CHAPITRE 3 – Vers les Terres Fracturées

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La lumière du soleil se faisait de plus en plus rare à mesure qu’ils approchaient des Terres Fracturées. Les montagnes imposantes de Kaelthar, autrefois baignées par des cieux clairs, s’effaçaient peu à peu derrière eux, remplacées par des plaines désolées où la terre semblait se fissurer sous le poids d’une magie ancienne et chaotique. Le vent portait une odeur métallique, presque suffocante, et l’air semblait chargé d’électricité, chaque souffle vibrant d’une tension palpable.

Vaelthar, le dragon noir d’Edric, volait haut au-dessus d’eux, leur ombre silencieuse. Incapable de porter Edric à cause des flux instables, il veillait depuis les cieux sur la progression de leur petite troupe, avançant prudemment à cheval à travers les paysages marqués par des cicatrices magiques.

Edric chevauchait à l’avant de la colonne, les rênes serrées dans ses mains gantées. Le ciel au-dessus d’eux était zébré de nuées électriques, et Vaelthar volait haut, bien au-delà de portée, son ombre glissant parfois sur les crêtes. Edric sentit la réticence de Vaelthar, non pas comme un refus, mais comme une mise en garde vibrante qui parcourait leur lien mental.

« Je ne peux pas t'élever dans ce ciel empoisonné, petit frère, » pensa le dragon, sa voix ancienne résonnant dans l'esprit d'Edric.

« Ce ne sont pas de simples flux instables. C'est une corruption primordiale, une maladie pour les nôtres. Notre lien, encore naissant, peine à filtrer un tel venin. Il n'est pas encore assez fort pour nous protéger tous les deux. Tenter de voler ici reviendrait à le briser, et à laisser la folie s'infiltrer en nous. Peut-être qu'un jour, notre union sera un bouclier. Mais aujourd'hui, elle est une promesse trop fragile. »

Edric comprit et accepta, le cœur serré. Leur pacte était naissant, et ces terres maudites étaient une première épreuve pour sa solidité même.

Derrière Edric, Saryn avançait silencieusement, entourée de sa cape noire, suivie de près par Kaelen et Orla. Le groupe avait quitté la dernière route tracée depuis deux jours. Le paysage devant eux était devenu instable, presque vivant. Edric rompit le silence, sa voix grave coupant le sifflement du vent autour d’eux.

— Vous avez l’air bien à l’aise pour quelqu’un qui traverse un territoire où même la terre veut nous tuer, lança-t-il, un soupçon de sarcasme dans son ton.

Derrière lui, Saryn tourna légèrement la tête, le vent jouant avec les mèches argentées qui s’échappaient de sa capuche. Un sourire discret effleura ses lèvres, presque imperceptible.

— La peur n’aide en rien, capitaine, répondit-elle avec une tranquillité déconcertante. Elle obscurcit l’esprit, fait trembler les mains, et attire les erreurs. Je préfère rester alerte.

Edric grogna, un son rauque de désapprobation, serrant un peu plus les rênes de sa propre monture. Haut dans le ciel, Vaelthar, comme en écho à l'humeur de son lié, ajusta légèrement son vol en réponse.

— Alerte ? reprit-il d’un ton plus dur. Vous semblez plus à l’aise que nous tous. Peut-être parce que vous savez des choses que nous ignorons encore.

Saryn poussa un soupir, un soupir qui, à lui seul, semblait contenir une patience mise à l’épreuve. Mais son ton, lorsqu’elle parla, resta égal, presque apaisant.

— Je ne vous cache rien d’essentiel, capitaine. Ce que je sais, vous le saurez en temps voulu. Vous avez ma parole.

Edric jeta un regard rapide par-dessus son épaule, ses yeux gris plissés par une suspicion qu’il ne cherchait pas à masquer.

— Votre parole ne me suffit pas, déclara Edric, mais son ton trahissait une légère ouverture.

Saryn haussa un sourcil, un sourire discret effleurant ses lèvres.

— Et pourtant, capitaine, je crois que vous commencez à comprendre que nos objectifs se rejoignent. La confiance vient avec le temps, non avec les mots.

Edric resta silencieux un instant, mais hocha légèrement la tête avant de détourner le regard. Après un long moment, il murmura, plus pour lui-même que pour elle :

— On verra bien.

Derrière lui, Saryn esquissa un sourire à peine perceptible, un mélange de mystère et de satisfaction.

— Oui, nous verrons bien, murmura-t-elle en écho, sa voix se perdant dans le vent.

