DEDANS
Quelques meubles poussiéreux. Une bibliothèque.
La porte de la chambre est ouverte. Le Chien a ouvert pour aller boire pendant la nuit. Il n’a pas refermé. Il ne referme jamais.
La lumière commence à s’infiltrer à-travers les volets de la pièce, il fait juste jour.
La forme sous la couverture sans draps commence doucement à se mouvoir. Deux minutes plus tard, le réveil sonne.
Fort. Fort. Strident.
Une main s’abat et ramène le silence.
Une main s’abat. Plus rien.
Le calme plat demeure un temps.
Puis, sans crier gare, la couverture se soulève. Un pied se pose nu sur le plancher, puis un deuxième.
Et la Forme s’extirpe alors du lit, se redresse de tout son long dans la lumière filtrée du petit matin.
La Forme est nue. Mais rien de grave, rien d’important à cette heure de la journée, personne ne verra.
Rien de grave.
La Forme ouvre la fenêtre. Puis elle entrouvre doucement les volets. Juste assez, pas trop.
Sur l’étagère, à gauche de la fenêtre, se trouve une paire de jumelles. La main s’abat de nouveau. Les doigts s’enroulent et soulèvent l’objet, l’emportent à l’arrachée comme un faucon emporte sa proie.
La Forme se penche à la fenêtre, les jumelles braquées entre les volets mi-clos.
En face, entre les volets mi-clos, il y a des bâtiments sombres et sales, des rues encore plongées dans la pénombre matinale.
En face, il y a une petite boulangerie sobre déjà allumée, déjà ouverte.
En face, il y a une multitude de volets fermés derrière lesquels se cachent certainement des salles à manger, des cuisines et des chambres. Peut-être sont-elles vides, peut-être pas ; peut-être calmes et peut-être pleines de vie.
Il faut encore attendre.
La Forme patiente alors plusieurs minutes, sans bouger.
Quelques personnes commencent à ouvrir les volets, à sortir des immeubles. Quelques personnes s’arrêtent un instant pour échanger des paroles avec un voisin. Des vélos, des voitures, des gens qui courent entre ceux qui bâillent, rêvant sans doute de retourner dans leur lit.
Et la grosse porte en bois à droite de la boulangerie d’en face s’ouvre.
La Forme braque les jumelles sur la personne qui sort par cette porte.
Une jolie jeune femme.
Ses cheveux châtains de taille moyenne sont tirés en arrière. Pas le temps de faire une coiffure plus sophistiquée de si bonne heure de toute manière.
La Forme croit voir que la jeune femme mordille sa lèvre inférieure.
Elle porte un foulard bleu aux motifs fleuris qui cache son cou fin et délicat. Elle porte un pull léger couleur bordeaux et tâché. C’est son vêtement de travail, tout comme son jean troué au niveau du genou et du haut de la cuisse.
A l’épaule, elle tient un petit sac dans lequel il y a sûrement une partie de son déjeuner de la journée.
Et elle s’arrête à la boulangerie pour y acheter le reste.
Trois minutes.
Elle en ressort en souriant et en faisant un signe de la main à la commerçante que La Forme ne parvient pas à distinguer derrière le reflet du soleil sur la vitrine.
La femme s’arrête un instant, fouille dans son sac, vérifie que ses clés s’y trouvent bien.
Puis elle repart, sur ses longues jambes. Elle traverse la route, remonte sur le trottoir, continue dans la même direction sur une centaine de mètres avant de bifurquer sur sa droite et de disparaître à la vue de la Forme.
Et la Forme repose ses jumelles.
Et c’est tous les matins ou presque comme ça.
La Forme se lève, ouvre les volets, attend puis observe quelques minutes. Et quand la femme disparaît, Elle retourne sous sa couverture pour dormir une heure de plus si possible.
Tous les matins depuis onze mois environ.
La Forme avait donné un nom à la jeune femme au début. Mais elle ne l’utilise plus. Elle aimerait connaître le vrai maintenant, l’entendre le prononcer...
Mais la Forme continue de se demander chaque matin si cela sera possible un jour.
Ce n’est pas de mauvaise volonté.
Il faut dire qu’entre la boulangerie d’en face et la fenêtre de la Forme, il y a un mur haut d’environ trois mètres. Il y a un mur long de plusieurs centaines de kilomètres.
Il y a un mur.
Un mur épais,
Un mur froid,
Un mur sombre,
Un mur lisse.
Il y a ce mur que longe la jeune femme tous les matins pour se rendre au travail.
Il y a ce mur que longe la Forme tous les matins pour se rendre au travail.
Il y a ce mur entre deux mondes tout à fait similaires et différents en tout points.
Il y a ce mur que rien ni personne ne franchit sans l’autorisation de la plus haute des autorités.
Jumelles exceptées.
Il y a un mur.
La Forme se rendort pour une heure.
Un évier, un robinet humide.
Quelques étagères avec des boîtes de conserve et quelques sacs de légumes.
La lumière filtre à-travers les volets fermés.
Le Chien relève la tête, le réveil sonne.
