Chapitre 41

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Emmitouflés dans leur manteau, Paul et Tristan descendirent du train. Ils marchèrent le long du quai, là où la neige avait laissée place à une boue glacée. Malgré un ciel gris assez bas qui écrasait les toits de la ville, ils retrouvaient avec joie un paysage familier. Ils prirent la direction de la sortie. Arrivés dans le hall de la gare, ils virent Tom, accompagné de Marianne qui leur faisaient de grands signes. Paul et Tristan se regardèrent, intrigués de les voir ensemble. Marianne leur souriait. Paul tenta de se rassurer et se persuada qu’elle n’était plus fâchée contre lui tandis que Tristan restait bouche bée de voir sa petite amie aussi radieuse.

— Qu’est-ce que vous faites là tous les deux ? demanda Paul. Il regarda Tom avec un grand sourire.

— Surprise ! s’écria Marianne. Elle sauta dans les bras de Tristan qui l’accueillit comme il put, encombré qu’il était, par son sac de voyage qui tomba. Ils s’embrassèrent pendant que Paul et Tom se regardaient, frustrés de ne pas pouvoir en faire autant en public.

— J’ai plein de choses à te raconter, dit Paul à voix basse.

— Et moi plein de choses à te faire, chuchota Tom.

Marianne et Tristan relâchèrent leur étreinte. Marianne a l’air détendue, c’est vraiment bon signe se dit Paul. Mais il ne savait pas encore quelle attitude adopter.

Marianne eut un temps d’hésitation puis elle l’embrassa la première.

— Bonjour Paul, je suis tellement contente de te voir !

— Moi aussi…

À peine Tristan eut-il repris son sac de voyage que, sans préavis, Tom l’attrapa par la manche pour l'emmener à l’extérieur vers l’arrêt de bus. Tristan se laissa guider. Il regarda plusieurs fois par-dessus son épaule. Que se passait-il ? Paul le regarda hausser les épaules, ne comprenant pas la situation lui non plus. Marianne en profita pour se lancer.

— Écoute Paul, je voulais te dire…

— Mais pourquoi ils partent sans nous attendre ?

— On s’en fout. Écoute-moi s’il te plaît, dit-elle d’un ton implorant.

— Je suis contente que Tristan soit allé à la montagne avec son meilleur ami plutôt que tout seul. Je voulais m’excuser pour mon attitude puérile de ces dernières semaines. J’apprends vite, mais il faut m’expliquer longtemps. Si tu as essayé de me parler de Tom, je me rends compte que je ne t’ai pas facilité les choses.

Elle lui décrocha un sourire bref, à la fois soulagé et timide. Paul n’en revenait pas.

— Marianne... Je suis si heureux que tu le prennes aussi bien. Sache que j’ai hésité pour la montagne, vraiment, il faut me croire. Quant à Tom…. Je m’en veux de ne pas avoir eu le courage de vous le dire plus tôt. Mais tout s’est passé tellement vite, tu ne peux pas imaginer.

— Non je ne peux pas imaginer, mais nous aurons le temps d’en reparler si tu veux, dit-elle sincèrement.

— Avec grand plaisir !

Paul la prit dans ses bras.

Tom avait rapidement stoppé Tristan, au milieu de l’esplanade. Marianne n’en pouvait plus d’attendre pour parler à Paul. Tristan avait alors aussitôt compris. Ils revinrent tranquillement sur leurs pas et ne mirent pas longtemps à les revoir, souriants, dans les bras l’un de l’autre.

— Tout semble s’arranger ! dit Tom qui mit son bras sur l'épaule de Tristan.

— Ouais, j’hallucine de la voir aussi enjouée. Elle n'a pas dû recevoir ma lettre... dit Tristan, encore un peu étourdi par ce revirement de situation.

*

— À ce moment-là, je ne voyais plus rien à cause de cette fichue neige qui n’arrêtait pas de tomber. C’était une tempête démente. Je n’en pouvais plus, je ne tenais plus debout, j’ai dû m’asseoir contre un arbre. Je savais qu’il ne fallait pas rester assis trop longtemps, sinon je ne pourrais jamais me relever. Je ne sentais plus mes pieds ni mes doigts. J’ai vraiment cru que j'allais rester là, seul, toute la nuit. Je m’imaginais déjà mourir de froid bêtement et guetter l’apparition d’un loup, prêt à me dévorer, déclama Tristan sur un ton tragi-comique.

— Il n’en rajoute pas un peu ton copain ? demanda Tom amusé.

