Chapitre 32 - Enfance Brisée

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* MARTIN *

« - Je ne veux pas vous perde, vous aussi… Pas vous… Pas encore… »


Allongés sur son lit médicalisé, l’épaule en vrac, Martin fixe obstinément le plafond d’un blanc immaculé. Il n’arrive pas à fermer l’œil. Ces derniers mots résonnent encore dans sa tête.

Qu’a-t-elle voulu me dire ? Pourquoi « encore » ? Aurait-elle déjà perdu un être aimé auparavant ?

Elle semblait si apeurée, si paniquée lorsqu’elle est venue à mon secours…

Alors qu’elle maintenait la pression sur sa plaie ouverte, il percevait les tremblements de ses bras, les trémolos dans sa voix quand elle tentait de le rassurer. Et malgré la douleur qui troublait sa vue, il a aperçu les larmes sur ses joues. Il les a même senti mouiller légèrement son t-shirt. Elle avait peur pour lui, c’était clairement perceptible.

Oui, il en est persuadé, elle a probablement perdue quelqu’un de cher à son cœur avant cela. Et cela lui rappelle vaguement une histoire… Un fait divers même…

Mais c’est impossible… Non, ça ne peut pas être…

Tout ça est ridicule ! Tu débloques mon pauvre ! La douleur te fait délirer ! Ou bien ce sont les médicaments, peut-être ? Oui, c’est ça, je dois être trop shooté pour réfléchir correctement…

A moins que…

Ses soupçons sont encore trop flous, et il faudrait d’abord qu’il s’assure de quelque chose. Un point à éclaircir avant d’être certain de ses accusations.


#

Durant sa convalescence, Martin reçoit la visite de l’officier Maurice dans sa chambre d’hôpital.

Ça tombe bien, c’était à lui que je voulais parler justement !

« - Hey Marty ! Ça va ? lui glisse gentiment Maurice en passant la porte.

- Oh ! Maurice ! C’est gentil de passer me voir ! Bah entres !

- C’est normal. Après tout… C’est un peu ma faute aussi, ce qu’il t’est arrivé… Si je ne t’avais pas laissé enquêter…

- Ne dis pas de sottises ! le coupe-t-il immédiatement. C’est entièrement et uniquement ma faute. Ce n’est pas toi qui m’as poussé devant le tireur, hein !

- Oui, mais bon… Tu douilles pas trop, ça va ?

- Un peu… C’est moins grave qu’il n’y parait, cela dit ! Je m’en sors bien…

- Ah… Tant mieux… »

Un bref silence s’installe entre eux, et Maurice en profite pour s’assoir sur le fauteuil à côté du lit.

« - Dis-moi, Maurice… reprend timidement Martin. On n’a jamais reparlé des circonstances exactes de la mort du père d’Emilie.

- Non, c’est vrai. Pourquoi ? Ça t’intéresse maintenant ??

- En fait… Oui. J’aimerai mieux la connaitre, tu comprends ?

- Attends… Ne me dis pas que tu es… Amoureux ?!

- J’irais pas jusque-là, mais… Elle m’intéresse, oui… Bon, bref ! Tu me racontes ou pas ?! »

Maurice semble septique et le regarde d’un air méfiant.

« - Bon, si tu veux rien m’dire, c’est pas grave, hein ! s’enquiert Martin. Je me débrouillerai pour savoir autrement… Je te le demandais parce que tu m’as dit que tu étais présent ce jour-là, donc ta version est probablement la plus véridique et détaillée qui existe, mais tant pis…

- Non, non ! C’est bon, le prends pas comme ça ! Très bien, je vais te raconter… C’était il y a quelques années, maintenant… Mais je m’en souviens comme si c’était hier…

« Roger et moi, on était coéquipier depuis déjà plusieurs années. On se connaissait bien, on avait fait l’école de police ensemble. On s’était perdu de vue durant nos premières années en poste, mais quand on s’est retrouvé dans le même commissariat, c’était une évidence de travailler à deux. Je connaissais bien sa famille du coup, sa femme Diane, et sa fille que j’ai vu grandir. J’étais même son témoin de mariage, c’est dire !

Bref. Ce jour-là, nous étions tous deux en patrouille. On s’était arrêté à la boulangerie pour acheter des viennoiseries, quand j’ai aperçu sur le trottoir d’en face une ravissante jeune femme que je courtisais depuis quelques temps. Je venais de divorcer, j’avais envie de me recaser, tu comprends ? Et cette nana, elle m’intéressait fortement. Donc j’ai abandonné Roger dans notre véhicule de fonction pour aller la rejoindre et lui parler. Ça faisait déjà un moment que je la draguais, et j’espérais conclure, tu vois !

