"La fille et la rue" (partie I)

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Laha courait à toute vitesse dans les allées du marché d'Akkar en se frayant un chemin dans la marée de foule, se faufilant entre chaque vague de passants - pour une fois que sa fine carrure lui était utile -. Si la jeune fille courait, c’est car elle tenait en ses bras le fruit d’un vol à la tire, de modestes légumes en soit. Malheureusement pour elle, son vice, sans grande gravité, avait été repéré par un des marchands. Laha préférait donc courir que d’en répondre devant la justice. Les juges d’Akkar ne se montrait jamais doux face à tous types de crimes, à croire qu’ils étaient dénués de sentiments. Il valait mieux de fuir que finir au bout d’une potence.

À la suite de son vol, un marchand, ancien propriétaire de la nourriture, et deux gardes de la cité alertés par les cris étaient à ses trousses. Le commerçant, d'un âge bien avancé, avait déjà perdu le fil de la course, l'arthrose n'aidant guère. Mais le binôme de gardes, quant à lui, parvenait à la talonner sans la rattraper, leurs lourdes armures les ralentissant. La plupart des passants regardaient la scène d'un air intrigué, sans pour autant oser intervenir.

A vu d'œil, nombreux serait ceux donnant à Laha un âge enfantin. Mais les apparences se montrent parfois trompeuses. En réalité, la jeune fille était bien plus mature qu'il n'y paraissait, les épreuves de la vie l'ayant déjà érodé durant des années.

La guerre l’avait jadis arrachée prématurément à cette période d’insouciance entre enfance et adolescence, lui volant au passage ses deux parents et son frère lors d’une razzia d’un chef de guerre Nordiste. La couleur du sang de son père, étalé sur l’herbe, était à jamais gravé dans son esprit de jeune orpheline. Pour autant, elle n’aspirait à aucun désir de vengeance quelconque ou ne s’apitoyait pas sur son sort. Même s’il faut bien l’avouer, ses airs de jeune fille démunie lui profitait dans certains cas, et elle n’hésitait pas à en abuser.

A mesure du temps, ses jambes s’épuisaient et ses poumons la brûlaient. Laha savait pertinemment qu’elle ne pourrait tenir indéfiniment la lente et endurante cadence de ses poursuivants. Aussi, elle bifurqua vers la droite, sortant de l’allée principale du marché, afin de s’engager dans une petite ruelle dans l’espoir de semer ces derniers. Une fois arrivé dans l’exiguë passage paveté, elle aperçut, dans sa course, un épais tonneau vide adossé contre un mur de pierre. Saisissant l’occasion s’offrant à elle, la jeune fille se jeta précipitamment dans le récipient de bois vide.

Une dizaine de secondes plus tard, le binôme de garde entrait dans la ruelle, les armures claquant de toutes parts d’un son ferreux. L'un d'eux, la voix rauque et à bout de souffle, grogna :

-Et encore une de perdue !

Tandis que son camarade prenait une gorgée d'air frais en laissant pendre ses bras le long de sa taille, Laha tentait de diminuer sa respiration afin de ne pas être repérée. Un peu de vin était resté au fond du tonneau, rendant le bois collant. De surcroît, il en émanait une odeur nauséabonde, les restes de la boisson ayant mal vieilli. Au travers de petites fentes qui se dessinaient entre les lattes de bois, la jeune fille épia la conversation s’engageant.

-En même temps, nous ne sommes pas censés poursuivre des voleuses à la tire avec de telles armures ! Notre rôle, c'est le chemin de ronde et la défense des remparts, il y a d'autres garnisons pour courir après les clodos !

Leurs armures se constituaient de plaques en fer recouvertes d'un somptueux vernis or mate. Elles s’articulaient au niveau des bras, des épaules et des jambes, et se soutenaient grâce à des lanières en cuir. Ils portaient également des épaulières et un tabard rouge qui descendait jusqu'à leurs genoux, représentant fièrement les symboles du conseil des sages, les dirigeants de la vaste cité.

« Le conseil doit-être richissime pour se payer de tels objets », pensa Laha.

-Oui, enfin si on peut obtenir une petite prime en capturant deux ou trois criminels dans ce genre, je ne suis pas contre, histoire de me payer quelques pintes supplémentaires à la taverne, répliqua le plus jeune des gardes.

-Et si des envahisseurs arrivent entre-temps le jeunot, qui sonnera l’alarme, mh ? Pas les clodos, c’est sûr.

-Des envahisseurs ? Ma parole, on n’a même pas eu une pauvre petite bataille à se mettre sous la dent ces dix dernières années. Nous sommes inutiles pour le moment, il faut se rendre à l'évidence. Notre rôle est dissuasif, rétorqua l’un.

-Détrompe-toi, tu as vu les nouvelles venant de la muraille d'Eleneim. Ils disent qu'il y a de plus en plus de mouvements du côté du bloc Nord, quelque chose se prépare. Ce n'est pas pour tout de suite, mais le brouillard de la guerre n'est pas très loin et le vent n'est pas en notre faveur, crois-moi le jeunot, affirma l'autre.

-Du baratin, je te le dis-moi, du baratin. Cela fait tellement de lunes que l'on nous répète que les armées de la confédération du Nord vont déferler chez les Empires Centraux. Et alors ? Toujours rien, mon épée rouille toujours dans son fourreau. La seule chose qui se prépare, ce sont les clochards qui volent du pain aux étables.

-Le jour où cela arrivera, et nous serons aux premières loges. Akkar est très proche du rideau de pierre, n'oublie pas.

Son camarade leva les yeux au ciel en symbole d'agacement, puis il fit une accolade à son ami et répondit :

-Mais oui, mais oui. Laissons la politique et cette voleuse de côté, retournons à notre poste.

Ils s’éloignèrent doucement, retournant en direction de la grande allée. Le plus vieux poursuivit :

-Tiens, j'ai une astuce. Après avoir couru, remet la visière de ton casque, comme ça personne ne verra ton visage rouge et plein de sueur, tu seras toujours présentable. Pas mal, hm ?

Ils disparurent finalement après un virage, et on entendit l’écho métallique d’une visière retombant sur un casque.

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