— Et c’est à ce moment que je suis arrivé pour le sauver de cette galère ! Aaaaah, qu’est-ce qu’il ferait sans moi ! N’est-ce pas Tristan ? enchaîna Paul.

— Mais qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ici ! pouffa Lucas qui venait de déposer trois nouvelles bières sur la table.

Cela faisait déjà presque une heure qu’ils étaient attablés tous les trois au Petit Marcel. Pour Tom, rien n’était comparable aux retrouvailles dans ce café. Assister au compte-rendu détaillé de ce séjour à la montagne. Savourer la joie de Paul et de Tristan et leurs ricanements intempestifs. Être de nouveau le témoin de leur amitié fraternelle. Être ici, tout simplement. Un moment privilégié.

Tristan, assis entre Paul et Tom, les prit par l’épaule.

— Les mecs, c’est moi qui paye ma tournée cette fois-ci et pas de discussion ! Je suis tellement content d’être là avec vous, vous ne pouvez pas savoir.

— Nous aussi ! Hier soir, à la gare, je n’aurais jamais imaginé ça avec Marianne. Quand vous êtes revenus tous les deux chez vous, ça s’est passé comment ? questionna Paul.

— Nickel, plus que nickel même, dit-il d’un air plein de sous-entendus. Il regarda Paul qui se mit aussitôt à rire, suivi de Tom.

— Ok, j’ai compris Tristan, je t’en prie, épargne nous les détails, j’ai les oreilles chastes, dit Tom, rusé.

— Ça s'est trop bien passé, je vous jure. Elle n’a donc pas reçu ma lettre. Paul, tu m’as dit d’être sincère et je l’ai été, mais ça risque de faire des étincelles. En tous cas, moi, je remercie la poste pour le retard. Résultat, hier soir, pas une seule dispute. Rien. Je vous avoue que je n’ai pas demandé mon reste. À vous je peux le dire, ce matin, j’étais bien content d’aller bosser au Microsillon. Je n’avais pas envie de l’affronter si la lettre arrivait. Je sais ce n’est pas très glorieux. C’est reculer pour mieux sauter.

— Si je peux me permettre, pour la lettre, je pense que tu as bien fait, rien ne vaut l'honnêteté dans un couple, conclut Tom qui regardait Paul avec des yeux amoureux. Celui-ci lui rendit son sourire, un peu mal à l’aise. Il repensa à l’hôtel, la veille au soir.

— Merci Tom. Ne m’en veux pas mais je croirais entendre ma mère, répondit Tristan qui espérait lui aussi compenser son embarras.

Ils trinquèrent à nouveau. Tom laissa échapper un rot qui fit rire ses amis. Tristan lui annonça qu’il pouvait adhérer à leur club très privé, et ce, quand il voulait. Ils ne virent pas Marianne qui arrivait en trombe, furieuse devant Tristan qui avait les larmes aux yeux à force de rire.

— Bonjour tout le monde, je vois qu’au moins ici, on se marre bien. Finalement, tu es là. J'en étais sûre. Tu te fous de ma gueule ? fulmina-t-elle, une enveloppe à la main.

— Oups…, répondit Tristan qui ne put s’empêcher de lui rire au nez.

— Et ça te fait rire en plus ? Tu es un vrai goujat. Quand je pense qu'hier soir, on a… Et aujourd’hui, je reçois ça dans la boîte aux lettres. Je comprends mieux pourquoi tu étais pressé d’aller bosser ce matin, s'emporta-t-elle en élevant la voix.

— Marianne s’il te plaît, ne crie pas, on devrait plutôt en parler tous les deux calmement, tu ne crois pas ? répondit Tristan qui avait retrouvé son sérieux.

— Je crie si je veux d'abord. On n’a plus rien à se dire. Je vois qu’une semaine avec Paul t’a suffi à…, dit-elle. Elle les regarda, les yeux noirs de colère.

— Mais qu’est-ce que tu vas imaginer Marianne ? C’est même moi qui ai conseillé à Tristan de t’écrire cette lettre…

— Non, ça, tu n’étais pas obligé de lui dire Paul, mais merci quand même, dit Tristan à demi-mot, pétrifié et légèrement amusé.

— Merci beaucoup Paul, moi qui croyais que tu étais un ami…

— Mais enfin Marianne, tu mélanges tout... tenta Paul pour se rattraper.

— Tais-toi, je t’en supplie, n’en rajoute pas Paul. Et toi Tristan, me larguer par lettre, tu aurais pu le faire autrement, tu n’as vraiment aucun respect.

