Chapitre 16

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Paul avait passé la plus grande partie de la journée à réviser. Il était content de lui, il avait bien avancé dans ses fiches. Lui qui se faisait une montagne de ses futurs examens, il se sentait prêt ou du moins plus assuré. Il ne s’était accordé aucune pause hormis un repas frugal. En fin d’après-midi, il s’était douché, rasé de près et avait repassé ses habits pour la soirée. Il reprit alors sa lecture de Sur la route. Il était fasciné par l'écriture de son auteur, Jack Kérouac, aussi rythmée et libre qu'un morceau de jazz. Une partition improvisée qui allait à cent à l'heure, à l'image de ses personnages qui semblaient vouloir profiter, expérimenter, ressentir chaque instant, chaque pulsation dans leur corps, dans leur esprit, sans en perdre une fraction de seconde, pour atteindre l'authenticité de la vie. Il faudrait qu’il en parle à son ami Tristan, ça pourrait lui plaire !

Vingt heures déjà. Il n’avait pas vu l’heure passer. Un quart d’heure plus tard, dans un froid glacial, son écharpe remontée jusqu’au nez, il attendait son bus pour rejoindre ses amis, excité à l’idée de faire la fête.

Il sonna à l’interphone de la porte de l’immeuble de Marianne et de Tristan qui, après l’avoir reconnu, déclenchèrent l’ouverture de la porte. Il grimpa tout sourire les deux étages. Sur le palier, Marianne lui sauta dans les bras.

— Paul ! Je suis trop contente que tu sois là !

Paul entra dans le salon où déjà plusieurs invités étaient arrivés. En balayant la pièce du regard, il s’aperçut qu’il n’en connaissait aucun, hormis Tristan qui vint à sa rencontre.

— Oh, mais c’est qu’il s’est mis sur son trente et un ce soir ! Viens là que je t’embrasse. Tu m’as manqué, tu sais.

Il lui prit la bouteille et le remercia chaleureusement.

Paul était habillé en noir de la tête aux pieds et avait osé mettre une cravate satinée rouge qui donnait une touche, l’espérait-il, assez classieuse à sa tenue.

— Les amis, je vous présente Paul… Il existe vraiment, on ne vous avait pas menti ! annonça Marianne à la cantonade.

Paul la fusilla du regard avec amusement. Sur le canapé, était confortablement installé un couple d’étudiants qui s’embrassait. Ils le saluèrent et retournèrent à leur baiser. Dans un vieux fauteuil élimé, une jeune fille. Une blonde, aux cheveux longs réunis en une longue tresse, à la silhouette fine et gracieuse, dont le visage lui était familier. Elle croisait les jambes et tenait dans sa main une flûte de champagne. Il se pencha pour lui faire la bise.

— Zofia, je te présente Paul, mon ami de lycée.

Elle le félicita timidement pour le choix de sa cravate. Paul remarqua dans sa voix son accent étranger. Il la remercia, un peu embarrassé et la complimenta à son tour pour la beauté de son bijou. Il détourna aussitôt son regard vers deux garçons aux cheveux longs, assis par terre sur un tapis, en train de choisir de la musique pour la soirée. Ils se retournèrent pour lui tendre la main.

— Aaah, le fameux Paul qui se cache ! dirent-ils en cœur avant de replonger dans leur sélection.

Marianne l’attrapa par le bras pour l’emmener directement dans la cuisine en refermant la porte.

— Mais vous vous êtes fait tout beau jeune homme, que me vaut cet honneur ? Tu m’as l’air rayonnant dis-moi. Ça va mieux ton nez ? Oh Paul, ça fait trop longtemps que l’on ne s’est pas vu. Qu’est-ce que tu racontes, dis-moi tout !

Elle s’accrocha à son cou. Paul leva les yeux au plafond.

