Chapitre 31 - Felix

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15 octobre – 13 heures 47

Kyoto

Judith a invité Suhua et moi pour se faire pardonner, et donc nous nous préparons pour partir chez ma belle-sœur. Ma petite amie, vêtue d’un corset bleu et d’un jean slim noir, montre sa minceur que je lui envie. Son dos nu est dévoilé parce qu’elle a attaché ses longs cheveux bruns en un chignon volumineux un peu lâche, maintenu par une baguette chinoise en bois, gravée de motifs asiatiques sur le bout.

- On peut y aller, lance-t-elle en enfilant des baskets blanches à semelles épaisses.

- Ok. Attends, Sunshine, tu as un truc dans les cheveux.

Je retire le petit insecte qui s’était posé sur une de ses mèches, puis j’ouvre la porte du pavillon principal.

* * *

Arrivés à l’appartement de Judith, nous toquons à la porte. J’entends une voix masculine qui me rappelle quelqu’un sans trop savoir qui, ainsi que la voix de ma belle-sœur, légèrement tremblante.

Je fronce les sourcils, et, voyant que personne n’ouvre la porte mais surtout pris d’un mauvais pressentiment, j’ouvre la cloison et indique à Suhua de rentrer.

Je me retrouve face à une scène que je compte bien oublier après.

Judith est assise sur son canapé, Akira la surplombant, la tenant par la gorge et tirant sur ses cheveux. Ma belle-sœur gémit et tente de se dégager, mais l’homme a plus de force qu’elle.

Je me demande s’il se souvient de moi.

Je m’avance dans la pièce et l’attrape par l’épaule pour le retourner, le contraignant à lâcher Judith.

Ses yeux sombres s’écarquillent lorsqu’il me voit, puis il me fusille du regard.

- Qu’est-ce que tu lui veux ? demandé-je froidement en donnant un coup de menton vers ma belle-sœur.

- C’est ma copine, je fais bien ce que je veux.

- C’est faux ! Je suis pas en couple avec toi, geint Judith.

Akira se retourne et lui jette un regard noir, avant de lui asséner une claque sur la joue.

- Ferme ta gueule.

Suhua s’approche de nous, un peu hésitante. Lorsqu’Akira la voit, un rictus méprisant se peint sur son visage.

- Comment va Karina ? questionne-t-il.

- Laisse ma sœur en dehors de ça, et laisse ma belle-sœur tranquille.

- Ta belle-sœur, hein ? Donc… Karina s’est mariée au frère de Judith ? Ça veut dire que je vais pouvoir la revoir !

- Non, réponds-je sèchement.

Je déteste ce mec. J’espérais ne plus jamais le recroiser puisqu’il vit à Tokyo, mais je me suis trompé. Cet imbécile me pourrit la vie, celle de ma sœur, et maintenant celle de ma belle-sœur.

Il n’a pas changé. Il a toujours ce petit regard suffisant, glacial, arrogant. Il croit que juste parce qu’il est plutôt beau, il peut faire ce qu’il veut avec les femmes qu’il fréquente.

Je baisse les yeux vers Judith, qui renifle en tapotant sa joue marquée par la main d’Akira. Suhua, à mes côtés, pose un regard froid sur Akira, comprenant qui il est et ce qu’il a fait à ma sœur.

Il l’a presque forcée pour leur première fois. Il ne sortait avec elle que pour les relations intimes.

Je déglutis et serre la mâchoire.

- Pars, soufflé-je.

- Pas alors que je commence à m’amuser ! J’étais simplement avec ma copine, je ne pensais pas que vous vous joindriez à nous. Alors comme ça, Felix, tu t’es trouvée une copine toi aussi ? Il était temps, n’est-ce pas ? Et puis, qui croyait à ton petit cirque d’homme innocent et célibataire à vie ?

Du coin de l’œil, je vois Suhua retirer de ses cheveux la baguette chinoise qui les maintient, avant de refaire son chignon en le serrant plus fort. Je m’apprête à répondre, mais ma petite amie avance d’un pas.

- C’est pas parce que tu es un connard que tout le monde est comme toi, crache-t-elle. Excuse-toi auprès de Judith, parce que ce que tu faisais, là, c’était l’agresser. Et tu as agressé Karina sexuellement. T’as de la chance que personne n’ait porté plainte.

