Chapitre 14

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Ventre noué, cou tendu, Paul tenait fermement les bretelles de son sac à dos, les mains crispées. Ne pas se laisser gagner par la peur lorsqu’il reverrait Tom. Était-il raisonnable d’aller chez lui pour en savoir plus ? Il aurait dû aller directement à la gendarmerie pour tout leur déballer. Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Le sourire de Tom au Petit Marcel ? Sa gentillesse de s’être occupé de lui le lendemain matin ? La sincérité de ses yeux ? Était-il trop naïf pour comprendre qu’il valait mieux se retirer du jeu avant qu’il ne soit trop tard ? Autant de questions auxquelles la seule réponse qu’il avait trouvé était : suivre son instinct. T’es complètement fou Paul. Pourquoi ne restes-tu pas un jeune étudiant sage et sans histoire ?

Le bus s’arrêta. Il descendit le premier. Il avait le temps de traverser avant que le suivant, qu’il apercevait au loin, n’arrive. Mais au dernier moment, il stoppa net, en apercevant sur le trottoir d’en face, un homme qui lui tournait le dos, devant la porte de chez Tom. Paul prit peur en croyant le reconnaître. Il fit deux pas en arrière et trébucha maladroitement sur une dame qui lui hurla de faire attention à l’endroit où il mettait les pieds. Il bredouilla des excuses maladroites. L’homme, surpris par les cris, se retourna et l'aperçut. Il traversa aussitôt la rue pour le rattraper. Il fut stoppé par le bus qui arrivait, laissant juste le temps à Paul de s’enfuir dans la direction opposée.

Sans réfléchir, Paul courut dans la première rue qui se présentait à lui. Déboucha sur une ruelle sombre. Traversa aussi vite que possible. Des pas rapides derrière lui. Il se retourna et vit l’homme à la queue de cheval gagner du terrain. Son pouls s'accélèra. Aucun doute, c’était bien l’homme que lui avait décrit sa concierge. Là, c’est sûr, t’es complètement barge de courir comme ça en pleine nuit. Si c’est ça, suivre ton instinct, c’est complètement raté. Mais qu’est-ce qu’il me veut ? C’est ton agresseur ? Ne réfléchis pas et cours le plus vite possible idiot ! Accélération. Devant lui, l’entrée d’un parc. Il sauta par-dessus une barrière, heureusement basse et fit un atterrissage parfait sur l’herbe. Fuite le long d’une rangée d’arbres. Descente d’escaliers en pierre et contour par la gauche. Il se cacha dans un gros massif de lauriers. Tout son corps tremblait. Ses poumons étaient en feu, à tel point qu’il avait du mal à reprendre son souffle. A la faveur de l’obscurité, l’homme ne le vit pas et regarda dans tous les sens.

— Paul montre toi, je ne te veux pas de mal !

Sans perdre de temps, Paul sortit de sa cachette et se remit à courir dans le sens opposé. L’homme s’en aperçut et se lança à sa poursuite. Encore plus essoufflé que jamais, Paul rassembla toutes ses forces et continua sa course. Il dévala deux petits escaliers à toute allure, emprunta un chemin au hasard. Au détour d’un croisement, il trébucha sur le sol, se réceptionna sur les mains, se releva aussitôt. Quelques mètres plus loin, trois marches plus bas, une impasse encore plus sombre. Plaqué contre un mur recouvert de lierre, plongé dans l’obscurité la plus complète, Paul espéra un instant ne pas être découvert. Une longue minute pour reprendre haleine. Il entendit le souffle court de l’homme qui s’arrêta sur la première marche.

— Sors d’ici Paul, je sais que t’es là !

Respiration bloquée. Dans le noir, Paul voyait uniquement sa silhouette et sa queue de cheval. L’homme descendit la deuxième marche.

— Sors je te dis, c’est ridicule, je veux juste te parler.

Paul le laissa approcher encore un peu et saisit le moment qu’il jugea le meilleur pour lui sauter dessus. Plaqué au sol, l’homme reçut une volée de coups de poings désordonnés que Paul lui asséna sans réfléchir. Mais il sentit deux mains le saisir par les épaules. Il se retourna. C’était Tom qui lui faisait face.

