Chapitre 29 - Nouvelle Suspecte
* MARTIN *
Comme chaque matin, c’est au café Bernard que Martin aperçoit Emilie ce jour-là. Elle l’a bien vu, il en est certain. Il l’a vu relever les yeux vers lui lorsqu’il est entré. Pourtant elle l’ignore totalement. Peut-être est-elle gênée par rapport à ce qu’il s’est passé dans la rue l’autre jour ?
Peu importe. Ne souhaitant pas trop insister et dans l’optique de sa filature à venir, il prend son café seul au comptoir, la laissant boire son thé à sa table, comme à leur habitude. Lorsqu’elle termine et sort de l’établissement, il se hâte de la suivre en toute discrétion. Elle avance d’un pas décidé dans les rues de la ville, faisant quelques étapes dans des magasins au passage, puis s’engouffre enfin dans un immeuble d’habitation. Martin en profite pour prendre un chewing-gum – il a promis à sa Catwoman d’arrêter de fumer – en l’attendant, appuyé sur le tronc d’un arbre sur le trottoir d’en face.
Après quelques minutes, elle ressort, accompagnée d’une autre femme que Martin ne connait pas, mais dont la silhouette semble étrangement correspondre à celle de sa Catwoman. La ressemblance est même frappante : A peu près de la même taille qu’Emilie, un peu plus vieille quand même, fine, du genre plutôt musclée et sexy, bien moulé dans un pantalon de cuir noir… Et surtout, brune aux cheveux longs !
Bingo ! Je tiens là une piste intéressante !
Non seulement d’apparence physique semblable à sa justicière sexy, la jeune femme semble également très proche d’Emilie. Les deux femmes rient ensemble, parfois épaules contre épaules, de manière plutôt complice. Et Emilie finit carrément par prendre le bras de sa compagne, avant que celle-ci ne pose délicatement une main sur la sienne, le regard attendri.
Je suis sûr qu’il y a quelque chose entre ces deux-là… Si ce n’est une forte amitié, peut-être carrément une romance ? Après tout, Emilie parait hésiter à chaque fois que je tente une approche avec elle… Peut-être qu’elle a un faible pour les filles finalement… Et si c’est ça, alors c’est peut-être même grâce à sa relation avec Catwoman qu’elle obtient des infos ! Des confidences sur l’oreiller en somme !
Ce ne serait pas très académique, voire franchement polémique, mais bon… Personnellement, je ne m’en offusquerai pas.
Avant que son esprit ne parte dans des considérations encore plus extravagantes, Martin entame aussitôt son enquête. Il faut à tout prix qu’il se renseigne sur cette femme. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Où habite-t-elle ? Que fait-elle dans la vie ? Il veut tout savoir.
Les ayant suivis jusqu’au café dans lequel elles font une halte réhydratation, Martin patiente au coin de la rue jusqu’à ce qu’elles en ressortent, et interroge d’abord le barman pour obtenir un nom. Puis, faisant fonctionner son réseau de connaissances comme il se doit, il apprend que la femme prénommée Diane se rend régulièrement dans un cabaret.
C’est une danseuse de cabaret, putain !!! Activité idéale pour parfaire sa musculation de justicière, non ? Surtout que cela nécessite certainement une certaine pratique de la danse acrobatique !
Bien décidé à en savoir d’avantage, Martin se rend à plusieurs reprises dans le fameux cabaret afin tenter de filer la femme, mais fait chou blanc. Cependant, il en profite pour observer les danseuses plus attentivement. Accoudé au comptoir, il constate que les mouvements qu’elles effectuent lors des spectacles sont parfaitement adaptés aux déplacements sur les toits et aux interventions musclées de sa Catwoman. Salto, vrille, poirier, grand écart… chaque posture pourrait servir pour appréhender les brigands, puis s’enfuir sans se faire repérer. Cette fois, il en est certain, c’est la suspecte idéale !
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Fort des indices qu’il a récoltés, Martin reprend alors les planques nocturnes, espérant ainsi faire le lien avec sa désormais suspecte numéro un. Car il compte bien démontrer que ses heures de temps libre correspondent forcément avec les interventions de la justicière vengeresse.
Et cette nuit encore, elle intervient bien. Branché sur le canal radio de la police, Martin suit toute l’action de loin, comme à son habitude. Une jeune demoiselle vient de se faire agressée dans une ruelle sombre par deux individus encapuchonnés, et les flics sont à leur recherche. Après quelques minutes, l’une des patrouilles se retrouve une nouvelle fois devant le spectacle affligeant des délinquants de bas étage, ligotés et suspendus à un réverbère. A priori, ils ont également pris quelques coups en prime, vengeance du côté féministe de sa Catwoman probablement ! Ayant suivi les indications à la radio, Martin se rend lui aussi sur place et se gare à distance réglementaire, scrutant les toitures pour essayer de la repérer. Et subitement, une ombre saute par-dessus la ruelle dans laquelle il est stationné. Ni une ni deux, Martin sort de son véhicule et la suit à pied pour plus de discrétion. Il réussit à la pister ainsi durant quelques temps, mais finit par perdre sa trace derrière un HLM. Martin note le nom de la rue, puis s’approche de l’interphone pour y déchiffrer les noms des locataires. Peut-être est-ce ici qu’elle loge ?
