Je n’ai jamais montré ce carnet à personne.

C’est un vieux cahier à spirale, la couverture rayée au feutre noir, les pages pleines de ratures, de débuts de chansons nulles, de citations recopiées, de pensées que je n’oserai jamais dire à voix haute. Il tient dans mon sac, il me suit partout.

Et depuis que j’ai commencé à travailler avec Maya, il est de plus en plus rempli.

Des phrases courtes. Des impressions. Des scènes qu’on ne vit pas mais qu’on imagine.

Aujourd’hui elle a dit que les mots l’aident à respirer. Je me demande ce que ça fait de dépendre d’un livre. Moi, je dépends du silence. Et d’elle.

Chaque séance me laissait plus nerveux que la précédente. Elle était brillante. Impitoyable. Mais honnête. Et sous son air de fille imperméable, je sentais des failles. Des vraies. Des brèches que même les livres ne recollaient pas.

Et puis il y a eu le moment du poème.

Elle avait choisi un poème de Rilke. Je connaissais le nom. Pas les vers. Elle m’a demandé de le lire, lentement.

Je l’ai fait. Je n’étais pas sûr du rythme, mais j’ai essayé. Et pour une fois, je n’ai pas cherché à faire rire. J’ai juste lu. Pour elle. Pour voir ce que ça lui faisait.

Quand j’ai levé les yeux, elle me fixait.

Pas fâchée. Pas agacée.

Juste… surprise.

Et elle a dit, doucement :

« Tu n’as pas besoin de jouer un rôle. Tu peux juste… être. »

Ça m’a coupé la respiration.

Personne ne m’avait jamais dit ça. Pas mes potes, pas mes parents. Personne. Et le pire, c’est que je la croyais.

Alors ce soir-là, chez moi, j’ai ouvert le carnet noir.

Et j’ai écrit :

Elle me voit. Et je crois que ça me fait peur.