Chapitre 9-3 : Retrouvailles

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  Le cœur battant, il balaya la pièce de long en large. La pixie roula des yeux.

  –Du calme, bâtard, il n'y a que moi.

  –Et elle vient juste d'arriver, précisa Adalsinde tout en réprimandant silencieusement sa marraine.

  –Tu avais dit deux minutes, se justifia celle-ci. Les deux minutes sont passés.

  –Ce n'était pas à prendre au pied de la lettre... Enfin, cela m'évite de te chercher. Peux-tu nous rendre invisible et nous laissez seuls, le temps que je raccompagne Ric ?

  –Cela dépend. Que m'offres-tu en échange ?

  Évidemment, même s'il s'agissait de sa filleule, elle refusait de lui rendre service. En bonne Tírnanienne qui se respecte, elle ne faisait rien sans contrepartie.

  La généralissime fit mine de réfléchir un instant avant d'asséner.

  –Ma gratitude éternelle.

  La pixie haussa un sourcil circonspect auquel Adalsinde répondit par un grand sourire. Joselia roula des yeux dans un soupir.

  –J'imagine que je peux m'en contenter pour cinq minutes d'invisibilité.

  –Et en privée. (La Tírnanienne ne répondit rien.) Joselia.

  –Bien, bien. Cinq minutes d'invisibilité et sans que l'une d'entre nous soit dans les parages.

  Elle claqua des doigts, puis se tira à tir d'ailes. Adalsinde s'empressa de reprendre Ric par le bras pour le mener à la sortie. Joselia leur avait donné cinq minutes et ils n'auraient pas une seconde de plus. Cela leur laissait à peine le temps de rejoindre la porte du hameau de la foi. Ric dut pourtant prendre sur lui pour suivre sa sœur. Les Tirnaniennes n'étaient pas digne de confiance. Mentir avait beau leur être impossible, elles étaient maîtresses des mots. Faire entendre l'inverse de ce qu'elles disaient était une seconde nature pour elles. Et peu importe à quel point les affirmations de Joselia avaient paru simples, Ric ne pouvait s'empêcher de se demander si elle ne les avait pas roulés dans la farine.

  Dieux merci, il n'en était rien : maintenant que la cérémonie était terminée, les jardins royaux, dont le hameau de la foi, grouillaient à nouveau d'invités et de religieux, mais aucun ne réagit lorsqu'Adalsinde et Ric quittèrent la cathédrale. L'impression de se jeter dans la gueule d'un fléau se résorba ; il indiqua à sa sœur vers quelle porte se diriger.

  –Je sais, répondit celle-ci. Les autres sont trop loin pour que tu aies gagné l'église sans être remarqué. C'est également la plus proche de chez toi, si je ne m'abuse.

  Ric manqua de trébucher.

  –Tu sais où j'habite ?

  –Bien sûr. Croyais-tu réellement pouvoir t'installer dans la capitale sans que père le sache ?

  –Comme je pensais qu'il viendrait me voir s'il le savait, j'en avais déduit qu'il l'ignorait.

  Adalsinde souffla du nez.

  –Oh, ce n'était pas l'envie qui lui manquait, tu peux me croire. Il t'aurait même ramené au palais si nous l'avions laissé faire. Mais ta tante et moi sommes parvenu à le convaincre que te brusquer était le meilleur moyen de te faire fuir à nouveau et il a fini par y renoncer, à condition d’avoir régulièrement de tes nouvelles.

  Brunehilde ne lui avait jamais parler de cela... Il savait évidemment qu'elle avait pris contact avec son père quand il était revenu à Ersàft et qu'elle lui donnait des nouvelles en son nom ; Ric lui avait dit de faire comme elle voulait quand elle lui en avait demandé l'autorisation. Mais il ignorait que c'était grâce à elle que Melchior était resté à l'écart, qu'elle s'était dressée contre lui, son roi, pour son bien.

  « Mon fils... »

  La gorge de Ric se contracta. Regrettait-il d'avoir repoussé son père aussi longtemps, maintenant que Zirka l'avait appelé à elle ? Il se posait cette question depuis le jour de son décès et six mois plus tard, il n'avait toujours pas trouvé de réponse.

  –D'ailleurs, je ne te raconte pas sa réaction quand il a appris que tu étais devenu chasseur, poursuivit Adalsinde. Un chasseur éminent, pour ne rien arranger. Et qui était assez fou pour se mesurer à un fléau sans le moindre soutien, afin de l'achever. Elle était plutôt mémorable.

  Alors que son ton était badin, le pouls de Ric accéléra et il se retrouva subrmergé par le visage sombre aux magnifiques yeux vert.

  Ces informations sur son métier, Melchior ne les avait pas obtenues de Brunehilde, mais des suites d'une chasse qui avait très mal tourné. Celle qui avait mené à la révélation de son véritable nom et permis à son père de le localiser pour la première fois après trois ans de fugue. Celle où tout avait commencé avec elle.

  « T'as intérêt à faire gaffe à elle, gamin ».

  Du sang, tellement de sang...

  « Où vas-tu, Ric ? »

  Son visage si pâle...

  « Un tour... J'ai juste besoin de faire un tour. »

  –Ric ?

  Le tourbillon de souvenirs en train de l'engloutir se dissipa d'un coup et Ric cilla plusieurs fois. Il était de retour dans les jardins royaux, au bras de sa sœur, qui s'était arrêté et l'observait d'un air soucieux.

  –Qu'est-ce qui ne va pas ?