— Paul arrête, je t’en supplie, arrête.

L’homme gémissait sans pouvoir bouger, Paul accroupi sur lui. Les poings prêts à frapper si nécessaire. Ses mains écorchées. Il n’en revenait pas de ce qu’il venait de faire.

— C’est toi qui m’a agressé dans la cabine téléphonique ??? Réponds !!!

— Mais non putain. J’ai juste déposé une enveloppe dans ta boîte aux lettres, gémit l’inconnu.

Furieux et doublement méfiant, Paul ne lâcha pas sa prise. Il était hors de lui. Il avait l’impression de ne plus rien contrôler.

— Il te dit la vérité Paul, je le connais. Je t’assure. Rickie est incapable de faire de mal à qui que ce soit. C’est lui qui est venu m’aider à te transporter dans le café avant que l’ambulance arrive. Lâche-le s’il te plaît, lâche-le !

— Tu le connais en plus ? Le relâcher ? Tu déconnes, j’espère. Vous avez un sacré problème vous deux !

Soudain, la tension extrême de son corps tout entier se brisa en lui, comme si l’adrénaline s’était entièrement vidée en quelques secondes, aussi vite qu’elle était montée. Les yeux pleins de larmes, il regardait Tom s’approcher de lui doucement. A peine eut-il posé ses mains sur ses épaules qu’il se dégagea brutalement.

— Lâche moi putain…

Il se releva à bout de force. Rickie en profita pour faire de même et essuya avec sa manche les quelques gouttes de sang qui perlaient de sa lèvre.

— Tom, il faut vraiment qu’on parle tous les deux, c’est important.

Tom semblait réfléchir, indécis. Il se sentait piégé face à Paul à qui il ne pouvait encore rien dire.

— Ouais, je sais.

— Je ferais mieux de m’en aller. Excuse-moi Paul de t’avoir fait peur comme ça. Tu m’as l’air d’un mec bien. Je ferais tout pour te prouver que Tom n’a rien à voir dans cette histoire. Et que moi non plus par la même occasion. Je suis vraiment désolé.

Les deux garçons le regardèrent s’en aller.

— Je comprends rien Tom, je comprends vraiment rien de rien à vos histoires. Et d’ailleurs j’en ai rien à foutre. Je veux plus rien savoir. Lâchez-moi tous les deux. J’me casse. Et pas la peine d’essayer de me revoir. Oublie moi.

Tom essaya de le retenir mais il se dégagea une nouvelle fois. C’était sans appel. Il le quitta sans se retourner.

Paul s’écroula sur son lit, fou de rage, en pleurant sans pouvoir s’arrêter. A ce moment-là, il aurait eu terriblement envie d’avoir Marianne et Tristan à ses côtés pour vider son sac et tout ce torrent de sentiments contradictoires qui le consumaient. Mais que leur dire et par où commencer ? A bout de force, il renonça à l’idée de les appeler et finit par s’endormir, tout habillé.

*

On sonna à la porte. Marc jura tout bas. Qui pouvait bien venir chez lui à cette heure tardive le déranger ? Il prit le temps de sortir de la salle de bain en attachant son peignoir, les cheveux encore mouillés. La sonnette retentit de nouveau. Il pesta de plus belle, vérifia par le judas qui était son visiteur, avant de lui ouvrir. Rickie entra, essoufflé, le visage meurtri, les larmes aux yeux. Affolé, Marc le conduisit aussitôt dans la salle de bain. Il le fit asseoir sur un tabouret, sortit le nécessaire de sa boîte à pharmacie pour le soigner. Il nettoya délicatement sa lèvre tuméfiée. Que lui était donc t-il arrivé ? Rickie mit quelques minutes pour se calmer avant de pouvoir lui répondre. Son courage retrouvé, il le fixa droit dans les yeux. Il eut du mal à soutenir son regard charmeur qu’il l’avait tant aimé. Mais il était résolu à ne pas dévier de ce qu’il s’était répété mille fois dans la tête avant de venir.

