Chapitre 13

8 minutes de lecture

Sa valise glissée dans le coffre de la Renault 5, Paul monta à l’avant sur le siège passager, son sac à dos sur les genoux. Son père enclencha la première pour s’engager sur la route, mais voyant sa mère sortir précipitamment de la maison avec un sac en kraft à la main, Paul lui demanda de s’arrêter.

— Tu as oublié les confitures sur la table !

Paul baissa la vitre, prit le lourd sac qui contenait en plus des pots de confiture, une brioche et un pain d’épices qu’elle avait fait le matin même. Il réussit à le loger tant bien que mal dans son sac et fit un énième baiser sur la joue de sa mère au travers de la vitre baissée. Elle pouvait être rassurée, son fils ne mourrait pas de faim ! Elle lui sourit en lui caressant la joue. À peine Paul remonta-t-il la vitre de la voiture que sa sœur accourut à son tour.

— Tu croyais partir sans me dire au revoir ?

— Madame était encore au téléphone. J'allais pas t'attendre et rater mon train pour toi ! répondit-il amusé en l'embrassant.

La voiture finit par quitter le trottoir.

Dans un wagon non-fumeur, Paul choisit un siège au hasard et cala sa valise dans un emplacement dédié, au-dessus de lui. Il s’installa sur le fauteuil côté fenêtre, son sac à dos posé à côté de lui. Alors que le train prenait sa vitesse de croisière, il sortit son walkman Sony. Il ajusta la mousse orange des écouteurs de son casque sur ses oreilles. Il laissa la musique l’envahir. Puis, il sortit le roman que lui avait offert ses parents. Une feuille pliée en deux était glissée à l'intérieur. C'était l'écriture de sa sœur. Coucou frérot. Merci encore pour le resto. J'ai adoré. Bon courage pour tes examens. Hâte de venir te voir cet été et d'aller au Petit Marcel, ce café a l'air trop bien. Prends soin de toi. Je t'embrasse. Paul sourit à la lecture de cette petite surprise. Il soupira en repensant à la soirée passée dans ce café. Les sentiments qu'il éprouvait restaient contradictoires. Mais il préféra ne pas s'y appesantir une fois de plus et reprit son livre. Dans sa préface, Paul découvrit une carte des Etats-Unis avec le tracé des différents voyages que les personnages du roman, Sal Paradise et son compagnon de route, Dean Moriarty allaient accomplir sur plusieurs années. Il commença les premières pages, le livre posé sur les jambes, les genoux calés contre le siège de devant.

Absorbé par sa lecture, il ne vit pas tout de suite la jeune fille qui vint s’asseoir sur le fauteuil de la rangée voisine. Il finit par lui jeter un coup d’œil rapide, quand il aperçut sa longue cape noire brodée et une broche dans ses longs cheveux blonds. L’étudiante russe de la lucarne ! La fille lui rendit son sourire et lui fit signe de lui montrer ce qu’il lisait. Regardant la couverture du roman, elle lui répondit, mais Paul n’entendait rien. Il retira son casque.

On the road ! Génial, ce livre donne envie de voyager, n’est-ce-pas ?

Paul lui indiqua les maigres pages qu’il avait lues. Il nota son fort accent étranger malgré l'excellente diction de son français. Ça ne peut pas être l’étudiante russe dont Tom m’a parlé. La coïncidence est trop énorme.

— Vu votre enthousiasme, je pense que je vais aimer. Et vous, vous êtes en voyage à travers la France ?

— Oh non pas du tout. Je suis partie visiter une amie anglaise qui habite près d’ici. Et maintenant je retourne chez moi, en ville. Vous aussi vous rentrez chez vous ?... Mais dites moi, nous nous sommes déjà rencontrés, non ?...Mais oui, je vous reconnais. C’est vous, le jeune homme que l’on a agressé au Petit Marcel. Votre nez, il n’est pas cassé ?

Paul était abasourdi.

