"La fille et la rue" (partie II)

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Laha souffla, soulagé d’avoir évité la potence, une nouvelle fois. Elle resta tout de même quelques minutes supplémentaires dans sa cachette, afin d'avoir l'assurance d'être hors de dangers. Une fois de plus, elle avait obtenu de la nourriture gratuite.

Elle n'aimait guère voler, non seulement à cause des potentiels risques d'être prise la main dans le sac, mais également pour la réputation qu'elle se donnait. Après tout, la jeune fille avait ses raisons. Malgré les petits boulots enchaînés aux comptes des différents commerçants des environs, l'argent venait toujours à manquer en fin de mois. Fatalement, afin d'économiser ne serait-ce que quelques pièces, Laha volait de temps à autre sur les étables. Ce n’était pas par plaisir, mais par nécessité. Ainsi s’organisait la vie dans les rues d’Akkar.

La jeune fille sortit finalement du tonneau en prenant une grande bouffée d'air frais, puis elle se souvint. Avant cette péripétie et ce jeu de chat et de la souris, elle avait pour but d'aller chercher un objet spécial au compte de Canhler, un vendeur local. Ce dernier lui avait confié, au cours de la matinée au marché, la tâche de se rendre chez Olho, un inventeur ayant en sa possession une marchandise d'une certaine valeur. Laha devait effectuer simplement le transit comme à l’accoutumée, moyennant salaire évidemment. C’était en partit cela qu’elle appelait « ses petits boulots ».

Elle entama donc sa marche dans la ruelle, dans la direction opposée aux deux gardes, vers la banlieue. Le sol pavé était insalubre et le caniveau se remplissait de déchets à l’odeur pestilentielle. Il était malheureusement à l’image des habitats de la proche banlieue. C’était en partie due aux riverains jetant leurs ordures à même le sol, faute d’endroit spécifiquement dédié à cette tâche. La pauvreté jouait aussi un rôle prédominant dans ce problème.

Akkar et ses grands bâtiments de pierre se considéraient comme précurseurs en comparaison aux autres cités, mais où se situait l’avance technologique entre ces murs de pierres où les plus pauvres s’entassaient dans des conditions à peine vivables ? Certes, le centre-ville paraissait attractif de loin, attirant de nombreux campagnard dans la chimère d’améliorer leurs conditions de vie, mais de près, il était préférable de rester en province. Certes, les conditions de vie n’y était pas forcément meilleure, mais on côtoyait la nature à longueur de journée, à défaut de froid pavés.

Après une dizaine de minutes de voyage à pied, Laha arriva enfin devant la bâtisse d’Olho. C’était en fait une ancienne boutique que l’inventeur avait acheté pour une bouchée de pain. La devanture était délabrée, mais on parvenait encore à lire le nom de l’enseigne : « Le chaudron d’Arcadia ». La bâtisse témoignait d’un passé révolu.

En approchant de la porte, Laha fit fuir un trio de rat qui partit immédiatement se réfugier dans l’obscurité du caniveau. La jeune fille recoiffa ses longs cheveux roux virevoltant au vent, avant de toquer. Au bout de quelques minutes d'attente, Olho lui ouvrit, l'invitant à rentrer au sein de sa maisonnette d’un geste de main.

Il portait une tunique brune à moitié déchirée, marchait les pieds nus et avait l’iris des yeux d’une teinte azurée et fade, tandis que son visage se parsemait de rides. L’intérieur de son logis semblait tomber en morceaux. Dans l’arrière-boutique, le vieil homme avait aménagé son lit. La pièce principale, quant à elle, lui servait pour ses affaires.

-Attends-moi ici ma petite, je crois savoir où j'ai caché la marchandise de ce bon vieux Canlher, dit-il tout en replaçant ses vieux lorgnons sur son nez.

Ainsi, Olho se fraya avec difficulté un chemin dans le bric à brac d'objets et de caisses de marchandises s’étalant à même le sol. Même les murs, tout comme l’ancien comptoir, étaient recouverts d'une multitude d'étagères remplis à ras bord.

« Ce n’est pas une maison, mais une décharge », pensa Laha.

Tandis qu’Olho s’affairait à trouver la dîtes marchandise, la jeune fille prit la liberté d'examiner quelques objets dans ce bazar qui attisaient sa curiosité. L'un d’eux était une horloge à vapeur. Intriguée par le mécanisme, elle demanda à son concepteur par quels moyens les aiguilles tournaient. Il lui répondit :

-Le principe est simple à vrai dire. Un cristal chargé en Eor, ou magie si tu préfères, fait chauffer l'eau à travers le verre en amplifiant les rayons solaires. La vapeur se forme puis actionne un piston, et, pour ne pas aller dans les détails, la roue tourne. Ensuite, grâce à un système d'engrenage assez classique, on reproduit les secondes, les minutes et les heures. Il n'y a plus qu'à mettre une armature en laiton pour l'esthétique, et le client est satisfait.