Akira rit avant de poser sa main sur le front pour repousser Suhua. Je me tends immédiatement, prêt à en découdre avec lui.

- Je n’agressais pas Judith. Je lui faisais simplement un grand câlin. Laissez un peu d’intimité à notre couple.

- Mais vous n’êtes pas en couple, merde, s’énerve ma petite amie.

- Et qu’est-ce que t’en sais ? Qu’est-ce que tu connais aux relations amoureuses, alors que ton mec c’est Felix ? Enfin, « mec », je sais pas. Avec sa tête de fille, il…

Je ne sais pas pourquoi, même si je ne sais pas me battre et que je risque de prendre cher, j’envoie mon poing dans la mâchoire d’Akira. Je sens mes articulations craquer lorsque mes doigts s’abattent sur le visage de l’ex de ma sœur.

Il me fusille du regard avant de serrer ses poings à son tour.

- Je ne ferai pas ça si j’étais toi, Felix.

Il a raison. Il est deux fois plus musclé que moi, et même si nous faisons la même taille, il pourrait me dominer sans problème. Suhua n’est plus à côté de moi, elle a dû s’absenter pour appeler la police, mais Akira va finir par le remarquer. Il faut que je détourne son attention.

J’envoie alors un deuxième coup dans son visage, même si ça risque de très mal finir. Akira, rageur, essuie le fin filet de sang qui coule le long de sa mâchoire, avant de me rendre mon coup. Je titube en arrière et heurte l’îlot de la cuisine. L’ex de ma sœur continue de s’avancer vers moi, le regard noir. Je lui donne un coup de pied dans l’entrejambe, mais il se décale au bon moment et évite mon coup.

Akira se colle presque à moi. Je ne peux plus reculer, et mes mains sont cramponnées au rebord de l’îlot. Dire que je n’ai pas peur serait mentir. Mon rythme respiratoire est saccadé, mon ventre se tord et mon cœur bat trop rapidement. Je déglutis, tentant de ne pas laisser transparaître mon angoisse.

- Tu ne fais pas le poids, imbécile. Pourquoi m’as-tu frappé ?!

Akira attrape une de mes mèches de cheveux et tire dessus, rapprochant son visage du mien. Je sens son souffle sur mon visage et je pince les lèvres, dérangé. De son autre main, l’ex de ma sœur agrippe un des couteaux posés sur l’îlot, le plus petit, et l’approche de moi.

- Je pourrais me venger de tout ce que tu m’empêches de faire.

- En me tuant ? Tu vas juste t’attirer d’autres problèmes.

Il lève les yeux au ciel, approchant son couteau de ma main, toujours serrée sur le bord du meuble.

- Non.

Il plante la lame lentement sur le dos de ma main, avant de la retirer. Je sens un filet de sang chaud couler sur ma peau, avant de ruisseler et de se glisser à l’intérieur de la manche de ma chemise. Je n’ose pas regarder vers Judith, je préfère me concentrer sur les yeux froids d’Akira. L’endroit où il m’a frappé tout à l’heure, entre le cou et l’épaule, me fait terriblement mal. La douleur est chaude, comme s’il m’avait brûlé.

Je prie intérieurement pour que la police arrive, si c’est bien ce que Suhua est partie faire ; les appeler.

- Arrête, Akira… pleurniche Judith.

Il se retourne, son couteau toujours en main, et fusille ma belle-sœur du regard.

- Arrête de quoi ? Ils sont pénétrés dans ta maison, ils m’accusent d’agressions. Ils méritent bien une petite vengeance !

- Mais…

Akira donne une deuxième claque à Judith. J’en profite pour me dérober de son emprise et viens me placer à côté de ma belle-sœur.

J’entends soudain le grincement de la porte. Je tourne la tête vers l’entrée de la pièce, où deux hommes font leur apparition, suivis d’une Suhua fière d’elle. Je lui adresse un petit sourire avant d’observer les deux hommes. Ils portent un uniforme de policier, et ils regardent la scène, analysant qui est qui.

Je sens mes jambes trembler sous le soulagement. Les policiers s’avancent lentement, leur regard passant de Judith, recroquevillée sur le canapé, à Akira, toujours armé du couteau, puis à moi, la main ensanglantée.

L’un d’eux lève sa voix, calme mais ferme :

- Monsieur, posez ce couteau immédiatement et reculez.