— Heu… Oui, c’était moi. Ça va beaucoup mieux maintenant. Merci beaucoup. Vous étiez là le soir de mon agression alors ?

Oui, elle y était. Comme plusieurs autres clients, elle était sortie du café pour savoir de quoi il s’agissait. Elle l’avait vu étendu sur un banc. Le jeune homme à ses côtés était dans tous ses états. Le serveur et un ami à elle s’étaient occupés de lui. Elle avait assisté à l’arrivée de l’ambulance. Plus tard dans la soirée, elle et son ami avaient fini par partir.

Paul n’en revenait pas. Quel concours de circonstances incroyable ! Poussé par la curiosité, il lui demanda quelles études elle faisait en France. La jeune fille se mit à rire. Elle n’était pas du tout étudiante. Elle travaillait dans l’épicerie de son oncle près du grand hôpital de la ville et vivait dans un petit appartement près de l’université avec sa sœur. Comme elle, celle-ci avait quitté la Russie pour la rejoindre en février dernier. En septembre, elle s’était inscrite à l’université pour y faire des études de lettres classiques. La fille qui se trouvait devant lui n’était donc pas la fille dont Tom lui avait parlé, mais sa sœur ! Elle lui demanda si lui aussi était étudiant. Ce qu’il confirma. Il était en première année d’Histoire. Aujourd’hui, il revenait en ville après un séjour chez ses parents.

Le train commença à ralentir lorsqu’une voix annonça leur arrivée imminente en gare. Paul rangea ses affaires dans son sac et attrapa sa valise. Il se retourna vers la jeune fille qui n’avait pour bagages qu’un simple petit sac noir qu’elle portait en bandoulière.

— Enchanté d’avoir fait ta connaissance, je m’appelle Paul.

— Moi aussi, je suis ravie. Et je suis heureuse que tu ailles mieux, Paul. Moi, c’est Barbara. À bientôt, j’espère, au Petit Marcel peut-être !

Ils descendirent ensemble du wagon, rejoignirent rapidement le hall de la gare et sortirent tous les deux parmi la foule des passagers. Ils se suivirent jusqu’à l’arrêt de bus. Un premier arriva, mais ce n’était pas celui que Paul prendrait pour rentrer chez lui. Barbara monta la première. Elle le salua avant d’aller s’asseoir au fond. Il attendit le sien.

Arrivé devant la porte de son immeuble, il chercha ses clefs au fond de son sac à dos. Il finit par les trouver et ouvrit la porte. Il récupéra une pile de courrier dans sa boîte aux lettres et prit les escaliers qui menaient, trois étages, plus haut à son logement. À ce moment-là, la porte d’entrée du rez-de-chaussée s’ouvrit sur la concierge de l’immeuble.

— Bonjour Paul, excusez-moi de vous sauter dessus comme ça, j’espère que vous avez passé de bonnes fêtes en famille. Juste pour vous dire qu’un jeune homme de votre âge est passé plusieurs fois sonner à votre interphone. Et au bout du troisième jour, comme il insistait, je me suis permise de le faire entrer dans le hall pour savoir ce qu’il voulait. Il m’a assuré qu’il était un de vos amis. Pourtant, je ne l’ai jamais vu auparavant. Il m’a demandé si je savais quand vous reveniez. Je lui ai dit que vous étiez chez vos parents pour les fêtes et que vous reveniez seulement à la rentrée. J’espère que j’ai bien fait. Il vous a déposé une enveloppe dans votre boîte aux lettres, vous verrez.

Paul posa son bagage sur la marche de l’escalier.

— Heu… Oui Myriam, vous avez bien fait, c’est gentil à vous. À quoi ressemblait-il ?