— Regarde-moi, Marc, c’est toi qui a frappé l’étudiant au Petit Marcel ?

— Mais de quoi tu parles ? Tu débarques ici sans prévenir, je m’occupe de toi, et tu m’accuses ? Tu peux faire demi-tour tout de suite, répondit-il d’un ton vainement offusqué.

Rickie n’en croyait pas un seul mot. Ils se connaissaient trop bien pour que Marc réussisse à lui mentir de la sorte. Sa tête cognait à tout rompre. Il était fatigué et excédé. Comment avait-il pu croire un instant que Marc allait se dénoncer aussi facilement ? Comment pouvait-il encore supporter sa mauvaise foi, et surtout sa violence ?

— Marc, écoute moi bien : je suis bien content de t’avoir quitté. Tu le sais, c’est définitif. Je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête, mais je te conseille d’aller voir quelqu’un pour en parler. Un conseil : tourne la page et passe à autre chose.

Marc eut un accès de colère rentrée, le réduisant au silence, le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire. Il termina ses soins, rangea la boîte à pharmacie. Voulait-il un café ? En attendant, il pouvait s’installer sur le canapé en cuir. Rickie, décontenancé, alla s'asseoir, obéissant. Son hôte revint, une cigarette aux lèvres, avec un plateau qu’il posa sur la table en verre devant eux. Il lui présenta une tasse, prit la sienne et commença à la boire, le plus tranquillement du monde. Après avoir bu la sienne, Rickie finit par briser le silence.

— Tu ne dis rien ?

— Décidément, mon pauvre Rickie, ta sensibilité exacerbée te joue des tours. Rassure-toi, tout va bien. Tu veux savoir la vérité ? Et bien, tu vas l’avoir, même si elle te fait de la peine : je t’ai déjà oublié, assura Marc, expulsant d’un jet la fumée de sa cigarette par les narines.

Malgré l'épuisement qui se lisait sur son visage, Rickie ne se laissa pas intimider pour autant.

— T’es qu’un menteur et manipulateur Marc. Et un gros connard violent, par-dessus le marché. T’as besoin d’aide, tu sais.

— Oui, je sais, tu viens de me le dire. Mais tu délires mon pauvre Rickie.

— Bah voyons ! Comment j’ai pu être aussi aveugle ?

— Tu vas me faire pleurer, mon petit. Retourne donc dans les jupes de ta mère ou de ton amie russe, elle saura te réconforter, elle.

— Oui, tu as raison. C’est elle qui m’a ouvert les yeux, figure-toi. Mais dis-moi, t’as trouvé une nouvelle cible ? C’est au tour de Tom à présent ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ? dit-il, plein d’amertume dans la voix.

— Tom, ce n’est qu’un petit con prétentieux qui a abusé de ma confiance et de ma générosité. Il faut juste lui apprendre les bonnes manières et le respect, dit-il avec aplomb tout en faisant tomber des cendres au sol.

— Regarde-moi dans les yeux Marc, et jure moi que tu n’as rien à voir dans l’agression de Paul !

Marc le regarda froidement, serrant le poing. Rickie reposa sa tasse brutalement sur la table. Tout était clair à présent. Il ne pouvait plus nier la vérité qu’il pressentait depuis le départ. Comment Marc en était-il arrivé là ? Combien de fois avait-il assisté à ses emportements, à ses crises de rage, sans rien faire ? Guidé par la peur, il lui avait toujours trouvé des excuses. C’était ça son problème. T’es vraiment trop con Rickie. Il se serait giflé. Il se leva excédé.

— Allez, dégage de chez moi Rickie. Mets-la un peu en veilleuse pour une fois. Je veux plus voir ta sale petite gueule de pédé en souffrance qui passe son temps à se lamenter. On dirait qu’il n’y a que toi et seulement toi qui souffres dans ce monde.

Il l’entraîna, de son bras musclé, en direction de la porte. Rickie n'eut pas le temps de répondre, seulement celui de refermer son perfecto avant que Marc ne le pousse violemment dehors, manquant de se brûler les doigts avec le reste de sa cigarette.

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