Akira hésite. Son regard passe de l’arme à l’agent, puis à moi. Il serre les dents, comme s’il pesait le pour et le contre. Il finit par obéir et dépose la lame sur l’îlot, dans un petit tintement métallique.

- Ils m’ont agressé, dit-il. Ils sont entrés chez moi.

- C’est faux, s’étrangle Judith, les larmes aux yeux. C’est mon appartement. Il est venu sans prévenir, et il m’a frappée…

Le deuxième policier s’approche d’elle et s’accroupit face à ma belle-sœur. Elle sèche ses larmes et dissimule son visage derrière ses mèches rousses.

- Vous êtes en sécurité, maintenant, rassure l’agent. Avez-vous besoin de soins ?

Judith secoue la tête. Je pose mes yeux sur le premier policier, qui passe les menottes à un Akira rageur. Il me fusille du regard, et je porte ensuite mon attention sur Suhua, ses yeux brillants de colère mais aussi de peur, ainsi que sur ses cheveux trempés. Je regarde par la fenêtre et vois une pluie battante frapper la fenêtre.

- Tu vas bien ? me demande Suhua.

- Oui.

Elle observe ma main, sceptique, avant de l’attraper et de frotter le sang du bout des doigts.

- Il faudra désinfecter.

Je souris et passe mon bras autour de ses épaules, la collant à mes côtés.

Les policiers embarquent Akira, qui s’énerve tout seul, puis referment la porte et disparaissent. Je lâche Suhua pour m’avancer lentement vers Judith, qui tremble encore dans le canapé.

- Tu…

- Felix ! s’exclame-t-elle en se jetant à mon cou.

Elle trébuche, alors je la rattrape par la taille afin de l’éloigner de moi. Elle revient quand même à la charge en posant sa main sur mon bras.

- Merci, je suis désolée, à cause de moi, tu… je… Oh my god, montre-moi ta main.

Judith l’attrape et passe son index sur mon sang.

- Tu veux que je désinfecte ? J’ai de quoi le faire, si besoin.

Ma petite amie pose sur nous un regard un peu interloqué, mais je distingue quand même de la jalousie dans ses prunelles. Je retire donc ma main de celle de Judith en secouant la tête.

- Ça va, c’est bon. Inquiète-toi plutôt pour toi.

- Raconte pas n’importe quoi ! Suhua, tu peux aller chercher dans ma salle de bain de quoi désinfecter ?

L’intéressée plisse les yeux puis soupire, avant de hocher la tête. Elle disparaît dans la chambre de Judith. Cette dernière me regarde.

- Merci beaucoup, Felix. Tu m’as sauvée.

Je grimace.

- Pas vraiment, mais de rien.

Judith rougit en baissant ses yeux vers le sol puis les remonte lentement vers moi. Elle déglutit et je sens qu’elle hésite à parler. Elle finit par prendre une grande inspiration et me fixe dans les yeux, résolue.

- Felix… Je crois que… que je suis amoureuse de toi, dit-elle d’une voix basse.

Ah.

Je hausse un sourcil. C’est un peu horrible de dire ça, mais ça ne me fait ni chaud ni froid. Pourtant, Judith commence à s’avancer vers moi, et je m’éloigne un peu d’elle.

- Judith…

- Quoi ? Je n’y peux rien.

- S’il te plait, éloigne-toi… Je suis désolé, mais je te vois plus comme une sœur, je…

Je recule et rentre la tête dans les épaules, mais je heurte un mur. Judith est là, tout près de moi, ses lèvres prêtes à se presser contre les miennes. Contrairement aux battements de cœur effrénés et au rougissement qui m'auraient envahis si Suhua s'était trouvée en face de moi, je ressens plutôt une gêne immense et une envie de fuir.

La rousse continue de se rapprocher de moi, et j'ai bien peur que nos lèvres finissent par se toucher, alors que je désire plus que tout que Suhua soit la seule femme que j'embrasse.

Je déglutis, et entrouvre ma bouche, prêt à dire à ma belle-sœur de reculer. En plus du fait que je ne ressens littéralement aucun sentiment amoureux pour elle, Judith fait partie de ma famille, depuis que son frère s'est marié à ma sœur. Certes nous n'avons pas une seule goutte de sang en commun, mais ça serait trop bizarre de sortir avec ma belle-sœur.