-Je vois … fin nan, j’ai pas capté un mot de ce que tu m’as dit. Mais une chose est sûr, tu te débrouilles vraiment bien en termes de mécanique ! s'enquit Laha.

-En attendant, j'ai eu le temps de trouver ton cristal d'acier, prends-le, que je m'en débarrasse très vite.

Il lui lança alors un petit coffre en bois à travers la pièce, que Laha attrapa de justesse entre ses mains.

-Je t’ai connu moins pressé pour les transferts de marchandises. Tu as tant besoin d’argent que ça ?

-Pas du tout, loin de là ! Ce qui m’effraie davantage que la pauvreté, c’est ce que tu as entre les mains. Entrer en contact physique avec un cristal d’acier, ça attire la colère des dieux à ce qu’on dit. Ce genre d’artéfact, c’est pas de la bonne magie, puis tu me connais, superstitieux comme je suis. Bon, maintenant, sort vite d'ici et que j'en entende plus parler. Au revoir demoiselle !

Laha quitta donc l’ancienne boutique précipitamment, Olho lui claquant la porte au nez. Reprenant son voyage pour retrouver Canlher et sa petite paye, elle ne se soucia pas du danger potentiel que représentait le colis. Qu’est-ce que les dieux, s’ils existent, auraient à faire d’une mortelle comme elle ?

Laha observa alors le ciel. Quelques cumulus ombrageaient de temps à autre la cité, mais globalement, c'était le soleil qui régnait en maître. Aux côtés des nuages, flottant dans les cieux, une nuée de points noirs se dessinait. "Ce doit être des oiseaux migrateurs, l’hiver approche. En revanche, pas l’ombre d’un paradis divin dans le bleu du ciel", souffla-t-elle, avant de soudainement sortir de sa contemplation en manquant de trébucher sur un pavé.

En relevant la tête, la jeune fille distingua au bout de la ruelle un groupe d’hommes encapuchonnés. Elle n'avait pas osé prendre les grandes avenues, privilégiant les rues auxiliaires afin de ne pas être reconnue à la suite de sa mésaventure durant la matinée. Maintenant, elle commençait à regretter ce choix.

En se rapprochant, elle se rendit compte que tous les membres du groupe la dévisageaient avec insistance. Ils étaient habillés de grandes capes noires et de bottes en cuirs usés par le temps. Adossés aux murs, ils conversaient avec discrétion, à l'abri de toutes oreilles indiscrètes, les traits du visage plongés dans l’ombre. Une bourrasque de vent parcourut la ruelle, et lorsque les capes virevoltèrent, Laha vit l’éclat ferreux d’une dague à leurs ceintures.

Passant finalement devant-eux, elle pria dans ses pensées pour ne pas être interpellée. À sa grande surprise, tous s'étaient plaqués contre les murs de pierre afin de lui laisser la voie libre, tous, sauf un. Une voix autoritaire de jeune homme retentit alors en brisant le silence pesant :

-Bah alors Laha, on ne dit pas bonjour à ses vieux camarades ?

Malgré l'obscurité procurée par la capuche, Laha reconnut le visage de Joba. C'était un contrebandier local à qui elle vendait, de temps à autres, les fruits de ses vols à la tire. Il était originaire d’un village voisin à celui de Laha.

A lui aussi, la guerre lui avait tout prit, et, orphelin, il survivait tant bien que mal dans les rues, choisissant la contrebande et le meurtre pour subvenir à ses besoins. Avec le temps, Joba avait abandonné la notion d’honneur, et se soustrayait parfois aux pires atrocités pour quelques pièces de plus. Même si ce n’était sûrement pas le choix le plus judicieux, Laha ne pouvait pas lui en vouloir, c’est ainsi que s’organisait la survie dans la rue.

-Bonjour Joba, hurla presque la jeune fille. Maintenant, je peux y aller ? Je t'en prie, je suis pressée.

-Attend mon ange, avant cela, j'aimerais savoir ce qu'il y a dans ce coffre. Tu me le donnes, que je regarde ?

Tout en prononçant ces mots, il frôla délicatement la lame métallique de sa dague, du bout des doigts. Elle laissa alors Joba prendre en main le coffre, contrainte sous la menace silencieuse du geste. Le jeune contrebandier l'ouvrit, avec brutalité, et il observa avec étonnement, le cristal d'acier.

-Où as-tu eu cela ? C'est très rare comme marchandise, ça se vend à un prix d'or !

-Peut-être, mais rend le moi maintenant, rétorqua fermement Laha.

-Oh que non, vu tous les services qu'on t'a rendus, tu nous dois bien ça enfin ! insista Joba. On t'a sauvé du trou je te rappelle.

