Chapitre 10-1 : Visite

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  Deux coups retentirent contre la porte. Assommé par la quintuple dose de somnifères qu'il avait ingurgité avant de se coucher, Ric ne les entendit pas. Les suivants, donnés avec plus de force, l'atteignirent mais semblaient loin, si loin, qu'ils ne le troublèrent guère plus qu'un battement d'ailes de papillon. Une voix, qui résonna à ses oreilles comme un marmonnement vide de sens, leur succéda sans plus d'effet. Les simples coups se changèrent alors en tambourinement frénétique et le murmure en cri. Un grondement lupin y mit un brusque terme.

  Ce fut ce bruit qui perça finalement la torpeur de Ric car il l'aurait reconnu entre mille : Asprus.

  Mais pourquoi grognait-il ?

  Ric tenta de lutter contre le sommeil qui l'écrasait pour voir ce qui n'allait pas – Asprus ne grognait jamais pour un rien – mais son esprit abruti par les drogues peinait à s'éveiller, encore plus à se connecter à son corps. Il parvint tout de même à être assez conscient pour comprendre la voix quand celle-ci s'éleva à nouveau.

  –M'sieur Jäger !

  Il fronça les sourcils. Était-ce... Norbert ? Que lui voulait-il ? Était-ce lui qui faisait grogner Asprus ? Et depuis quand lui servait-il du « M'sieur Jäger » ?

  Les coups contre la porte reprirent, aussitôt suivis par de nouveaux grondements lupins. Ric grogna à son tour, tira son oreiller de sous sa tête et l'écrasa contre son visage, tous soucis envolés maintenant qu'il avait identifié l'origine du problème.

  Il dormait, par les dieux. Certes, il avait eu besoin d'aide et une autre personne que lui n'aurait plus jamais rouvert les yeux après avoir avalé une telle dose de somnifère, mais il dormait. Pour la première fois depuis des mois. Pourquoi le monde semblait-il s'être liguée pour l'en empêcher ?

  –M'sieur Jäger ! réitéra Norbert en redoublant de force contre la porte malgré les réprobations de plus en plus menaçantes d'Asprus.

  Ce dernier finit par se jeter contre le battant, arrachant un cri au propriétaire et mettant un terme définitif à la nuit de Ric.

  –Une seconde ! lança-t-il, mais avec sa langue pâteuse et sa bouche toujours endormie, ce qui sortit ressembla davantage à « ueon ».

  Il retira l'oreiller de sa tête en appelant son chien, se débattit mollement contre ses draps, puis bascula les jambes hors du lit, le reste du corps toujours enfoncé dans le matelas. Il resta ainsi de longues secondes avant de trouver assez d'énergie et de motivation pour s'en arracher avec difficulté. Il tangua, déséquilibré par ce simple mouvement. Son buste et sa tête pesaient une tonne. Une douleur sourde irradiait au niveau de ses tempes. Dans son esprit, la brume persistait, impénétrable. Sa vue, normalement si perçante, était horriblement trouble et il eut beau ciller, cela n'aida pas. Dans un nouveau grondement, il posa les coudes sur ses genoux et enfouit son visage dans ses mains. Dieux, à quand remontait le dernier matin où il s'était senti aussi misérable ? Peut-être aurait-il mieux fait d'écouter la petite voix réprobatrice qui avait tenté de l'arrêter à la quatrième dose. Il était obligé d'en prendre trois pour que le somnifère eût le moindre effet, mais il s'était toujours arrêté là. Jusqu'à cette nuit. Et il ne savait même plus pourquoi.

  Il dut rester un peu trop longtemps prostré sur son lit, car Norbert finit par le rappeler.

  –Deux secondes.

  Ric se massa les tempes, puis se leva. Il tituba sur le côté, se stabilisa une seconde, puis se retransforma en ivrogne dès qu'il se mit en marche. Sur la courte distance entre son lit et la porte – moins de trois mètres –, il manqua de se faire un croche-pied pas moins de cinq fois. Déverrouiller la porte fut une toute autre épreuve, mais sans trop savoir comment, il finit par y parvenir. Se tenant au chambranle pour ne pas être emporté par le mouvement, il poussa le battant.

  –Qu'y a...

  Le reste de sa question ne franchit jamais la barrière de ses lèvres. Norbert se tenait bien en face de lui... flanqué de deux policiers. Ce n'était toutefois pas tant leur présence que leur visage qui avait fait taire Ric. Car sous ces uniformes...

  Non... C'était encore un coup des somnifères. Son esprit tentait de compenser sa vue défaillante alors qu'il était lui-même en vrac. La combinaison parfaite pour s'imaginer des choses.