C'est le moment que choisit Suhua pour débarquer dans le salon. Son visage se décompose, et elle fronce les sourcils.

- Suhua, tu...

Évidemment, elle ne me laisse pas finir. Ma petite amie pince les lèvres et s'enfuit de la pièce. Je pose ma main sur l'épaule de Judith pour la repousser un peu sèchement, avant de partir à la poursuite de Suhua sans faire attention à la rousse. La première descend les escaliers en courant, puis sort dans la rue. Je la suis en l'appelant, mais elle ne se retourne pas une seule fois. Cette fois, elle doit vraiment penser que je la trompe.

La pluie de tout à l'heure ne s'est pas arrêtée, elle s'est même intensifiée. Les phares des voitures sont allumés, et elles roulent lentement, mais ça reste quand même dangereux de traverser sans regarder à droite et à gauche. Pourtant, Suhua commence à poser un pied sur le passage piéton, toujours en courant. Lorsque je vois une voiture qui s'approche rapidement et que je réalise qu'elle n'aura pas le temps de freiner, j'accélère mes foulées et rattrape ma petite amie in extremis par le poignet, avant de l'attirer contre moi. Elle se dégage et me fait face, la pluie ruisselant sur ses joues se mêlant à ses larmes. Pourtant, elle me fixe furieusement, les yeux plissés et les poings serrés.

- Tu m'as menti !

- Non, Suhua, je t'assure que je ne ressens rien pour Judith.

- Tu penses que je vais encore te croire alors que je vous ai vus ? Non, mais tu me prends vraiment pour une idiote !

Je secoue la tête. Seulement, ma petite amie est persuadée d'avoir raison. Elle commence à tourner les talons et une vague de panique m'envahit. C'est le moment que choisissent tous mes souvenirs pour ressurgir. Je suppose qu'une tristesse en amène une autre, après tout.

Je revois ma mère, le frelon qui la pique, l'anaphylaxie qui a suivi. Mon père, la soirée VIP, qui plaque la meilleure amie de ma mère pour l'embrasser, son retour cette année. Ma rupture avec Suhua il y a trois ans, à Otaru.

Ma tête tourne et je commence à avoir envie de vomir. Je vois flou, et j'ai l'impression qu'un voile noir descend lentement devant mes yeux, tandis que je suis pris de vertige. Je me cramponne au poteau le plus près, essayant de repérer Suhua parmi la foule, mais je ne distingue plus rien. Mes oreilles bourdonnent puis sifflent, sans s'arrêter. Depuis quand n'ai-je pas mangé ? Je ne me souviens plus.

Un nouveau vertige m'assaille et je bascule.

* * *

Quand j'ouvre les yeux, je suis allongé dans un lit peu confortable. Les murs autour de moi sont d'un blanc immaculé, et je porte une blouse vert d'eau qui me gratte. Mon bras est relié à une perfusion qui contient un liquide transparent. Un médecin entre dans la salle, vêtu d'une veste blanche.

- Bonjour, Monsieur. Vous êtes réveillé.

- Je...

- La perfusion que vous avez ici est une perfusion de glucose, vous étiez en hypoglycémie. Une prise de sang sera effectuée pour vérifier que vous n'êtes pas en manque de potassium, de sodium ou de magnésium. Dites-moi, de quand date votre dernier repas ? Et je parle d'un vrai repas, avec des légumes, des protéines et des bonnes graisses.

Je creuse ma mémoire à la recherche d'une réponse.

- Je dirai... deux à trois jours.

- Et la dernière fois que vous avez mangé, même très peu ? Et qu'est-ce que vous avez ingéré, aussi ?

- Hier midi, j'ai mangé une clémentine.

L'infirmier pince les lèvres et note quelque chose sur son bloc-notes.

- Vous pouvez vous reposer, nous reviendrons plus tard. Souhaitez-vous manger ou boire ?

Je secoue la tête, la gorge serrée. La seule chose que je veux, c'est retrouver Suhua. Je n'en ai rien à faire d'être en hypoglycémie ou je-ne-sais-quoi. La personne la plus importante, c'est ma petite amie. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle fait, de où elle est, voire de ce qu'elle ressent.

- Reposez-vous, m'ordonne l'infirmier avant de disparaître.

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