Chapitre 9-4 : Retrouvailles

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  Alors que Ric avait envie de disparaître, des prêtres à quelques pas d'eux se tournèrent dans leur direction. Son cœur manqua un battement. Le voilà, le piège de Joselia. Elle les avait bien rendus invisibles, mais leurs voix portaient toujours. Il s'empressa de se remettre en marche ; sa sœur resta les pieds fermement planter dans l'herbe.

  –Adalsinde, s'il te plaît, insista-t-il dans souffle. Nous ne pouvons pas rester ici. Joselia n'a pas étouffé nos voix et nous avons tout juste le temps de rejoindre la porte du hameau avant que son invisibilité se dissipe.

  Les sourcils clairs de la généralissime se froncèrent et elle jeta un coup d'œil en direction des religieux qui observaient, troublés, la zone où elle et Ric se tenaient. Il eut du mal à contenir son soulagement lorsqu'elle lui emboîta enfin le pas, puis quand ils atteignirent la sécurité de la végétation.

  Hélas, s'il pensait qu'elle en avait oublié sa question, il se fourraient le doigt dans l'œil. À la seconde où ils se retrouvèrent hors de vue et d'oreille, elle s'arrêta et le força à lui faire face.

  –Alors, combien de fléaux as-tu à ton tableau de chasse et où t'es-tu rendu pour en voir autant ? Nous n'irons pas plus loin tant que tu n'auras pas répondu.

  Ric repoussa son malaise.

  –J'ai beaucoup voyagé ces dernières années. Je ne me souviens plus vraiment.

  –À d'autres. Je n'ai peut-être rien dit quand tu as assuré que tu avais juste du mal à imaginer la réaction de père, juste avant, mais ne crois pas une seule seconde que j'ai perdu ma faculté à déceler les mensonges.

  Un frisson désagréable dévala l'échine de Ric. Résistance supérieure à la magie, don pour la musique, force décuplée, grande beauté, facilité pour les langues... Lorsqu'un héritier royal venait au monde, il se voyait attribué une marraine tírnanienne, qui lui offrait une demi-douzaine de don au cours de son baptême. Certains étaient commun à tous les membres de la royauté, à l'instar de la résistance à la magie. D'autre, en revanche, était propre à chaque personne. Pour Adalsinde, il s'agissait de cette faculté à déceler le mensonge dont Ric avait oublié l'existence. Il avait entendu dire que quand elle était née, Emerantiana avait été si heureuse d'avoir une fille qu'elle avait demandé à Joselia de lui insuffler une grande sensibilité, car c'était ce qu’elle attendait de toute jeune fille de bonne famille, ce que la pixie avait accepté. Seulement, Emerantiana n'avait pas précisé de quelle sensibilité elle parlait et, fidèle à sa nature de tírnanienne, Joselia n'en avait fait qu'à sa tête. Au lieu d'augmenter la sensibilité affective d'Adalsinde, elle avait renforcé sa sensibilité physique, ce qui avait doté sa filleule de sens décuplés et d'un instinct redoutable qui lui permettait depuis lors de savoir qui lui mentait.

  Acculé, Ric avisa la direction de la porte dissimulée. Adalsinde raffermit aussitôt sa prise sur son bras.

  –Les as-tu vu pendant que tu étais à l'étranger ? demanda-t-elle en le fixant droit dans les yeux.

  –Adalsinde...

  –Dans un seul lieu ?

  –C'est de l'histoire ancienne.

  Il aurait pu lui répondre vraiment que ses réponses n'auraient pas été plus limpides. Aussi ne fut-il guère surpris de voir sa sœur perdre son souffle.

  Il n'y avait qu'un seul endroit, dans tout le Wiegerwäld, où l'on pouvait voir assez de fléaux pour les désigner par « tous ceux ». Un lieu qui concentrait en lui-seul un nombre horrifiant des pires créatures du continent.

  La forêt Mallkim.

  La dangerosité de ce bois était telle que même des bourgades perdues d'autre pays connaissaient son existence. Y mettre les pieds était synonyme de mort. Toute personne censée évitait de s'en approcher. Même les chasseurs éminents, forts de leurs expériences et de leur savoir en matière de bois et de bêtes l'évitaient comme la peste. En fin de compte, seuls les abrutis, les fous et les désespérés s'y risquaient.

  Et Adalsinde savait que Ric n'avait rien d'un abruti ou d'un fou.

  Comme si un voile s'était levé devant ses yeux, elle recula d'un pas et l'observa d'un œil nouveau.

  –Pourquoi t'es-tu rendu là-bas, Thébaldéric ? Que s'est-il passé pendant ta fugue ?

  Une fois encore, les beaux yeux verts brûlant d’intensité jaillir dans l'esprit de Ric.

  –Rien dont tu doives te soucier, répondit-il d'une voix atone. C'est de l'histoire ancienne.

  Elle ouvrait déjà la bouche pour répliquer, mais sentant un relâchement de sa poigne, il s'empressa de s'en libérer et enchaîna :

  –Merci de m'avoir invité puis raccompagné jusqu'ici. Cela m'a fait vraiment plaisir de te revoir. Que Lumen continue d'illuminer ta journée.

  –Non, Ric, attends.

  Trop tard, il tournait déjà les talons et s'éloignait d'elle de ses enjambées de géants. Il l'entendit jurer, lui emboîter le pas en vitesse, puis jurer encore lorsque les pans de sa robe se prirent dans un buisson qui la força à s'arrêter. Son regard, toutefois, continua de peser sur les épaules de Ric. Cette attention le travailla plus qu'il ne le toucha car il en ignorait la nature. Essayait-elle toujours de comprendre quelle folie l'avait poussé à se rendre dans la forêt Mallkim ou voulait-elle juste le regarder partir ? N'y tenant plus, il jeta un rapide coup d'œil dans son dos. Ses yeux tombèrent tout de suite dans ceux, désormais songeurs, de sa sœur, qui sortit aussitôt de sa réflexion pour lui adresser un petit sourire et un signe de la main. Sans trop savoir quoi penser de son attitude, Ric lui retourna sa salutation par un discret mouvement de tête avant de ramener son attention devant lui.

  Son cœur s'arrêta.

  Juste devant l'emplacement de la porte dissimulée, Calliste, Tugdual et Ombeline, les trois derniers enfants légitimes de son père, l'attendaient. Ils l’étudièrent de haut en bas, puis de bas en haut, dégoulinant de mépris.

  –Eh bien, je comprends mieux pourquoi mère est d'une humeur massacrante, déclara Tugdual.

  –Le chien galeux a cru bon de revenir au milieu des races pures, continua Calliste.

  –Dieux merci, il a eu assez de jugeote pour comprendre que ce palais ne comporte pas plus de place pour les clébards qu'autrefois.

  –Qu’il est pathétique, souffla Ombeline en lui tournant le dos, c'est affligeant.

  Ses frères s’attardèrent encore un instant de part et d'autre de la porte avant de la suivre. Le cœur battant et les dents serrées à s'en faire mal, Ric attendit qu'ils disparussent de son champ de vision avant de s'engager dans le passage secret.

  Il en avait traversé la moitié lorsqu'il se rendit compte qu'il s'était mordu jusqu'au sang.

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