  –Monsieur Jäger ? s'assura l'homme à droite de Norbert tout en l'étudiant de ses yeux de glace de la tête aux pieds.

  Oh dieux, voilà qu'il entendait des voix à présent.

  –C'bien lui, confirma le propriétaire de la pension en bombant le torse et renforçant sa bedaine. Si l’a fait des conn'ries, M'ssieurs les agents, j'vous promets qu'j'étais au courant de rien. J'm'intéresse pas à la vie d'mes locataires, moi.

  Dixit celui qui sort son nez au moindre bruit dans la pension pour voir ce qui se passe.

  –Ne vous inquiétez pas, nous avons juste besoin de lui parler, intervint la policière à sa gauche, dont les prunelles aussi froides que son collègue détaillaient Ric, incisives. Merci de nous avoir conduit jusqu'ici.

  Norbert hocha de la tête en guise de réponse, puis s'en alla, non sans zieuter par-dessus son épaule et sans s'éloigner à la vitesse d'un escargot. La policière n'attendit pas qu'il eut disparut pour prendre la place qu'il avait libérer face à Ric. Son rapprochement ne changea rien à ses traits ; l'hallucination était coriace. Ric tenta de l'effacer en se frottant un œil, sans plus de succès. Un soupçon de doute s’insinua sous sa peau.

  –Pouvons-nous entrer ? demanda-t-elle alors que le regard de Ric sautait d'elle à son collègue.

  Non, il n'était pas en train d'halluciner. En fait, il n'était même pas à sa porte, mais toujours dans son lit, en train de dormir. Tout ceci n'était qu'un rêve tordu.

  –Monsieur Jäger ? insista-t-elle.

  –Je vais me réveiller, s'entendit-il dire, et vous ne serez plus là.

  Les agents de la paix haussèrent tous deux les sourcils, s'entregardèrent, puis un éclair de compréhension sembla traverser le regard de la policière. Un petit soufflement de nez lui échappa.

  –Bon, écartez-vous, lui ordonna-t-elle.

  Ric obtempéra, posant une main sur la tête d'Asprus pour lui intimer de rester assis à ses côtés et ne pas sauter sur les nouveaux venus. La femme s'avança d'un pas souple et l'homme la suivit avec plus de réserve et sans le quitter des yeux. L'incertitude de Ric commença à jouer avec ses entrailles.

  Un rêve.

  L'homme le dépassa et pénétra dans la chambre.

  C'est n'est qu'un rêve.

  Le cœur battant, Ric ferma la porte.

  Ils ne peuvent pas être là ; c'est impossible.

  Il fit maladroitement tourner ses clefs dans les verrous, chaque bruit de loquets sonnant comme un coup de glas.

  Tu vas te réveiller dans une seconde.

  Mais la seconde passa et rien ne changea. Il avait toujours les doigts autour de la clef, le vantail se dressait toujours devant lui et il percevait toujours la présence des deux policiers dans son dos. L'un des deux se déplaçait.

  –Thébaldéric ? retenta l'homme.

  Ce fut le coup de grâce. Non seulement l'agent venait d'utiliser son véritable prénom, mais il s'était en outre exprimé d'un ton ferme, peut-être même un brin réprobateur. Car ce n'était ni un rêve ni une hallucination. Ils étaient vraiment là. Chez lui. Dissimulés sous des uniformes de soldats. Et lui les avait accueilli ainsi. Défoncé par les somnifères. Mais pour qui ignorait ses problèmes d'insomnie, il devait juste avoir l'air ivre mort. Un état dégradant qui appelait au sermon.

  Oh dieux tous puissants...

  Son front heurta le bois de la porte dans un bruit sourd qui résonna dans toute la pièce. Une nouvelle seconde de silence s'ensuivit avant que le faux agent ne reprît la parole.

  –Je t'avais dit que c'était une mauvaise idée de venir sans l'en avertir au préalable. Je ne m'attendais certes pas à ce qu'il soit totalement gris, mais...

  –Il se serait sauvé si nous l'avions prévenu, le coupa sa fausse collègue, et il n'est pas ivre. Il ne sent pas l'alcool.

  –Alors qu’a-t-il ?

  –Je ne sais pas exactement. Je perçois une odeur qui me dit quelque chose, mais je n'arrive pas à mettre un nom de...

  –Que faites-vous là ? les coupa Ric.

  S'appuyant sur la porte pour éviter de chanceler, il se retourna et se concentra du mieux possible sur ses deux invités indésirables. L'homme, planté au centre de la pièce, et la femme à côté de la table de nuit, qui reposait le verre qu'elle venait d'inspecter pour se tourner vers lui. Les deux figures les plus importantes du pays : Adalsinde et Éleuthère. Sa généralissime et son roi.

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