Désolée aussi… J’ai été un peu jalouse.

Je souris et dépose des petits baisers entre sa tempe et sa mâchoire. Suhua s’accroche à mes épaules, et je tourne la tête vers l’une de ses mains, où je dépose un léger baiser.

- Tu ne m’en veux pas ? demande-t-elle.

- Pas du tout. Et toi ?

- Non.

- Alors c’est parfait.

Je me penche vers son visage pour embrasser ses lèvres, puis je cale mon menton au-dessus de sa tête et m’endors.

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