Il sonne fort, fort, jusque dans la cuisine, jusqu’au petit lit du Chien coincé entre le réfrigérateur et le mur, près de la fenêtre.
Le Chien est venu se coucher ici pendant la nuit, il y faisait un peu plus frais que dans la chambre où il dort habituellement.
Le réveil s’arrête. Silence.
Puis la couverture se froisse, fend l’air. Un pied touche le sol.
Le Chien entend très bien sous ses lourdes oreilles dorées. Sa tête se dresse davantage. Ses yeux marrons se fixent brusquement, ses narines remuent frénétiquement.
Le Chien sait que c’est la Forme qui se réveille, qui se lève. Il veut en être sûr.
Le son des pantoufles qui frottent sur le parquet.
Le Chien sort de son lit coincé entre le réfrigérateur et le mur, près de la fenêtre. Il sort de la cuisine, s’engage dans le petit couloir puis passe la tête dans la chambre. Juste la tête.
La Forme est debout et a déjà enfilé un pantalon, les pantoufles et maintenant elle met une chemisette délavée, jaunie.
La Forme s’avance vers la porte en boutonnant son vêtement. Elle voit le Chien dans l’entrebâillement, lui sourit, lui demande s’il va bien.
La queue du Chien remue, il recule pour laisser la Forme sortir de la chambre.
Ils vont tous les deux dans la cuisine.
La Forme ouvre les volets, la lumière inonde la pièce. Le Chien s’approche, se lève, les pattes avant appuyées contre le rebord de la fenêtre. La Forme lui caresse doucement le haut de la tête.
Elle aime le Chien. Elle pense que c’est un être comme elle : un peu seul, enfermé, curieux, souriant, qui rêve de ce mur, de ce derrière le mur.
Il aime la Forme. Pas seulement pour les caresses. Mais c’est un être triste, seul, libre, empreint d’une puissante peur et qui rêve de ce mur, de ce derrière le mur. Tous les jours, toutes les nuits.
Ils sont bien ensemble dans ce petit appartement, avec leur petite routine. Chaque jour ressemble au précédent et au suivant à la fois. Chaque jour, le Chien est caressé. Chaque jour, le Chien est aimé, la Forme est aimée. Chaque jour, ils regardent derrière le mur et n’y vont jamais.
Le Chien se laisse retomber au sol. Il va prendre quelques lampées d’eau dans sa gamelle. Il sort de la cuisine. Il s’asseoit devant la porte d’entrée.
Ils ne vont jamais derrière le mur mais ils vont dehors. Quelques meubles poussiéreux. Une bibliothèque.
La porte de la chambre est ouverte. Le Chien a ouvert pour aller boire pendant la nuit. Il n’a pas refermé. Il ne referme jamais.
La lumière commence à s’infiltrer à-travers les volets, il fait juste jour.
La forme sous la couverture sans drap commence doucement à se mouvoir. Deux minutes plus tard, le réveil sonne.
Fort. Fort. Strident.
Une main s’abat et ramène le silence.
Une main s’abat. Plus rien.
Le calme plat demeure un temps.
Puis, sans crier gare, la couverture se soulève. Un pied se pose nu sur le plancher, puis un deuxième.
Et la Forme s’extirpe alors du lit, se redresse de tout son long dans la lumière filtrée du petit matin.
La Forme est nue. Mais rien de grave, rien d’important à cette heure de la journée, personne ne verra.
Rien de grave.
La Forme ouvre la fenêtre. Puis elle entrouvre doucement les volets. Juste assez, pas trop.
Sur l’étagère, à gauche de la fenêtre, se trouve une paire de jumelles. La main s’abat de nouveau. Les doigts s’enroulent et soulèvent l’objet, l’emportent à l’arrachée comme un faucon emporte sa proie.
La Forme se penche à la fenêtre, les jumelles braquées entre les volets mi-clos.
En face, entre les volets mi-clos, il y a des bâtiments sombres et sales, des rues encore plongées dans la pénombre matinale.
En face, il y a une petite boulangerie sobre déjà allumée, déjà ouverte.
En face, il y a une multitude de volets fermés derrière lesquels se cachent certainement des salles à manger, des cuisines et des chambres. Peut-être sont-elles vides, peut-être pas ; peut-être calmes et peut-être pleines de vie.
Il faut encore attendre.
La Forme patiente alors plusieurs minutes, sans bouger.
Quelques personnes commencent à ouvrir, à sortir des immeubles. Quelques personnes s’arrêtent un instant pour échanger des paroles avec un voisin. Des vélos, des voitures, des gens qui courent entre ceux qui bâillent, rêvant sans doute de retourner dans leur lit.
Et la grosse porte en bois à droite de la boulangerie d’en face s’ouvre.
La Forme braque les jumelles sur la personne qui sort par cette porte.
Une jolie jeune femme.
Ses cheveux châtains de taille moyenne sont tirés en arrière. Pas le temps de faire une coiffure plus sophistiquée de si bonne heure de toute manière, surtout pas pour aller travailler.