  –Rien... (Il détourna le regard et se passa une main sous le nez.) Rien du tout. J'essayais juste d'imaginer la scène. Il était déjà si blanc en découvrant que j'avais escaladé la cathédrale que j'ai du mal à me le figurer encore plus pâle.

  Sans lui laisser le temps de le remettre en question, il se remit en marche et elle lui emboîta le pas sans discuter. Du moins, jusqu’à ce qu’elle lui donnât un léger coup de coude, deux secondes plus tard.

  –Allons, petit acrobate, cesse donc de t’en vouloir. Tu sais bien comment il était avec toi. Toujours à te protéger avec plus de ferveur que les joyaux de la couronne. Et puis, tu es loin d’être le seul à lui avoir fait de belles frayeurs… Même si je dois reconnaître que sur tous les dangers auxquels nous pouvions nous exposer, affronter un fléau remporte la palme. (Dans un profond soupir, elle leva son visage vers le ciel.) Ah, quels enfants cruels avons-nous été, toi et moi. Chasseur éminent et soldate... Nous n'avons vraiment pas choisi des voies qui ont ménagé son pauvre cœur.

  –Il n’avait pas approuvé ton entrée dans l’armée ? s’étonna Ric.

  Puisque quinze ans le séparaient d’Adalsinde et qu’elle s’était engagée dès son seizième printemps, il l’avait toujours connu une épée à la taille et n’avait pas souvenir de leur père désapprouvant ce choix, contrairement à sa belle-mère.

  –Non, du tout, le rassura la généralissime. Il n’était certes pas à l’aise avec l’idée, mais il n’a jamais cherché à m’en empêcher. Il a plutôt été le premier à venir m’en parler, puis à me soutenir une fois certain que ce n'était pas une simple lubie de ma part et que j’étais consciente des risques que je m’apprêtais à prendre. Durant les premières années, il est même allé jusqu’à m’entraîner lui-même. Une telle fierté illuminait son regard à mesure que je m’améliorais, quand j’ai commencé à le battre et à chacune de mes promotions… (Elle bascula la tête vers Ric.) Il en allait de même pour toi, tu sais ? Après avoir appris pour le fléau, il était absolument terrifié et prêt à retourner ciel et terre pour te retrouver et t’enfermer dans tes appartements pour que tu ne t’exposes plus jamais à un tel danger. Mais un an plus tard, je l’ai retrouvé à son bureau, en train de lire pour la millième fois le rapport des Lochcadais. « Tu te rends compte ? » m'a-t-il alors demandé. « Il aurait pu se trouver un métier intellectuel, sûr, mais il a choisi de dédier sa vie à la protection de ses concitoyens, alors qu'il a toutes les raisons de leur tourner le dos. Il s'est même assuré d'accomplir sa mission du mieux possible en devenant un chasseur éminent. À tout juste dix-sept ans... Les chasseurs accèdent rarement à ce grade avant leur trentaine et ils ne tuent pas un fléau seul. Jamais. » Quand tu as fini par t'inscrire à la guilde des chasseurs, il a chargé Maître Fucks de lui transmettre tous tes rapports de chasses. Il m'en parlait avec tant de fierté, après leur lecture.

  Perdu dans ses souvenirs, Ric ne l’entendait plus que d’une oreille. Il n'avait peut-être jamais été témoins de cette émotion au moment des faits, mais il l'avait vue lorsqu'il avait retrouvé son père sur son lit de mort. Quand elle avait ravivé son regard presque éteint, éveiller sa voix fatiguée, étirer un sourire faible, mais débordant de chaleur sur ses lèvres desséchées...

  –Et toutes ces années entre le moment où nous avons appris que tu étais devenu chasseur et ton retour à la capitale avec ton inscription à la guilde, il ne cessait de s’interroger à ton sujet. Quelle créature étais-tu en train de chasser ? Étais-tu toujours seul ou t’étais-tu trouvé des associés ? Faisais-tu désormais preuve de prudence ou toujours des folies en affrontant des bêtes auxquels même les chasseurs les plus expérimentés ne se frottent pas seuls... (L'air d'Adalsinde se fit mutin.) Alors, qu'en est-il ? As-tu affronté une redoutable cocatrix ? abattu un terrible bauk ? terrassé une vicieuse sirène ? de nouveau fricoté avec un effroyable fléau ? Ton nom n'était pas inscrit dans les rapports des deux cas que nous avons eu, après ton fenrir en Lochcadail, mais tu n'étais pas encore inscrit à la guilde, à ces moments-là, et tu es plus discret qu'un fantôme, alors je me suis toujours demandé si tu y avais participé depuis l'ombre.

  Ric secoua la tête.

  –J'ai préféré me tenir éloigné de tous ceux que j'ai vu par la suite.

  Il se rendit compte de son erreur avant même qu'Adalsinde ne se stoppât net, la bouche entrouverte.

  –Tous ceux que tu as vu par la suite ? Tous ceux ? Par Dabba, Ric, nous parlons de fléaux, pas d'une simple bête. Le commun des mortels a rarement le malheur d'en croiser un au cours de son existence. Tu es évidemment susceptible d'y être confronté davantage à cause de ton métier, mais cela reste rare. En aucun cas tu ne devrais en avoir vu assez pour les regrouper sous l’appellation « tous ceux ». Et certainement pas alors que tu viens tout juste de fêter ton vingt-cinquième anniversaire. Combien en as-tu vu, exactement ? Et où brasier t'es-tu donc rendu pour en voir autant ?

  

  

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