— Tu as rien compris alors, dit Tristan, tout penaud, mais avec le sourire au coin des lèvres.

— Et ça continue à te faire marrer en plus ? s'offusqua Marianne au bord de l’explosion.

Tristan laissa échapper un long soupir, comme s’il connaissait à l’avance l’issue de la discussion. À ce moment-là, il regarda Marianne dans les yeux. Sa décision était prise.

— Oui, ça me fait rire Marianne, tu es extravagante, comme d’habitude. Mais regarde toi, tu débarques ici comme une furie pour me faire une scène de ménage. Tu te crois où ? J’en ai assez ! répondit Tristan d’un ton à la fois joyeux et résolu.

— C’est trop facile de me faire passer pour une hystérique. On a l’impression, quand on te regarde, que tu n’en as rien à foutre. Tu n’es vraiment qu’un minable. Et toi Paul, tu ferais mieux de t’occuper de tes affaires. Quand je pense que tu m’as menti pendant des semaines.

— Je suis désolé les amis que vous assistiez à tout ça.

— Tu es désolé pour eux ? Et moi alors... Mais tu es encore pire que ce que je croyais! Maintenant que tu fréquentes ce café, je vois que tu es perdu à la cause de toute façon...

Tom n’apprécia pas sa remarque tendancieuse. Il la regarda durement.

— Autant te prévenir Tom, tes deux copains, tels que tu les vois, ils n’ont pas fait que du ski, crois-moi. Demande-leur plutôt ce qu’ils faisaient tous les deux, au lycée, sous les douches. À mon humble avis, ça devait leur manquer, ils ont dû bien en profiter pendant une semaine, lâcha Marianne, prête à tout pour se venger.

Paul et Tristan se mirent à rougir instantanément.

— Merci Marianne pour cette information, mais je suis déjà au courant. Ils étaient justement en train de m’en parler quand tu as débarqué d’où nos éclats de rire. Je réalise que j’ai loupé quelque chose, répondit calmement Tom avec un grand sourire.

Marianne se raidit et devint toute rouge à son tour. Les trois garçons ne purent s’empêcher de laisser éclater un rire contagieux.

Marianne, excédée, fit volte-face, partit en courant et claqua la porte d’entrée du café derrière elle.

— Et bien, j’ai l’habitude d’en voir des folles ici, mais ta copine Tristan, dans sa catégorie, elle tient le haut du panier ! rigola Lucas, son plateau chargé de boissons.

Tristan, surpris de sa réplique ne put s’empêcher de rire à nouveau.

— Qu’est-ce que je vous avais dit les garçons, c’était trop beau pour être vrai. Je savais que ça allait se passer comme ça. Comment j’ai pu croire un instant qu’elle comprendrait le véritable sens de ma lettre, dit Tristan d’un ton laconique.

— Je suis désolé, Tristan, j’aurais jamais dû te donner ce conseil, regretta Paul.

— Si tu es désolé, pas moi. Je voulais me persuader que j’étais incapable de pas me passer d’elle. Je te le disais encore hier soir. Pourtant, c’était déjà joué d’avance, rajouta Tristan, plus déterminé que jamais.

— Une autre tournée ? C’est moi qui régale, dit Tom.

La conversation se poursuivit. Tristan rassura Paul et lui répéta qu’il n’était pas si triste que cela. C’était inévitable. Il était même soulagé, car il savait que sa relation avec Marianne venait de prendre fin.

*

Comme tous les vendredis en début de soirée, le bar était bondé. L’ambiance générale était devenue joyeuse et le volume sonore des conversations avait augmenté sensiblement. La fatigue nerveuse de Tristan le rattrapa d’un seul coup. Il se mit à bâiller. Il refusa une bière de plus et réalisa qu’il ferait mieux de rentrer chez lui. Mais la perspective d’y retrouver Marianne ne l’enchantait guère.

— Tiens, voici les clefs de mon appart, prends-les et restes-y le temps qu’il faudra, enfin si tu veux, dit Paul.

Tristan prit le trousseau de clefs que Paul lui tendait, les larmes aux yeux. Il le remercia, l'embrassa sur le front avant de se frayer un chemin vers la sortie.

— J’espère que ça va aller, dit Paul, soucieux de voir son ami partir.

— Je ne me fais pas de soucis pour lui, il sait ce qu’il fait, il cogite tout ça dans sa tête depuis un bon moment, précisa Tom, convaincu.

— Tu as probablement raison, finit par dire Paul à moitié persuadé.

