Chapitre 2

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Je contemplais l'écran sans comprendre où j’avais merdé. J’ai un don pour me fourrer dans des situations pas possibles, vivre hors de ma zone de confort, dans le malaise perpétuel.

Je relevai la tête : mur jaune. Moche. Je déteste le jaune. Mais ma propriétaire avait été claire : rien ne devait changer. Nostalgie mal placée de son bonheur conjugal. La cuisine canari, passe encore. Mais la chambre rose pupute — un ton au-dessus du rose princesse — à désespérer. J’avais accepté.

Je relus le mail d’Isabelle. Tout en bas, le thème : la rupture. Rupture de ton, d’effort, de personnalité, de couple, de parents-enfants. Un point de vue unique, des dialogues courts, juste de quoi faire avancer l'action.

Écrire sans avoir entendu les consignes moi-même me privait de tout un tas d’informations sensorielles. Les mots d’Isabelle, trop parcimonieux, n’aidaient pas. La prochaine fois, s’il y avait une prochaine fois, il faudrait que j’y aille, même mourante.

Je n’avais pas l’ombre d’un fifrelin d’idée. Et puis cette contradiction me rendait dingue : à la séance précédente, Monsieur L nous avait reproché de ne pas mettre assez de dialogues, indispensables selon lui. Et maintenant, il fallait éviter d’en abuser ?
J'allais lui en coller moi des dialogues. J'étais même capable de ne mettre que ça.

***

Après ma lecture à haute voix, ça avait été génial. Les auditeurs s’étaient levés et m’avaient applaudie à tout rompre. Je rigole. En réalité, les participants s’étaient lancés dans un débat enflammé sur les violences conjugales : celles des hommes contre les femmes, évidemment, mais aussi celles des femmes contre les hommes, celles de tous contre n’importe qui. Chacun avait son mot, son avis.

Monsieur L avait dû s’y reprendre à trois fois pour les interrompre et revenir à ce qui nous occupait, ici et maintenant, l’écriture proprement dite. Et mon erreur de débutant : une phrase de trop.
Parce que je voulais une fin heureuse.

Monsieur expliqua, avec sa douceur et sa voix rassurante et assurée, qu'écrire ne signifiait pas décider. Pour lui, une phrase pouvait bloquer tous les possibles, alors qu’en l’enlevant, on ouvrait la voie à l’imagination du lecteur. Écrire, exigeait aussi de retrancher. Les silences bouleversent plus que les explications. Expliciter, c’est bon pour les modes d’emploi. Écrire, c’est ouvrir les vannes, laisser venir les mots les phrases les idées, presque en écriture automatique, mais à un moment, il faut enlever, soustraire, retravailler. Les silences bouleversent et les vides, les creux, se laissent emplir d’émotions ou de découvertes auxquelles le lecteur n’était pas préparé mais où le narrateur le menait depuis le début.

Moi je voulais que le bourreau meure. Mais l'écrivain devait au lecteur de s’arrêter avant de faire commettre à son personnage un homicide. Si tout était encore possible pour les personnages, alors les lecteurs essayeraient de trouver des solutions, de comprendre le problème…

Techniquement l'idée est simple. Ôter ce qui est de trop. Ou dissimuler : comme le clou appelle le marteau.
Et j'obtenais sur un plateau l'histoire que je cherchais depuis des mois dans les écrits des autres : une histoire qui susciterait la discussion et le questionnement autour des violences domestiques. Je l'avais écrite sans le vouloir, sans le savoir. Je me sentais comme Indiana Jones avec le Graal ou Harry Potter avec la pierre philosophale. Quelle sensation bizarre que d’avoir une récompense que l’on n’attendait pas.

Le reste de la séance se noya dans le vide. J’étais ivre de satisfaction égoïste, donc sourde aux autres lectures.

Puis, sans transition : “Co-voiturage.” Nouvelle thématique. Monsieur L lut son propre texte pour mettre la barre haut. Tout ne devait pas se passer dans la voiture : il pouvait y avoir des pauses, des souvenirs. Les personnages ne devaient pas se connaître. L’un d’eux devait dominer. Quinze jours. Enfin, quatorze. Plutôt treize.

Je me rappelai une nouvelle que j’avais lue — sans noter les références, comme d'habitude. Je relus  Dahl et Quiriny, mais non. Je cherchai dans Babelio, Electre, Google. Rien. Même Stéphane, qui connaissait tout, ignorait. Quand je revins une seconde fois vers lui avec mon histoire introuvable, il a haussé les épaules : “Pourquoi tu ne l’écris pas ? Tu connais le début, l’élément perturbateur et la fin.”
Hum.

***

Je peux divulgâcher la fin de cette nouvelle fantôme. Un homme motive une femme à manger sainement. À force, ça vire à l’obsession : crise terrible quand elle avale une barre chocolatée. Il se fait vite pardonner, pas bête. Et après plusieurs mois, il l’emmène rencontrer ses amis. Elle comprendra trop tard qu’elle est au menu.

J’en étais encore à me demander si cette nouvelle existait ailleurs que dans mon imagination quand monsieur Blanc avait fait irruption dans nos vies d'apprentis écrivains.

Monsieur L exigeait de nous qu'il soit un personnage qui soigne son entrée et sa sortie de scène. Comme Johnny Hallyday qui disait mettre le paquet sur ses débuts et fin de concert et qu'entre les deux, il chantait. Comme tout bon personnage de fiction devrait le faire.

Entrée : “Monsieur Blanc est de nouveau venu chez moi ce soir.” Sortie de scène : “Elle m’a regardé. Qu’est-ce qu’il voulait ? J’ai haussé les épaules.”

Entre les deux, quelques phrases imposées.

ces balises allaient me guider comme les pointillés d'une piste cyclable. Avec eux, j’avais une trame, mon imagination ne partirait pas dans tous les sens.
Mais surtout, surtout, je savais qui était Monsieur Blanc.

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