Chapitre 17 - Suhua

5 minutes de lecture

30 septembre – 14 heures 56

Kyoto

Je lis un web novel, un roman en ligne, allongée dans la salle de jeux vidéos sur les coussins. Felix, qui joue à tuer des gens dans un jeu où il est un mercenaire, s’arrête toutes les deux secondes pour taper des messages à sa sœur.

À un moment donné, il met en pause son jeu et attrape son portable à pleine main, se mettant à écrire frénétiquement.

- Non, mais j’y crois pas, grogne-t-il.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

Je mets en veille mon téléphone, même si j’étais en plein milieu d’une scène romantique.

Felix détache les yeux de son écran et les plante dans les miens. Il se racle un peu la gorge et je m’inquiète.

Karina et Robin sont en lune de miel au Royaume-Uni depuis presque un mois, et ils ont déjà des problèmes.

- Ma sœur…

- Oui ? pressé-je.

Felix soupire et passe une main dans ses cheveux, qui retombent ensuite légèrement sur ses épaules.

- Ma sœur est enceinte.

- Attends… Quoi ?!

Je fixe mon petit ami, espérant que c’est faux.

- Depuis combien de temps ?

- Robin l’a emmenée à l’hôpital de Glasgow quand ils l’ont su. Karina trouvait son ventre anormalement gonflé, alors… Elle a fait une échographie… Elle est enceinte depuis deux mois, environ.

- Et elle n’a pas remarqué qu’elle n’avait plus ses règles ?

- Elle a pensé qu’elles étaient en retard.

Je grogne.

- Bien sûr, en retard de deux mois.

Je ne comprends pas pourquoi je suis énervée. Certes, il est trop tard pour l’avortement, maintenant, mais si Karina et Robin se réjouissent de cette nouvelle…

- Ils en pensent quoi ?

Felix pince les lèvres.

- Ma sœur est affolée, elle ne veut pas trop du bébé. Robin est content, mais vu que Karina non… Il se sent triste.

- Mince…

C’est le moment que choisit mon portable pour vibrer. Judith m’appelle, excitée, pour me dire qu’elle est devant chez nous, même si ça ne se fait pas trop de débarquer comme ça chez les gens.

On va donc ouvrir à la belle-sœur de Felix, qui trépigne de joie.

- Mon frère va être père ! Je vais être tata !

Une pensée semble soudain traverser mon petit ami, qui se fige.

- Je vais être oncle, bredouille-t-il, choqué. Mais j’ai pas la maturité pour, moi !

- Tu as sept mois pour mûrir, réponds-je en lui tapotant l’épaule.

- Je veux pas d’enfant, c’est pas pour m’occuper de celui de ma sœur… Même si elle n’en voulait pas non plus.

Judith rit en nous écoutant, puis elle se laisse tomber sur les coussins de la salle à manger.

- Vous savez comment c’est arrivé ?

- Ben, ils ont passé un petit moment dans leur lit… Comment est-ce que tu veux que ça arrive, sinon ? demande Felix.

Sa belle-sœur hésite un instant avant de repartir dans un fou rire.

- Non, mais… Ils étaient pas protégés, ça a craqué… Tu vois.

Mon petit ami plisse les yeux.

- Je veux pas trop les détails de leur moment intime, pour tout te dire.

- Moi non plus, ajouté-je en amenant de quoi manger, même si nous sommes en plein milieu de l’après-midi.

Judith fixe un moment Felix, qui ne semble d’ailleurs pas s’en rendre compte tant il est subjugué par le café que je viens de poser devant lui. Il observe ensuite les gâteaux avec un certain dégoût et s’en éloigne imperceptiblement.

- Tu n’as pas faim ? demandé-je en secouant un mochi sous ses yeux.

Il recule assez brusquement, la mine dégoûtée, avant de secouer la tête.

- Je n’ai pas faim. Je dois être malade.

Je pose une main sur son front, qui est gelé plutôt que brûlant. Je pince un peu les lèvres.

- Sûr ?

- Oui. Mange-le, ce mochi. Il a l’air de t’attirer tout particulièrement. Je vais finir par être jaloux.

- N’importe quoi, grogné-je. Mange au moins un truc ! Tu veux une pomme ?

Son fruit préféré est la pastèque, mais ce n’est plus la saison. Et je lui aurais bien commandé du poulet frit coréen avec des gâteaux de riz parce qu’il adore, mais ce n’est pas trop l’heure. En revanche, je sais qu’il déteste les oignons, les carottes et les aubergines.

Bref.

- Non, je te dis que je n’ai pas faim. Ne t’en fais pas. Je… je crois que je suis un peu malade.

- Ah oui ? Dommage, j’ai des bonbons que je devais te faire goûter. Ceux dont je t’ai parlé la dernière fois, ajoute Judith.

Felix secoue la tête.

- C’est gentil, mais je n’ai vraiment pas faim. Sauf si vous tenez à ce que je vomisse partout.

- Non, c’est bon, réponds-je.

Je m’absente en cuisine pour préparer un thé à Judith, et j’en profite pour passer dans la salle de bain. Je manque de me casser la figure lorsque je me mets sur la pointe des pieds et que j’ai une crampe, mais je tiens bon et boite jusqu’à la salle à manger, où je tends à mon petit ami des médicaments.

- Tiens.

Je disparais à nouveau pour aller chercher le thé de la rousse.

Judith est assise, les jambes repliées, sa boisson entre les mains. Felix est en face, penché sur son portable, l’air distrait. Je suis à quelques pas, en train de ranger un peu le bazar de la salle à manger.

Ils parlent doucement, et je n’écoute pas vraiment. J’entends seulement quelques bribes.

- Tu t’en occupes bien.

Mon petit ami hausse les épaules, sans lever les yeux.

- J’essaye, en tout cas.

Judith ajoute quelque chose, que je ne comprends pas, mais je sens au ton de sa voix qu’elle sourit.

Elle pose ensuite des biscuits sur la table.

- Tu veux les goûter ? Je les ai pris en pensant à toi.

Felix secoue la tête, un peu agacé.

- Pas trop faim, répète-t-il assez sèchement.

- Dommage.

Je reviens m’asseoir, me laissant tomber à côté de mon petit ami. Il me jette un regard, puis reprend son portable, mais il se rapproche quand même de moi, nos bras se touchant.

Judith le fixe, un peu dépitée.

- Allez, Felix, pose ton téléphone. On est tous ensemble.

Lorsqu’il relève les yeux, c’est un regard noir qu’il pose sur sa belle-sœur. Je pense qu’il se retient de dire qu’on est tous ensemble parce qu’elle s’est invitée. Et s’il est vraiment malade comme il le prétend, sa mauvaise humeur est intensifiée.

- Tu devrais peut-être rentrer chez toi, suggéré-je à Judith.

- Mais…

- J’aimerais me reposer, coupe Felix en balançant son portable sur les coussins à côté de lui.

- Ok. On se reverra pour parler de ton père, Felix, de toute façon. Tu sais où me trouver.

Il pince les lèvres, et je raccompagne Judith à la sortie de la maison. Elle piaille un peu, me racontant sa vie, le travail, ses amis…

Lorsque je reviens dans la salle à manger, Felix boit un énorme verre d’eau puis se laisse tomber en arrière, s’étalant de tout son long sur les tatamis.

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