Le silence retomba entre eux, mais cette fois, il était chargé d’une tension sous-jacente, comme si leurs mots précédents avaient tracé une ligne invisible entre défiance et respect naissant. Vaelthar, sentant peut-être la lourdeur de l’atmosphère, poussa un grondement sourd, ses ailes immenses battant l’air avec une force tranquille.

Edric serra un peu plus fort les rênes, ses pensées troublées par cette étrange émissaire. Saryn Lyssaren n’était pas seulement une alliée temporaire ; elle était une énigme. Et il détestait les énigmes.

Ils avançaient depuis des heures quand le sol se mit soudain à vibrer. Un grondement sourd remonta depuis les entrailles de la terre. Kaelen jura, stoppant net son cheval. Orla tendit instinctivement une flèche.

Mais Saryn… ne bougea plus.

Elle s’était figée, mais pas comme une statue, plutôt comme un animal traqué, trop lucide. Sa respiration avait chuté, non pas brutalement, mais comme une marée bloquée par une digue invisible. Autour d’elle, le vent semblait ralentir, comme suspendu à son silence. Un filament de lumière noire, comme un éclair inversé, avait zébré l’espace. Le ciel se fissura dans un bruit sec, sans tonnerre, et resta suspendu un instant dans une brume rougeâtre.

Edric s’en rendit compte le premier.

— Saryn ? appela-t-il, d’un ton brusque mais inquiet.

Elle ne répondit pas. Ce fut seulement lorsque le filament s’éteignit lentement que ses épaules tremblèrent légèrement. Elle cligna des yeux, comme si elle revenait d’un autre plan.

— Ça recommence… souffla-t-elle enfin, blême. Ses jambes vacillèrent, mais elle se rattrapa à temps.

— Un seuil… pas encore stable. Mais prêt à céder. Et ce qu’il y a de l’autre côté ne doit pas passer.

Vaelthar, le dragon noir d’Edric, poussa un grondement sourd, ses ailes massives ralentissant leur rythme alors qu’il amorçait une descente. La bête semblait instinctivement méfiante, ses yeux d’ambre brillant fixant les fissures en contrebas. La vue qui s’étendait devant eux était à la fois fascinante et terrifiante : un paysage de désolation, où le temps et la magie semblaient s’être affrontés pour en laisser une cicatrice béante.

Edric sauta au sol, ses bottes s’enfonçant légèrement dans la terre meuble. La texture sous ses pieds était étrange : une sorte de poussière fine et collante, imprégnée de magie résiduelle. Il tendit une main à Saryn, plus par réflexe que par courtoisie, mais elle l’ignora, descendant seule avec une agilité déconcertante, sa cape noire effleurant à peine le sol.

— Toujours aussi indépendante, je vois, murmura-t-il à voix basse, plus pour lui-même que pour elle.

Autour d’eux, le groupe s’organisa rapidement, inspectant les environs avec des regards méfiants. L’atmosphère pesante semblait affecter tout le monde, amplifiant chaque bruit et chaque mouvement.

Vaelthar, quant à lui, resta en retrait, perché sur un promontoire rocheux. Ses yeux perçants scrutaient la plaine comme s’il cherchait un ennemi caché, ses muscles tendus prêtant à son imposante silhouette une aura de danger latent.

Kaelen Drevarn, toujours à la gauche d’Edric, portait sa cape de voyage râpée par les intempéries. Son épée courte et son humour grinçant ne l’avaient pas quitté.

À l’arrière, Orla, droite sur sa monture, son arc à portée de main, observait les cieux. Elle parlait peu depuis le départ, concentrée, comme si elle sentait déjà ce qui couvait dans les Terres Fracturées.

— Des signes dans les nuages, murmura-t-elle sans se tourner.

— Je préfère les silences que tes présages, grommela Kaelen.

Elle ne répondit pas.

Saryn s’avança légèrement, ses yeux gris balayés d’une lumière presque argentée alors qu’elle examinait les fissures et les colonnes de fumée qui s’élevaient devant eux.

— Ce n’est pas seulement la mort, dit-elle d’une voix posée mais lourde de signification. C’est un déséquilibre. La magie ici est brisée, déchaînée. Elle ne suit plus aucune règle.

Edric, debout à côté d’elle, balaya le paysage d’un regard sombre. Chaque crevasse, chaque éclat de lumière magique semblait émettre une menace silencieuse, une promesse de danger imminent.

— Et vous voulez qu’on traverse ça ? demanda-t-il, son ton un mélange d’exaspération et de défi.