La Forme croit voir que la jeune femme mordille sa lèvre inférieure.
Elle porte un foulard bleu aux motifs fleuris qui cache son cou fin et délicat. Elle porte un pull léger couleur bordeaux et tâché. C’est son vêtement de travail, tout comme son jean troué au niveau du genou et du haut de la cuisse.
A l’épaule, elle tient un petit sac dans lequel il y a sûrement une partie de son déjeuner de la journée.
Et elle s’arrête à la boulangerie pour y acheter le reste.
Trois minutes.
Elle en ressort en souriant et en faisant un signe de la main à la commerçante que La Forme ne parvient pas à distinguer derrière le reflet du soleil sur la vitrine.
La femme s’arrête un instant, fouille dans son sac, vérifie que ses clés s’y trouvent bien.
Puis elle repart, sur ses longues jambes. Elle traverse la route, remonte sur le trottoir, continue dans la même direction sur une centaine de mètres avant de bifurquer sur sa droite et de disparaître à la vue de la Forme.
Et la Forme repose ses jumelles.
Et c’est tous les matins ou presque comme ça.
La Forme se lève, ouvre les volets, attend puis observe quelques minutes. Et quand la femme disparaît, Elle retourne sous sa couverture pour dormir une heure de plus si possible.
Tous les matins depuis onze mois environ.
La Forme avait donné un nom à la jeune femme au début. Mais elle ne l’utilise plus. Elle aimerait connaître le vrai maintenant, l’entendre le prononcer...
Mais la Forme continue de se demander chaque matin si cela sera possible un jour.
Ce n’est pas de mauvaise volonté.
Il faut dire qu’entre la boulangerie d’en face et la fenêtre de la Forme, il y a un mur haut d’environ trois mètres. Il y a un mur long de plusieurs centaines de kilomètres.
Il y a un mur.
Un mur épais,
Un mur froid,
Un mur sombre,
Un mur lisse.
Il y a ce mur que longe la jeune femme tous les matins pour se rendre au travail.
Il y a ce mur que longe la Forme tous les matins pour se rendre au travail.
Il y a ce mur entre deux mondes tout à fait similaires et différents en tout points.
Il y a ce mur que rien ni personne ne franchit sans l’autorisation de la plus haute des autorités.
Jumelles exceptées.
Il y a un mur.
La Forme se rendort pour une heure.
Un évier, un robinet humide.
Quelques étagères avec des boîtes de conserve et quelques sacs de légumes.
La lumière filtre à-travers les volets fermés.
Le Chien relève la tête, le réveil sonne.
Il sonne fort, fort, jusque dans la cuisine, jusqu’au petit lit du Chien coincé entre le réfrigérateur et le mur, près de la fenêtre.
Le Chien est venu se coucher ici pendant la nuit, il y faisait un peu plus frais que dans la chambre où il dort habituellement.
Le réveil s’arrête. Silence.
Puis la couverture se froisse, fend l’air. Un pied touche le sol.
Le Chien entend très bien sous ses lourdes oreilles dorées. Sa tête se dresse davantage. Ses yeux marrons se fixent brusquement, ses narines remuent frénétiquement.
Le Chien sait que c’est la Forme qui se réveille, qui se lève. Il veut en être sûr.
Le son des pantoufles qui frottent sur le parquet.
Le Chien sort de son lit coincé entre le réfrigérateur et le mur, près de la fenêtre. Il sort de la cuisine, s’engage dans le petit couloir puis passe la tête dans la chambre. Juste la tête.
La Forme est debout et a déjà enfilé un pantalon, les pantoufles et maintenant elle met une chemisette délavée, jaunie.
La Forme s’avance vers la porte en boutonnant son vêtement. Elle voit le Chien dans l’entrebâillement, lui sourit, lui demande s’il va bien.
La queue du Chien remue, il recule pour laisser la Forme sortir de la chambre.
Ils vont tous les deux dans la cuisine.
La Forme ouvre les volets, la lumière inonde la pièce. Le Chien s’approche, se lève, les pattes avant appuyées contre le rebord de la fenêtre. La Forme lui caresse doucement le haut de la tête.
Elle aime le Chien. Elle pense que c’est un être comme elle : un peu seul, enfermé, curieux, souriant, qui rêve de ce mur, de ce derrière le mur.
Il aime la Forme. Pas seulement pour les caresses. Mais c’est un être triste, seul, libre, empreint d’une puissante peur et qui rêve de ce mur, de ce derrière le mur. Tous les jours, toutes les nuits.
Ils sont bien ensemble dans ce petit appartement, avec leur petite routine. Chaque jour ressemble au précédent et au suivant à la fois. Chaque jour, le Chien est caressé. Chaque jour, le Chien est aimé, la Forme est aimée. Chaque jour, ils regardent derrière le mur et n’y vont jamais.
Le Chien se laisse retomber au sol. Il va prendre quelques lampées d’eau dans sa gamelle. Il sort de la cuisine. Il s’asseoit devant la porte d’entrée. Ils ne vont jamais derrière le mur mais ils vont dehors.
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