Malheureusement, pas de « Diane » dans la liste.
Peu importe. Je finirais par découvrir la vérité, une fois que je l’aurais confronté à mes investigations.
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Le lendemain, Martin se pointe au cabaret avec la ferme intention de prouver son intuition.
« - Bonjour, lance-t-il, sûr de lui, à l’homme en costard qui trie les tickets de caisse sur le comptoir.
- Bonjour monsieur. En quoi puis-je vous aider ?
- Je cherche une de vos danseuses. Mademoiselle Diane.
- Vous lui voulez quoi, à Diane ? l’interroge l’homme d’un air suspicieux.
- Eh bien… minaude Martin, tentant de prêcher le faux pour savoir le vrai. Pour tout vous avouer… Nous avons eu une… comment dire ? Une… relation intime, dernièrement.
- Vous ?! Avec Diane ??
- Euh… Oui… Pourquoi ? Ça vous choque ?
- Vous êtes un peu jeune pour elle, ma foi ! Mais bon… Elle couche avec qui elle veut après tout, ce n’est pas mon problème.
Bon déjà, ça signifie donc qu’elle est hétéro…
- Oui, bien sûr… Non mais… Enfin… Raah ! C’est embarrassant ! grimace Martin d’un air gêné en se passant la main dans les cheveux. Disons que je n’étais pas totalement dans mon état normal, vous voyez ? Et euh… Eh bien, je n’ai pas été très correct avec elle. Alors je voudrais… M’excuser. J’ai tenté de la joindre hier soir, mais elle ne m’a pas répondu. Alors je me suis dit que…
- En effet, c’est logique, le coupe rapidement celui qui doit être le patron de l’établissement. Elle travaillait, figurez-vous !
- Ici ?
- Non, elle est infirmière. Elle ne vient ici que pour les entrainements des nouvelles filles. Vous le souriez si vous aviez eu un peu plus de classe avec elle !
Quoi ?! Infirmière ?? Mais…
- Ah… Bah oui… Evidemment, suis-je bête… Mais j’avais laissé un message au barman, alors je pensais qu’éventuellement, si elle était passée par ici, elle m’aurait rappelé…
- Elle n’était pas ici, je viens d’vous dire. Elle était de garde la nuit dernière.
Et merde…
- Ah… Et… Elle n’a pas pu passer entre deux, par hasard ?
- Du tout, non ! Allez donc vous renseigner à l’hôpital, si vous n’me croyez pas ! En plus, on n’a pas de nouvelles à former en ce moment. Autre chose ? »
Ce n’est donc pas elle… Fait chier… Retour à la case départ…
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Alors qu’il ressort de l’hôpital après avoir eu confirmation des horaires de garde de sa suspecte – plus si suspecte que ça désormais – les mains dans les poches et le regard vissé au sol, perdu dans ses réflexions, Martin se fait subitement alpaguer.
« - MacCulling ??
- Ah, bonjour Emilie, lance-t-il en relevant le nez.
- Qu’est-ce que vous faites par ici ?
- Et vous ?
- C’est typique de vous, ça ! Répondre à une question par une autre… Bref ! Je suis venue chercher…
- Diane ? la coupe-t-il rapidement sans même s’en rendre compte.
- C-Comment la connaissez-vous ?? balbutie Emilie en écarquillant les yeux.
Ah merde, j’ai encore parlé trop vite…
- Oh euh je… Je vous ai vu avec elle l’autre jour et…
- Attendez… Vous m’espionnez ?! s’agace-t-elle.
- Mais non !! Pas du tout !! s’offusque un Martin peu convaincant, qui commence à paniquer.
- Alors comment connaissez-vous le nom de ma mère ?
- V-Votre… Mère ?!?
Hein ?! Mais c’est quoi ce bordel ??
- Oui. Ma maman. Diane Routin.
- Mais… Elle parait pourtant si… jeune ?!
- En effet, elle ne fait pas son âge. Mais n’essayez pas de vous défiler, et répondez à ma question ! Vous m’espionnez, oui ou non ??