Saryn tourna la tête vers lui, son expression calme masquant mal une certitude glaciale.

— Si nous n’y allons pas, le chaos ici finira par s’étendre, répliqua-t-elle avec une fermeté implacable. Les failles se propagent. Et si nous ne trouvons pas ce qui les alimente, elles engloutiront Valandor tout entier.

Les mots résonnèrent dans l’air lourd, s’infiltrant dans l’esprit de chaque personne présente. Même Kaelen, si prompt à murmurer des objections, détourna le regard, son expression se fermant face à la dure réalité.

Edric serra les poings, ses gants de cuir grinçant sous la pression. Il savait que Saryn avait raison. Il le savait depuis qu’ils avaient quitté Drakheim, mais cela ne rendait pas la situation plus facile à accepter.

— C’est toujours aussi simple pour vous, n’est-ce pas ? lâcha-t-il finalement, un soupçon de sarcasme perçant dans sa voix. Des paroles glaciales, une logique implacable… mais ce n’est pas vous qui devrez protéger ces hommes si les choses tournent mal.

Saryn ne répondit pas immédiatement. Elle observa les fissures devant elle, le vent jouant avec sa cape, avant de tourner son regard perçant vers Edric.

— Vous croyez que cela m’est simple, capitaine ? demanda-t-elle d’un ton presque tranchant, mais sans élever la voix. Chaque pas que nous faisons ici est une course contre la montre. Croyez-moi, je préférerais ne jamais avoir à mettre les pieds dans cet endroit. Mais nous n’avons pas ce luxe.

Leurs regards se croisèrent un instant, un échange silencieux où défiance et respect semblaient s’entrechoquer.

Kaelen, visiblement mal à l’aise, brisa le moment en s’éclaircissant la gorge.

— Alors… qu’est-ce qu’on fait ? On avance ? Ou on reste ici à attendre que ces failles nous avalent ?

Edric tourna son regard vers Vaelthar, qui grognait doucement, un grondement qui semblait contenir un avertissement.

— On avance, dit-il finalement, son ton ferme. Puis, en se tournant vers Saryn, il ajouta :

— Mais si vous avez encore des vérités à révéler, c’est maintenant ou jamais. Je n’aime pas marcher à l’aveugle.

Saryn esquissa un sourire presque imperceptible, un mélange de défi et de calme.

— Je vous dirai ce que vous devez savoir… au moment où vous devrez le savoir.

Edric grogna, exaspéré, mais il fit un signe de la main à ses hommes pour se préparer.

— Formez les rangs, restez vigilants. Ce lieu ne nous fera pas de cadeau.

Et tandis qu’ils se mettaient en mouvement, le ciel au-dessus d’eux se chargeait d’éclairs, comme un mauvais présage pour ce qui les attendait.

Un rugissement inhumain fendit la brume. Cette fois, plus proche. Un écho déformé, comme si la terre hurlait avec une voix arrachée à ses entrailles.

— Ce ne sont pas des bêtes, murmura Orla, flèche prête. Ça… c’est autre chose.

Saryn, immobile, sembla retenir sa respiration.

— Les Ombrenyths… dit-elle enfin. Les ombres nées du Chaos. Elles ont franchi un seuil.

Kaelen pâlit, les yeux fixés sur une silhouette tordue qui se formait lentement dans la brume.

— J’espérais qu’ils n’étaient qu’un mythe.

— Ils le sont, répondit Saryn, son ton glacial. Un mythe que nous avons laissé grandir sous nos pieds.

Un grondement sourd, presque imperceptible, s’échappa de Vaelthar, qui déploya légèrement ses ailes, prêt à bondir à la moindre menace.

Edric tira lentement son épée, non par bravade, mais comme on dévoile une vérité ancienne. Son regard se posa sur Orla, puis sur Kaelen, puis sur Saryn.

— On ne les affronte pas comme des bêtes. S’ils ont une source, un ancrage… on la trouve, et on la coupe.

Il se plaça instinctivement devant Saryn, sans réfléchir.

— Restez groupés. Ils cherchent à isoler.

Saryn esquissa un sourire furtif. Ce n’était pas de la bravoure qu’elle percevait chez lui… mais la naissance d’un instinct de commandement.

Le rugissement se rapprocha, et cette fois, le bruit semblait provenir de plusieurs directions à la fois, enveloppant leur position dans une étreinte sonore oppressante. Puis, dans l’obscurité mouvante, des formes sombres commencèrent à émerger.

