Chapitre 8-2 : Sans-âmes

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  Honteux, il finit par baisser les yeux.

  –Vous avez raison et je m'en excuse, admit-il, la gorge serrée, avant de reformuler : Il n'a jamais été dans mes intentions de nuire à mon roi. C’est pourquoi j’escomptais assister à son sacre, loin de lui et de vos illustres invités, et repartir avant que quiconque ne soit sorti. Sans l'intervention de votre marraine, j'aurais déjà quitté le deuxième cercle à l'heure qu'il est.

  –Tu étais caché dans le triforium alors qu’Emerantiana ne t'a convié ni aux festivités, ni à la cérémonie, rétorqua Puck. Je me devais de donner l'alerte.

  Un éclair de ressentiment fusa en Ric et il dut se retenir pour ne pas la foudroyer du regard. À coup sûr, la pixie lui aurait retourné un grand sourire en battant des cils, telle l'innocence s'étant fait chair.

  –Peu importe que tu en aies eu l'envie, décréta la reine-mère, tu n'avais aucun droit d'assister à cette cérémonie.

  L'officier qui avait procédé à l'arrestation de Ric se racla la gorge, menton baissé.

  –Votre Majesté, si je puis me permettre... il avait une invitation.

  Un brusque silence s'abattit sur la pièce. Stupeur, incompréhension, déni... Tout un panel d'émotions défila dans le regard d’Emerantiana avant qu'un air sombre n'y mît un terme. Lentement, elle se tourna vers le garde.

  –Plaît-il ?

  Sa voix siffla, plus glacial qu'un blizzard snervois.

  Avec réticence, le soldat lui remit l'enveloppe de Ric. Elle s'empressa de sortir le carton à l'intérieur et de le lire avant de l'inspecter sous toutes ses coutures.

  –Qui t'a produit ce faux ? exigea-t-elle en reposant ses yeux haineux sur Ric.

  –Personne, j'ai reçu cette invitation.

  –Vraiment ? Je me suis occupé de la liste des convives. Penses-tu sincèrement que j'y aurais inscrit ton nom ? Que je t'aurais permis de d'assister au couronnement de mon aîné ? Toi ? Un maudit sans-âme ? Le bâtard de mon propre mari !

  –Non, vous n'en avez rien fait. Mais moi, oui.

  Alors que Ric accusait ce nouveau déferlement d'accusations, il cessa de respirer et porta vivement son attention derrière sa belle-mère. Une femme à l'aube de la quarantaine venait d'ouvrir la porte. Même visage rond qui aurait dû être un synonyme de douceur mais n'était que sévérité, mêmes yeux taillés dans la glace, même nez droit, mêmes lèvres charnues... À part un teint marmoréen et une chevelure d'un blond platine presque blanc, parfaits contraires de ceux de la reine-mère, cette nouvelle venue était le reflet rajeuni d’Emerantiana.

  Ric eut du mal à en croire ses yeux. Adalsinde n'aurait pas dû se tenir là, dans la même pièce que lui. Elle était censée être loin de la cathédrale, là où Éleuthère et l'ensemble des invités étaient partis.

  –Je te demande pardon ? souffla Emerantiana, médusée.

  –Vous m'avez très bien entendu, mère, répliqua la princesse en les rejoignant. Et comme je vous l'ai déjà demandé et ce, à plusieurs reprises, je vous saurais gré de ne plus insulter Thébaldéric en le désignant par ces termes.

  Les pans ouverts de sa robe en damas violet ondulaient autour de ses jambes ceintes d'un pantalon et de cuissardes. À sa taille, une rapière à la garde damasquinée d'or cliquetait contre sa cuisse droite. Aucune parure ne complétait cet ensemble, excepté un diadème discret reposant derrière une couronne de tresses et des bijoux d'épaules dont l’apparence n'étaient pas sans rappeler des épaulettes militaires. Malgré cette tenue très sobre en comparaison de celle de la reine-mère, qui avait cherché à appuyer sa noblesse avec son imposante robe vert forêt aux appliqués d'or, sa lourde couronne et sa large collerette, Adalsinde dégageait tout autant de prestance que sa mère, si ce n'était davantage.

  D'un regard torve, elle balaya les soldats avant de s'arrêter sur l'officier.

  –Saviez-vous qui vous arrêtiez, capitaine ? (L'homme pâlit avant d'ouvrir la bouche.) Non, ne vous fatiguez pas. Mudrost vous attend sur le parvis pour vous retirer vos insignes.

  L'homme devint tout à fait blême.

  –Généra...

  –Dehors.

  Alors que l'officier restait figé d'effroi, ses hommes s'exécutèrent tels des chiens fuyant la queue entre les pattes. Emerantiana n'eut d'autre choix que de les regarder partir. Elle avait beau être l'ancienne reine, elle ne pouvait les rappeler. L'autorité de sa fille prévalait sur la sienne depuis qu'Adalsinde était devenue généralissime. Ce pouvoir émanait d'elle avec un tel naturel et un tel éclat que l'envie de lui obéir et de suivre les militaire saisi Ric, alors qu'il se remettait encore de la voir et qu'elle n'avait toujours pas posé les yeux sur lui. Pour peu, il aurait pu la croire capable d'obliger Puck à partir. Et qu'aurait-il donné pour que ce fût le cas ? Cette maudite pixie jubilait sans se cacher au-dessus de leur tête.