Alors qu’il m’attendait bien sagement, en se foutant de ma poire soit-dit-e-passant, Roger a vu deux bandes qu’on savait rivales arriver au bout de la rue. Il a senti le drame se profiler, mais étant seul, il est d’abord resté planqué et a demandé des renforts. Moi, j’avais baissé le son de ma radio, je ne l’ai pas écouté… Mais pendant qu’il faisait son annonce à la radio, il a vu passer une jeune écolière à côté de la voiture. Elle se dirigeait droit sur les deux bandes rivales, son sac sur le dos, sans se douter du danger qu’elle pouvait courir. Roger a aussitôt reconnu sa fille, et il s’est précipité pour l’empêcher d’y aller.

Lorsque les deux bandes ont aperçu son uniforme, elles ont tout de suite sorti leurs flingues et ont commencé à tirer dans l’tas. Roger a réussi à attraper Emilie pour la mettre à l’abri et a sorti son arme à son tour pour riposter. Quand je me suis aperçu de ce qu’il se passait, j’ai voulu aller l’aider, mais c’était trop tard… En voulant maintenir Emilie cachée derrière un conteneur à poubelle tout en tirant sur ces vaut-riens, Roger s’est mis un peu trop à découvert, et il a pris une balle dans le cou… Ça a touché l’aorte, et il s’est effondré juste devant les yeux de sa propre fille… J’ai fait ce que j’ai pu pour compresser la plaie, tout en essayant de protéger Emilie en attendant les secours et les renforts. Mais j’ai rien pu faire… Il est finalement décédé des suites de sa blessure.

Emilie avait 14 ans… »


Après son récit, tous deux restent silencieux, Maurice encore dans ses souvenirs, et Martin sidéré par les évènements qui viennent de lui être narré. Il compatie alors pour Emilie, comprenant désormais ce qu’elle a traversé et la douleur qu’elle a pu éprouver. Vivre sans père, comme lui, c’est une chose, mais avoir vécu avec lui et le perdre aussi tragiquement, s’en est une autre…

Si jeune et déjà ébranlée par la mort… Perdre son père de cette manière, et devant ses yeux en plus…

Reprenant petit à petit ses esprits, Martin fait soudain le lien avec les derniers mots de sa justicière bien-aimée. Serait-il possible que cela ait un rapport avec ce fait divers ? Aurait-elle vécu la même chose ? Serait-elle… Une sœur cachée d’Emilie peut-être ?? Ou…

C’est décidé, il va creuser cette piste.


* MAURICE *

Quand il l’a vu étendu sur son lit d’hôpital, la gueule en vrac, il n’a pas voulu en rajouter une louche sur son malheur. Mais le fait que Martin était sur place et qu’il se soit mis en danger ainsi dans l’unique but de protéger la justicière de la nuit lui confirme qu’il y a bien un lien entre ces deux-là.

Avant de sortir, Maurice se propose de passer à son appartement afin de lui récupérer des affaires. Ce que Martin accepte assez facilement, en lui remettant volontiers ses clefs. Belle aubaine !

Ni une ni deux, Maurice se hâte dans les escaliers jusqu’à l’étage de Martin, ouvre la serrure et entre. Il prend soin de bien refermer derrière lui avec un petit coup de clef, histoire de pouvoir fouiller tranquillement sans être démasqué par d’éventuels voisins trop curieux.

Lorsqu’il se retourne pour balayer la pièce du regard, rien n’a changé depuis sa dernière visite. Le lit est toujours défait, un reste de vaisselle traine dans l’évier, des vêtements sales trainent ici et là… Bref ! L’appartement typique d’un mec seul et plus obnubilé par ses conquêtes que par le rangement de son logement.

Ses yeux dérivent alors vers l’endroit qui l’intéresse vraiment : la table de chevet. La pelote de laine s’y trouve toujours. Maurice s’avance et inspecte l’objet avec attention. Il remarque qu’une des extrémités dépasse et semble légèrement abimée. Comme si le fil avait servi plusieurs fois. Il se redresse et entreprend de faire le tour de la pièce, espérant y trouver un indice sur l’emploi possible de cette bobine de fils. Mais aucun signe à l’intérieur. Il ouvre la baie vitrée et sort sur le balcon, la pelote toujours en main. Après avoir scruter les abords, il découvre enfin ce qu’il cherche : Un morceau de laine est encore accroché à l’antenne râteau, à côté de la rambarde. Maurice s’avance et enfile ses lunettes pour mieux examiner les fibres coincées dans l’anneau de ferraille qui maintient l’appareil sur le mur.

Soudain, il comprend. Il s’agit d’un signal, il en est certain ! Et désormais, il compte bien s’en servir à son tour !

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