— Bon et alors, vilain cachottier, tu n’as pas quelque chose à me dire ? plaisanta Tom. Il lui tira gentiment l’oreille.

— Je ne sais plus où me mettre, j’étais terrorisé à l’idée de te le dire... Mais tu n’as pas l’air en colère !

— Je ne t’avais jamais dit que j’avais passé toutes mes années de lycée à l’internat ? À ton avis, on faisait quoi tous les soirs dans une chambrée à quatre ? dit Tom avec un sourire coquin.

— Ça te dirait qu’on retourne chez toi pour que tu me fasses une démonstration ? dit Paul avec envie.

— Si vous êtes sage monsieur ! En attendant, terminez votre bière, dit Tom en lui passant le doigt sur les lèvres pour y enlever un peu de mousse.

— Avec toi Tom, pas sûr que Paul s’assagisse ! dit Rickie qui venait de surgir avec Barbara à son bras.

— Bonsoir vous deux, on a croisé Tristan en arrivant, il faisait une de ces têtes ! dit-elle.

— Vous avez manqué la grande scène de la soirée, annonça Lucas qui venait d’apparaître à son tour.

— Je vous sers quelque chose ?

— Une bière brune pour moi s’il te plaît, dit Rickie.

— Laisse-moi réfléchir... Si tu as une vodka, je ne dirai pas non.

— Barbara, une vodka ? Depuis quand tu connais cette boisson ? s’offusqua Lucas à deux doigts d’exploser de rire.

— Oh, ça suffit toi, silly boy ! dit-elle en lui donnant une petite claque sur les fesses.

— Elle au moins, elle sait parler aux hommes, ne put s’empêcher de rajouter Lucas avant de repartir aussi sec.

Tout le monde se mit à rire, signe que la soirée serait à l’image de la bonne humeur qui régnait au Petit Marcel.

*

La petite lampe de chevet, posée au sol, éclairait doucement la chambre. Encore essoufflés de leurs ébats, Tom rabattit sur eux les draps et la couverture du lit. Il se blottit, la tête posée sur le torse de Paul, pour profiter de sa chaleur corporelle.

— Tu sais Paul, Marianne ne pensait pas ce qu’elle disait pour Tristan et toi…

— Je sais bien, elle est tellement incontrôlable. Tu l’aurais vue déjà au lycée, les scènes qu’elle faisait à Tristan ou à certaines de ses amies. Mais cette fois-ci, j’ai l’impression que Tristan ne réussira pas à lui pardonner. Plus j’y pense, plus ça me paraît définitivement terminé entre eux. Nous avons beaucoup discuté pendant notre séjour. Je pense qu’il a besoin de faire le point sur sa vie, ce qu’il veut vraiment. Il avait le sentiment d’étouffer avec elle, sans parler de son père qui lui met une pression de dingue pour ses études, qu’il n’aime pas au passage.

— Je peux comprendre, côté pression, d’où qu’elle vienne d’ailleurs. En tous les cas, c’est très gentil à toi de lui avoir prêté tes clefs.

— Je n'ai pas trop réfléchi...

— Justement, je trouve ça beau, dit Tom.

— Il va falloir me supporter un peu plus chez toi, répondit Paul à demi-mots.

Tom changea de position et vint s’asseoir à la tête du lit, adossé au mur.

— Autant que vous voulez monsieur... Mais j’y pense, ça fait déjà deux mois que nous nous sommes rencontrés !

— Oui, je sais, c’était hier exactement, tu croyais que j’avais oublié ? répondit Paul qui s’adossa lui aussi contre le mur.

— J’espérais que non ! Il s’en est passé des choses en deux mois. C’est complètement fou, j‘ai du mal à y croire certains jours quand je me réveille à tes côtés, ajouta Tom.

— C’est pareil pour moi, mais à ce rythme-là, je ne sais pas si je vais tenir la cadence, prévint Paul d’un ton taquin.

— Je te propose de ralentir alors. Tu reprends les clefs de Tristan. La semaine, chacun chez soi et on se voit uniquement le week-end. Qu’en penses-tu ?

— Ouais, c’est ça, tu ne tiendras pas une semaine à ce petit jeu. Mais si tu veux… Dans ce cas-là, je te donne rendez-vous vendredi soir prochain au Petit Marcel. Je réserve la table “des rendez-vous à la bougie” pour 20h, ça te va ? répondit Paul qui le regardait droit dans les yeux.

— Mais comment tu sais ça toi ? Et arrêtez tout de suite de me regarder comme ça sinon je ne réponds plus de mes actes ! dit Tom avant de lui sauter dessus.

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