— Chère demoiselle, vous êtes resplendissante vous aussi. Ce petit chignon et ce rouge à lèvres vous vont à ravir. Si je me suis fait beau ce soir, c’est spécialement pour vous. Mon nez va mieux, je vous remercie. En revanche, je n’ai rien à vous raconter madame-je-veux-tout-savoir !

Il essaya d’échapper aux bras de Marianne qui resserrait son emprise.

—Vous n’allez pas vous en tirer à si bon compte… Et dans votre regard ? Je vois que vous êtes un vilain cachottier, minauda-t-elle.

Il secoua la tête pour lui signifier qu'il n'avait rien à se reprocher et déposa un baiser sur sa joue.

— Moi vous cacher quelque chose ? Comment oserais-je et surtout, comment le pourrais-je ?

Des cris de joie de l’autre côté de la porte. Des “vous voilà enfin”, “déposez vos affaires”, “vous voulez boire quelques chose ?”

— Monsieur, sachez que je ne vous lâcherai pas tant que vous ne m’aurez pas la vérité, insista-t-elle.

À ce moment-là, la porte s’ouvrit en grand. Tristan, les mains pleines de bouteilles.

— Ravitaillement, nous voilà ! Oups, conspiration dans la cuisine ! Continuez continuez, je ne fais que passer…

Paul en profita pour échapper aux bras de Marianne et attrapa au vol une bouteille des mains de Tristan.

— Premier prélèvement de la soirée ! Je me dévoue pour la goûter et vous dire si elle est empoisonnée ou non !

— Que la fête commence ! s’écria Tristan qui posa les autres bouteilles sur la table et suivit par Paul, les mains accrochées à ses épaules.

— Vous ne vous en tirerez pas comme ça mon ami, je n’ai pas dit mon dernier mot ! lança Marianne qui voyait le doigt de Paul lui dire non.

La pièce était tout à coup bondée. Une vingtaine de personnes au moins. La table du salon et les chaises poussées contre le mur. Une piste de danse sur laquelle les invités se déchaînaient sur Marcia Baila. Paul ouvrit la bouteille, servit plusieurs verres et alla rejoindre Tristan qui se déhanchait sur la musique en levant les bras. Après avoir dansé sur plusieurs morceaux et s'être servi un troisième verre, Paul finit par se décider à inviter la jeune fille blonde à danser.

— Tu passes une bonne soirée ? lui dit-il dans le creux de l’oreille alors qu'il l’enlaçait sur un morceau plus calme.

— Oh oui, vous aussi ? Vous êtes le meilleur ami de Tristan, c’est bien ça ? Marianne m’a beaucoup parlé de vous, dit-elle de sa voix douce et timide.

— Oh oh... J’imagine, mais je ne suis pas celui que tu crois, elle a dû te raconter n’importe quoi, répondit-il d’un clin d’œil.

Sourire de la jeune fille.

— Marianne m’a dit que vous étudiiez l’histoire et que vous habitiez un petit appartement tout seul, dit-elle avec quelques hésitations dans le choix de ses mots.

— Et bien, je ne peux plus rien te cacher. Je suis très content d’être à la faculté, mais je ne pensais pas qu’il y avait autant de travail. Et toi ?

— Je vais à des cours avec Marianne et Tristan. Mais c’est encore parfois difficile pour moi de tout comprendre. Mon français n’est pas encore parfaitement correct. Je suis arrivée en France au début de l’année rejoindre ma sœur. En Russie, j’ai étudié beaucoup le français, mais ici, vous parlez vite.

Il n’en revenait pas. Il était en train de danser avec la sœur de Barbara !

Il la félicita pour son français. Elle le remercia, rougissant du compliment. Ils dansèrent jusqu’à la fin du morceau, avant de se remercier mutuellement et de se séparer.

La chaleur était montée dans la pièce. La fête battait son plein. Paul accorda une danse à Marianne, bientôt rejoint par Tristan. Ils formèrent une ronde à trois, épaule contre épaule, tête contre tête.

— Qu’est-ce que ça fait du bien de se retrouver tous les trois, s’exclama Marianne.