- Bon OK, souffle-t-il finalement, avant de reprendre de son aplomb. OK, je vous ai vu en compagnie de cette… femme au café, et j’avoue que j’avais très envie d’en savoir plus sur elle, car je la trouvais plutôt jolie. D’ailleurs… ajoute-t-il avec un petit sourire en coin. Si c’est bien votre mère, elle est encore vachement bien roulée ! Si jamais vous pouviez me refiler ses coordonnées…
- Non mais je rêve !! s’indigne Emilie, rougissante de colère. Vous êtes vraiment un bel enfoiré, vous ! L’autre jour, vous m’embrassiez dans la rue, et là vous voulez carrément vous taper ma mère ?! Non mais quel toupet !! Et moi qui… Rrraaaaah ! crache-t-elle, folle de rage.
- OK ! OK ! s’exclame Martin, confus et sentant la situation lui échapper. Ne vous énervez pas, c’était une blague ! De très mauvais goût, c’est vrai… Je voulais juste vous taquiner…
- Me taquiner ??? exulte-t-elle.
- Bon… très bien, j’avoue tout. Je... J’ai très envie d’apprendre à vous connaitre. Voilà, vous êtes contente ? Alors quand je vous ai vu en compagnie de cette femme, bras d’sus bras d’sous et plutôt complices toutes les deux, j’ai voulu savoir qui elle pouvait bien être pour vous.
- Et donc vous avez enquêter sur moi ?
- Euh… Oui, en gros c’est ça, oui… murmure-t-il, un peu honteux, en se massant la nuque. C’est que... Vous sembliez très... proches. »
Emilie fronce les sourcils en scrutant le visage penaud de Martin, et il sent presque ses yeux pénétrer au plus profond de ses pensées.
« - Attendez… Ne me dites pas que vous avez cru… Ha ha ! s'esclaffe-t-elle en comprenant sa méprise. Alors ça c’est la meilleure ! Moi et… ? Seriez-vous jaloux, MacCulling ?? lui demande-t-elle alors avec un petit sourire malicieux.
- Hein ?! Moi ?? Jaloux ?? Et d’une femme, en plus ? Pfft ! Certainement pas ! … Je devrais ??
- Je croyais vous avoir pourtant prouver que je suis plutôt attirée par les hommes, non ? Et je viens de vous dire qu’il s’agissait de ma mère. Nous sommes effectivement plutôt proches toutes les deux. D’où notre complicité.
- Je vois… Je ne savais pas que c’était votre mère… Excusez-moi pour ce malentendu, mais vous vous ressemblez un peu… je veux dire, vous avez les mêmes formes délicates, la même silhouette svelte, la même que… Bref ! Sur le coup, j’ai cru que c’était votre sœur, pour être honnête !
- Ha ha ! Non, non, pas du tout ! Mais c’est ma génitrice, donc forcément… Vous trouvez qu’on se ressemble à ce point ?! Ça lui fera plaisir d’entendre ça, tiens ! Non parce que c’est vrai qu’elle est encore tout à son avantage pour son âge ! Elle a toujours été une belle femme, vous savez. Alors j’espère avoir héritée un peu de sa beauté, j’avoue… En plus, elle pratiquait la danse acrobatique étant jeune, alors forcément… ça aide niveau carrure ! débite-t-elle un peu gênée mais visiblement honorée de la comparaison.
- Vous êtes ravissante également. » la coupe Martin en souriant simplement.
Pour la première fois de sa vie, il n’avait aucunement l’intention de séduire la femme à qui il vient de faire un compliment, et son rougissement soudain le perturbe alors. Elle a la même réaction qu’il attend des femmes lorsqu’il les drague délibérément, alors que cette fois-ci ce n’était pas le but. Elle semble brusquement intimidée, presque mal à l’aise face à sa remarque. Une facette de sa personnalité qu’il n’avait encore jamais vue, et qui le touche étrangement. Habitué à son franc parlé et à sa répartie féministe, un frisson le parcourt, et quelque chose qu’il ne connaissait pas auparavant lui remue les entrailles : Ça ressemble à… Des papillons ?!
« - Heum… Merci, murmure-t-elle en prenant soin de fixer le sol à ses pieds.
- Je vous en prie, c’était sincère. »
Elle replace machinalement une mèche de cheveux derrière son oreille, et le cœur de Martin rate un battement lorsque ses yeux se posent sur sa nuque ainsi mise à nue. Un silence pesant s’installe, et la tension entre eux est palpable.
« - Bon, euh, je… bredouille-t-il en essayant de reprendre contenance. Je suppose que vous avez des choses à faire et moi aussi donc… ‘Fin j’veux dire, je vais vous laisser rejoindre votre mère et euh… Je suis ravi de vous avoir revu, c’est toujours un plaisir.
- De même, lui répond-elle, les joues toujours rosies. Bonne journée monsieur MacCulling ! lance-t-elle d’un ton faussement enjoué avant de se diriger vers l’entrée principale de l’hôpital.
- S’il-vous-plait, appelez-moi Martin… » marmonne-t-il alors qu’elle ne l’entend déjà plus.
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