  –Comment as-tu pu l'inviter ? fulmina sa belle-mère lorsque l'officier déchu se décida enfin à suivre ses anciens subordonnés. Cette ignominie…

  –Attention, mère...

  –Il n'a rien à faire ici !

  –Bien sûr que si. Il aurait même dû s'installer parmi nous car, que cela vous plaise ou non, il s'agit de notre demi-frère et Père s'était assuré qu'il soit toujours traité ainsi.

  Rien n'aurait pu blesser davantage la reine-mère que ce rappel. Comme frappée, elle se crispa tandis qu'un éclair de douleur traversait ses yeux.

  –Ton père n'est plus, asséna-t-elle avec un temps de retard.

  Un temps qui n'avait duré qu'une seconde, mais dont le silence fut bien plus parlant que tout mot.

  Si Adalsinde s'en voulut, elle n'en montra rien et poursuivit sa remontrance, implacable.

  –Mais Éleuthère, oui, et il vous avait demandé de le convier. Vous avez simplement décidé de le rayer de la liste. Comment pensez-vous qu'il réagirait s'il apprenait que vous n'en avez fait qu'à votre tête ? Que vous avez en outre fait arrêter Thébaldéric ?

  Emerantiana serra tant les poings que ses articulations blanchirent.

  –J'ai fait cela pour son bien. (Son regard coula vers Ric, dégoulinant de révulsion.) Permettre à cette hérésie de l'approcher... Se présenter avec lui...

  Alors qu'il encaissait cette énième attaque, Adalsinde se tourna finalement vers lui et ses yeux froids harponnèrent les siens. Ric sentit son pouls trébucher. Comme il avait prévu de s'éclipser avant que quiconque l'eut vu, il ne s'était pas préparé à la revoir et ne savait pas à quelle réaction il aurait dû s'attendre, mais certainement pas à ce masque austère. Aucune étincelle de joie, aucun éclat attendri, ni même un voile compatissant ne modifia l'expression de sa sœur. Il avait beau savoir où elle se situait quand il était question de son cas, cette sévérité inopinée lui noua les tripes. Il ne put s'empêcher de serrer les dents à l'idée que cette fois, les mots d'Emerantiana avait fini par atteindre Adalsinde.

  –Vous ne pensez donc pas votre fils aîné capable de déterminer par lui-même ce qui est bon pour lui ? demanda-t-elle sans le quitter des yeux, avant de se reconcentrer sur sa mère. Lui, un homme dans la force de l'âge, déjà père de quatre enfants, bientôt cinq, et désormais roi ?

  Ric relâcha son souffle alors qu'Emerantiana s'étranglait avec le sien.

  –Mais bien sûr que si ! Cependant, nul n'est à l'abri d'une mauvaise décision et celle-ci en est une. Nous le lui aurions tous dit s'il nous avait consultés au lieu de n'en discuter qu'avec toi.

  Adalsinde posa une main sur sa rapière dans une expiration irritée.

  –Éleuthère n'en a parlé à personne d'autre car il savait qu'à peine le sujet abordé, vous l'auriez coupé d’un « non » net et définitif. Mais peut-être est-ce ainsi que vous désirez le voir régnez ? En se laissant dicter sa conduite sans discuter ? Est-ce le genre de roi que vous voulez le voir devenir, mère ?

  –Cesse donc de déformer mes propos, Adalsinde. Je n'ai jamais dit que je devais continuer à gouverner à travers lui ni qu'il devait devenir une marionnette entre les mains du conseil et des nobles. Seulement, être roi ne signifie pas que l'on peut faire tout ce que l'on désire. Il doit au contraire se plier au besoin du royaume et plus encore à la volonté des dieux. Et les divinités condamnent l'existence de cette ignominie !

  –Ce sont la majorité de nos grandes-prêtresses et grands-prêtres qui, après interprétation des paroles divines, condamnent les enfants illégitimes, rectifia Adalsinde. Cependant, comme vous l'avez dit vous-même, nul n'est à l'abri d'une erreur. Les religieux, aussi proche des dieux soient-ils, n'y font pas exception. Et au vu des dissensions qui règnent au sein du clergé, sans même parler entre les Pères Suprêmes des différents pays, la nature des enfants illégitimes est forcément un sujet sur lequel certains se fourvoient. Peut-être est-ce vous, peut-être est-ce nous, peut-être sommes nous tous dans le faux. Qui sait ? En l'état, il n'y a qu'une chose dont nous pouvons être certains : il existe une possibilité que les enfants illégitimes soient des enfants de Lumen, au même titre que vous et moi, et que cela plaise ou non à la majorité, Éleuthère en fait partie et ne changera pas d'avis de sitôt.

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