La description que la concierge lui fit de l’homme ne correspondait pas du tout à celle de Tom. Un monsieur avec une boucle d’oreille en argent et une queue-de-cheval, portant une veste perfecto en cuir. Paul remercia une nouvelle fois la concierge, lui souhaita de très belles fêtes de fin d’année et monta quatre à quatre les escaliers. Il se pressa d’ouvrir la porte de son appartement. Il déposa sa valise et son sac sans ménagement dans l’entrée. Il fit tomber sa pile de courrier qui s’éparpilla au sol. Il prit la peine de refermer la porte à double tour et se mit à quatre pattes pour récupérer l’enveloppe que l’inconnu avait déposée à son attention. Il la vit, entre deux prospectus, la déchira sur le côté, déplia la feuille pliée en trois et lut :

Rassure-toi, tu n’auras plus jamais d’ennui. Signé, un ami.

Il relut la phrase avec circonspection. Il lâcha la feuille, la main tremblante. Il fit automatiquement le rapprochement avec son agression. Il chercha dans sa mémoire à qui pouvait correspondre le visage de l’homme dont sa concierge lui avait fait le portrait. Soudain, il se rappela. Serait-ce le mec qui l’avait abordé au Petit Marcel lorsqu’il passait commande ? Son corps fut parcouru de tremblements sans qu’il ne puisse les contrôler.

*

L'eau chaude atténuait ses tremblements. Il conserva la tête baissée encore quelques minutes, le temps que le jet d'eau lui masse le cou et les trapèzes. Il finit par sortir de la douche, s’essuya lentement pour apaiser chaque partie de son corps. Il passa le premier pantalon de jogging qui lui tomba sous la main, attrapa un t-shirt propre dans son armoire et enfila une paire de chaussettes. Il prit le temps de défaire sa valise, de ranger ses provisions dans un placard de son espace cuisine. Il se prépara un café, attendit patiemment qu’il finisse de couler pour le boire à petites gorgées, assis sur le tabouret.

La douche et le café l'avaient réchauffé et lui avaient redonné une certaine clairvoyance. D’un bond, il récupéra le numéro de téléphone de Tom dans son manteau et composa les chiffres sur le cadran. Huit longues sonneries avant de raccrocher. C’est à ce moment-là seulement qu’il aperçut le petit bouton rouge de son répondeur clignoter, indiquant plusieurs appels en absence et un message. Il l'écouta.

Bonjour Paul, c'est Marianne. T'es là ? Je viens d'avoir ta mère au téléphone. Elle m'a dit que finalement, tu avais décidé de rentrer plus tôt que prévu. Elle m’a aussi dit que tu avais eu le nez bien amoché. Elle m’a posé plein de questions sur toi. Elle s’inquiète, tu sais, nous aussi d’ailleurs. J'appelais chez eux persuadée que tu y étais. Enfin bref, tout ça pour te dire que nous nous t’attendons le 31 à 20h pétantes. Fais-toi beau et prévois une bonne bouteille. Paul, t’es là, allez décroche… Bon, bah, j’essayerai de te rappeler demain midi. Je t’embrasse. Ah oui j’oubliais, Tristan te passe le bonjour. À demain. Biip.

Paul sourit malgré lui. Le message de son amie le réconforta immédiatement. Il remercia intérieurement la concierge, estimant que l’inconnu ne reviendrait pas avant la rentrée, s’il revenait, ce qui lui laissait trois jours de répit. Il fallait tirer toute cette affaire au clair, et cela, au plus vite.

Il essaya une nouvelle fois d’appeler Tom, et à sa grande surprise, celui-ci décrocha du premier coup. La conversation fut brève. À la voix de Tom, Paul comprit qu’il avait dû attendre son appel avec impatience. Il resta distant. Il exigea de savoir pourquoi il s’était fait agresser, et pourquoi il avait reçu la visite d’un inconnu qui avait déposé chez lui un message. Au bout du téléphone, la voix hésitante de Tom. Bien sûr, il répondrait à toutes ses questions. Il était encore désolé, mais qu’il se rassure, tout allait rentrer dans l’ordre. Le mieux était qu’ils se voient. Paul décida qu’il pourrait être chez lui dans vingt minutes environ, soit vers vingt-deux heures. Il raccrocha, sans laisser à Tom la possibilité de terminer sa phrase.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0