Elles étaient tordues, leurs silhouettes changeantes défiant toute logique. Leur apparence était celle d’ombres vivantes, oscillant entre le tangible et l’éthéré. Certaines semblaient avoir des membres trop longs, d’autres des torses difformes. Lorsqu’une flamme de dragon toucha l’une d’elles, son corps vacilla, mais se recomposa presque instantanément, comme si la destruction alimentait sa forme.

— Elles absorbent l’énergie ! cria Kaelen, reculant d’un pas.

— Non, corrigea Saryn, son ton glacé trahissant une pointe d’urgence. Elles peuvent être dissipées, mais seulement si nous trouvons leur point d’ancrage. Cherchez un lien !

Chaque pas qu’elles faisaient semblait altérer leur environnement : les fissures autour d’elles s’élargissaient, et la fumée bleutée des failles s’intensifiait, comme si leur présence nourrissait le chaos.

— Formation ! hurla Edric, sa voix tranchant à travers la peur ambiante. Il se plaça instinctivement devant Saryn, son épée levée, sans même réaliser qu’il la protégeait.

Le groupe leva leurs armes. Vaelthar, en tête, déploya ses ailes dans toute leur envergure, ses yeux brûlant d’une lumière féroce, tandis qu’un grondement de défi s’échappait de sa gorge.

Kaelen, à la gauche d’Edric, marmonna une prière à demi étouffée, son visage pâle mais déterminé.

— Elles ne devraient pas être réelles… Ce n’est pas naturel…

— Rien ici ne l’est, répliqua sèchement Edric, sans détourner son regard des créatures qui s’approchaient.

Les ombres étaient presque sur eux lorsque Edric, sans quitter les créatures des yeux, lança d’un ton brusque à Saryn :

— Si vous avez des tours de magie à utiliser, c’est le moment, dame Lyssaren. Je n’ai pas envie que mes hommes deviennent des martyrs pour vos secrets.

Saryn, derrière lui, esquissa un sourire froid. Elle avança d’un pas, levant une main entourée d’une lumière argentée qui semblait pulser avec une intensité croissante.

— Alors tenez-les à distance, capitaine, répliqua-t-elle d’un ton calme mais chargé de défi. Je vais leur montrer ce que les secrets des Lyssaren peuvent accomplir.

Saryn leva les mains, mais ses doigts tremblaient légèrement. Des runes flottèrent autour d’elle, puis vacillèrent, comme réticentes à se stabiliser.

— Ces terres perturbent tout, murmura-t-elle, plus pour elle-même.

Elle força l’incantation. Une onde d’argent éclata dans l’air, repoussant brièvement les Ombrenyths. Mais son souffle se coupa, et elle posa un genou à terre.

— Je peux les ralentir… pas les arrêter. Pas seule.

Edric tendit la main, sans détourner le regard des ennemis.

— Alors ne sois pas seule.

Mais elles ne s’arrêtèrent pas. Les ombres les plus proches poussèrent un hurlement discordant, se jetant sur eux avec une vitesse effrayante.

— Tenez vos positions ! hurla Edric à ses hommes, levant son épée juste à temps pour parer un assaut rapide. Le métal de son arme émit un grincement étrange lorsqu’il trancha à travers l’ombre, laissant une traînée de lumière vacillante dans son sillage.

Dans le chaos, Edric sentit la présence de Vaelthar derrière lui, le souffle brûlant du dragon émanant sur ses épaules. Il se battait avec une concentration glaciale, ses mouvements calculés et précis.

— Ne laissez pas ces choses vous toucher ! hurla-t-il en direction de Kaelen et des autres.

Un autre hurlement retentit, plus proche cette fois. Edric tourna la tête juste à temps pour voir une ombre se diriger vers Saryn.

— Derrière vous ! cria-t-il, prêt à se jeter entre elle et la créature.

Mais avant qu’il ne puisse bouger, Saryn tourna légèrement la tête, un sourire glacé sur les lèvres. Elle projeta une onde argentée, tranchant net la chair noire de la créature, qui s’effondra en éclats sombres, pareils à des os calcinés.

— Vous sous-estimez toujours mes capacités, capitaine, dit-elle, son ton presque moqueur.

— Peut-être, grogna Edric, repoussant une autre ombre. Mais je ne prendrai pas de risques inutiles.

La bataille continua, un fracas de flammes, d’acier et de magie. Au milieu du chaos, Edric comprit une chose : les Terres Fracturées n’étaient pas seulement une épreuve physique. Elles testaient aussi leurs alliances, leurs convictions, et leur capacité à survivre dans un monde où rien n’obéissait aux règles.

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