Ils se regardèrent dans les yeux et se mirent à rire comme des fous, sans pouvoir s’arrêter.

*

Danser procurait à Paul une sensation de liberté retrouvée. Son corps pulsait d’une telle énergie qu’il avait l’impression d’en ressentir chaque cellule. Il s’assit un instant pour reprendre son souffle et boire un verre d’eau. Il desserra le nœud de sa cravate. Un peu d’air frais lui ferait sûrement du bien. Il poussa la porte-fenêtre coulissante qui donnait sur un petit balcon, où un couple s’embrassait.

— Oh, désolé….

— T’inquiète, on allait rentrer.

Ils lui cédèrent la place. La porte fermée, Paul était tout de suite plus au calme. Accoudé au balcon, la musique de la fête lui parvenait, assourdie. Il se perdit dans la contemplation de la ville. Au loin, les ombres des immeubles, aux multiples fenêtres illuminées, semblaient dessiner des guirlandes de lumière scintillante suspendues dans les airs. Au-dessus, plusieurs nuages allongés planaient, immobiles, dans la nuit sans vent.

Barbara et Zofia. Il imagina leurs deux visages côte à côte. Chez elles, dans leur cuisine. La lucarne...Tom...Leur rencontre. Tom. Toujours Tom. Ce garçon qui revenait sans prévenir, toquer dans un coin de sa tête. Il soupira, songeur. Où était-il en ce moment ? Au Petit Marcel, comme il lui avait dit ?

Paul se pencha à la rambarde en fer et regarda un instant la rue. En bas, une personne lui criait quelque chose qu’il ne comprit pas, mais le salua en retour, amusé de la voir zigzaguer. Il n’entendit pas la porte coulisser.

— Bonsoir, sacrée fête, n’est-ce pas ?

— Ah oui, sacrée fête comme vous dites, répondit Paul, absorbé par la rue, ne prenant pas la peine de regarder la personne à qui il parlait.

— Paul, c’est moi !

Paul se retourna et sursauta.

— Toi ! Que fais-tu là ? s'exclama Paul, déjà prêt à quitter le balcon.

— Non, attends, Paul, s’il te plaît, supplia Rickie d’un ton apaisant.

Il avait le coin de la lèvre enflée. Paul le considéra un instant sans rien dire, comme figé, ne sachant pas quelle attitude adopter. Il se sentait coupable aussi.

— Rickie, c’est ça ? Ça te fait mal ?

L’homme acquiesça.

— Oui, mais ça va, t’inquiète, répondit-il timidement.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

— C’est Marianne et Tristan. Ils m’ont gentiment proposé de passer faire un tour.

Paul était abasourdi.

— Le hasard des rencontres tout simplement.

— Je ne crois plus au hasard moi, se défendit Paul qui se demandait comment les choses allaient tourner. Rester sur tes gardes.

— Écoute-moi, Paul, je suis encore une fois désolé.

— Tu peux, trancha-t-il.

Une sourde colère mélangée de crainte montait en lui. Il ne put s'empêcher d'en vouloir en savoir plus, malgré ce qu'il s'était juré la veille, laisser cette histoire derrière lui.

— Alors, tu en sais plus sur mon agresseur ? Tu sais qui c’est ?

La porte coulissante s’ouvrit sur une Marianne explosive.

— Ah, mais vous êtes là ! Je vous croyais disparus. Rickie tenait tellement à te rencontrer ! Entre toi avec ton nez amoché et toi Rickie, avec ta lèvre qui a doublé de volume, vous faites la paire. Ça vous fait un point commun, dit-elle hilare.

— Si tu savais Marianne…, ne put s'empêcher de rajouter Rickie.

— Oh, pardon, je suis maladroite, j’ai un peu trop bu, m’en voulez pas, hein ?

Tristan arriva en titubant un verre à la main.

— Mais qu’est-ce que vous faites là, ne restez pas sur le balcon. Rentrez, vous allez attraper la mort !

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