-Je te dois seulement une dizaine de pièces, pas une centaine, et oui, je vous suis reconnaissante, mais je vais y retourner si je te le donne. Je te rembourserai autrement, rend le moi, maintenant! ordonna-t-elle.

-Joue pas aux durs. Tu sais très bien ce que j’ai vécu enfant, tu sais tout aussi bien que moi que j’ai besoin de cet argent. Tu n’auras qu’à dire qu’Olho n’a pas reçu la marchandise car il y a eu un pépin au cours de l’acheminement jusqu’à Akkar, je peux le menacer pour qu’il se taise si tu veux.

En guise de réponse et à cours de solutions, Laha décrocha par surprise un furieux direct droit dans le visage du jeune homme, avant d'enchaîner par un coup de pied dans l'entrejambe. Son adversaire tomba à la renverse en gémissant de douleur. La jeune fille lui arracha ainsi le coffre des bras avant de fuir à toute jambe. Il fallut moins d’une seconde aux compagnons de Joba pour se remettre de leurs surprise et d’ainsi poursuivre Laha, ayant pris un peu d’avance. Une pensée, la faisant doucement sourire, lui traversa alors l'esprit : "ma vie, ce n'est qu'une course continuelle".

Se trouvant dans l’incapacité de distancer les hommes de Joba, Laha tenta de semer ses prédateurs dans le dédale de ruelles. Malheureusement pour elle, cette fois-ci, ceux qui la traquaient connaissaient tout aussi bien les lieux qu’elle et couraient à la même allure, n'ayant pas d'épaisses armures les ralentissant. Mais une ruse, après la pensée, germa soudainement dans sa tête.

« Dans tous les cas, ils parviendront à me rattraper, c’est inévitable. En revanche, si j’emprunte les grandes avenues et non les ruelles, les hommes de Joba ne me suivraient sûrement pas. Leurs têtes étant mise à prix, si un des gardes les verraient, ils leurs sauteraient dessus. Bon, ils sauteraient sur n’importe qui brandissant une dague face à une pauvre fille, mais eux seraient pendus à coup sûr. Et justement, si un endroit grouille de gardes, ce sont bien les grandes avenues menant au centre-ville. Ils font toujours leurs patrouilles dans les environs. »

La jeune fille mit alors son plan à exécution. Dans un ultime élan, elle fonça vers l'avenue Ouest qu’on voyait au loin, au bout de la ruelle. Les muscles de ses jambes lui paraissaient brûlants et son cœur battait la chamade, et pourtant, elle accélérait coûte que coûte.

Après une longue minute de sprint, la jeune fille atteignit enfin son objectif. Une seconde après, soulagée, elle s'arrêta au beau milieu de l'endroit en reprenant son souffle, la gorge sèche. Une deuxième seconde passa, et elle balaya les environs du regard. Aucun passant ne l’avait encore bousculée pas, et cela lui semblait plus qu’étrange. L’espace d’un battement de cœur, elle réalisa avec effroi que l’avenue était en fait entièrement vide, hormis une silhouette noire et solitaire se dessinait au loin.

Alors seulement, et bien trop tardivement, Laha se souvint que la fête d’Akkar battait aujourd’hui son plein. C’était la date de fondation de la cité, et les riverains se massaient par conséquent dans le centre-ville afin d’apercevoir la parade qui déambulait, comme chaque année

Ses trois poursuivants surgirent soudainement de l’obscurité, et l’un d’entre eux chargea Laha afin de la faire chuter. Elle esquiva l’attaque d’un pas de côté, avant de riposter par un violent coup de coude dans le dos de l’homme, tandis qu’il chutait. Le deuxième lui asséna par surprise une droite en pleine tête. Laha tituba, mais elle repartit malgré tout à l’avant, au contact. Elle se baissa, évitant une autre droite, et lança un puissant uppercut dans le menton en guise de riposte. L’homme, qui faisait pourtant deux fois son poids, fut soulevé de terre.

Alors qu’elle s’apprêtait à repartir, le premier de ses adversaires se releva derrière elle et passa brusquement son bras autour du mince cou de Laha en l’étranglant.

-C’était moins une ! J’ai bien cru que la petite garce nous échapperait, souffla un des hommes en se relevant.

Elle tenta alors de se débattre, sans y parvenir. Au fils des secondes, sans oxygène, sa vision se troublait et ses muscles l’abandonnaient. Elle se sentit alors tomber au sol tandis qu’un coup de tambour parcourut son crâne : c’était sa tempe qui avait brusquement heurté les pavés froids.

Sortit de nulle part, un passant s’arrêta devant la scène. Il portait lui aussi, sur ses épaules, une longue cape noire et l’on distinguait, au travers de l’obscurité de sa capuche, un masque sur son visage, un masque de fer.

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