Place de la République

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Paris, 12 décembre 2023

Le regard sombre, Gérard Delcroix se tenait debout dans son pied à terre parisien, observant la Place de la République à travers la porte-fenêtre. La stature imposante du sénateur, son visage marqué par les années de lutte politique, le timbre de sa voix : tout incarnait chez lui l'autorité et l’expérience. A ses côtés, Bruno Lagueux, un allié de longue date, scrutait la même scène. L'assassinat récent d'un professeur de lycée par un islamiste - trois ans jour pour jour après un attentat similaire - avait renforcé leur volonté de rétablir l’ordre au plus vite. Mais il y avait encore loin de la coupe aux lèvres.

— Nous devons agir rapidement, déclara Delcroix, brisant le silence. La nouvelle loi Immigration doit passer, coûte que coûte. C'est notre seule chance de reprendre le contrôle de la situation.

La loi, en durcissant les conditions de séjour des étrangers et en donnant plus de moyens juridiques contre l'immigration illégale, était un sujet de débat houleux. Mais la contribution de Delcroix, son habileté politique, le soutien financier dont bénéficiait son mouvement pouvaient faire pencher la balance et aider à passer le projet, en dépit de toutes les oppositions.

— Oui, nos moyens juridiques et humains en matière de sécurité doivent être renforcés, répondit l’ancien capitaine des services de renseignement. Nous ne pouvons pas tolérer davantage d’insécurité et de désordre.

A quelques dizaines de mètres, la prise en otage d’une manifestation pacifique par les factions habituelles donnait à la Place de la République des allures de champ de bataille. Mobilier urbain, vitrines des magasins et restaurants, véhicules : les casseurs faisaient feu de tout bois, surfant sur les nouvelles tensions nées des attentats du Hamas et du bombardement de la bande de Gaza.

Au même moment, dans un petit appartement du 11ème arrondissement, Marc Vautier et Claire Dubois travaillaient sur la faisabilité de leur projet de réforme démocratique.

Ils formaient un duo improbable, lui le professeur de sciences politiques au Collège de France, elle, la fonctionnaire en poste dans une collectivité territoriale de la région parisienne, tous deux en quête d’une réforme de la vie politique qui permettrait à la société française de se transformer. Claire avait découvert Marc quelques années auparavant, dans le cadre d’une formation au management du secteur public. Comme beaucoup d’autres stagiaires, elle avait immédiatement était séduite par le talent pédagogique de Marc, l’étendue de ses connaissances, l’ambition de ses recherches, l’énergie et la passion qu’il dégageait. Marc avait eu le plaisir de la voir s’approprier avec facilité les concepts de sa discipline, prendre de l’assurance dans les exercices pratiques en sous-groupe et décrocher à l’issue de la formation un très beau poste, généralement réservé à des candidats beaucoup plus expérimentés. Ils avaient gardé le contact, d’abord autour de travaux de recherche dirigés par Marc, qui aimait de temps en temps solliciter la critique toujours empreinte de pragmatisme de Claire. Celle-ci s’était prêtée d’autant plus volontiers à l’exercice qu’elle avait fini par reconnaitre que son sentiment d’admiration cachait une pulsion plus profonde. La différence d’âge, le tabou de l’ancienne relation professeur étudiante : Marc avait résisté aussi longtemps qu’il avait pu. Puis avait cédé brusquement un soir, sous l’effet de sentiments trop longtemps repoussés. L’ancienne stagiaire avait fini par emménager chez lui.

Le projet de réforme démocratique était leur bébé. Il était né de leur rencontre, de leurs constats partagés, de leurs convictions communes, de leur volonté d’influencer le cours des événements.

— La France est fragilisée par les crises successives, dit Claire. Si cela continue comme cela, nous allons à nouveau nous retrouver au bord du gouffre.

— Les gens ont peur de l’avenir, opina Marc, qui venait de passer en revue les dernières nouvelles sur son smartphone. Ils sont prêts à sacrifier leurs libertés pour plus de sécurité. Notre projet doit répondre à cela.

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