Préparation
Saint-Denis, septembre 2024
Sophie Martin, la jeune activiste à l'énergie contagieuse, se tenait dans l’open-space du plateau loué par Samir. Autour d'elle, les voix enthousiastes des bénévoles, le cliquetis des claviers et la forte odeur de café formaient une ambiance dynamisante. Dans la ruche du projet "Faire Nation", Sophie était la cheville ouvrière qui reliait chaque action, chaque idée, veillant à la réalisation de la vision de Marc Vautier. Le lancement approchait, et chaque détail comptait.
— Sophie, as-tu vérifié les derniers ajustements pour le site de Marseille ? demanda Raphaël, sa silhouette élancée se découpant dans la lumière tamisée de la pièce.
— Oui, tout est en ordre. Mais on a un souci avec le transport des équipements à Lyon, répondit-elle, les yeux rivés sur son écran. J’appelle la société de transport.
— Bonjour, ici Sophie Martin de l'équipe "Faire Nation". Je vous appelle concernant notre livraison à Lyon. Pouvez-vous me dire où en sont les choses ?
— Bonjour Madame Martin. Oui, j'ai bien peur d'avoir de mauvaises nouvelles. Le camion qui transportait votre équipement est tombé en panne cette nuit près de Clermont-Ferrand. Nous faisons notre possible pour le réparer, mais je crains que cela ne prenne plus de temps que prévu.
— Combien de temps exactement ? Le lancement est imminent, nous ne pouvons nous permettre aucun retard.
— Eh bien, les premières estimations indiquent que la réparation pourrait prendre au moins deux jours. Même dans ce cas, nous devons encore organiser le transport jusqu'à Lyon. Je suis désolé, mais il est très improbable que nous puissions respecter le délai initial.
— Deux jours ? C'est inacceptable. N'y a-t-il pas d'autre solution ? Pouvez-vous affréter un autre camion ou utiliser un service express ?
— J'ai vérifié toutes les options, Madame Martin. Malheureusement, compte tenu de la spécificité et du volume de votre équipement, ainsi que de la distance, nous n'avons aucun moyen de garantir une livraison plus rapide. Les services express ne prennent pas en charge des chargements de cette taille sur de telles distances à la dernière minute.
— Et si nous venions chercher une partie de l'équipement par nos propres moyens ? Pourriez-vous au moins nous faciliter cela ?
— Nous pouvons organiser cela, oui. Si vous avez les moyens de transporter l'équipement depuis Clermont-Ferrand, nous ferons en sorte que tout soit prêt pour le chargement dès votre arrivée. Mais je dois vous prévenir, cela reste une grande quantité d'équipement à gérer.
— Nous n'avons pas le choix. Nous organiserons quelque chose de notre côté. Envoyez-moi immédiatement tous les détails par email, y compris l'adresse exacte et la personne à contacter sur place. Nous trouverons une solution.
— Bien entendu, Madame Martin. Je vous envoie tout cela dans les prochaines minutes. Et encore une fois, je suis vraiment désolé pour cet inconvénient.
Après avoir raccroché, Sophie se tourna vers l’équipe pour l’informer du problème.
— Aucune solution du côté de la société de transport. Ils ne peuvent rien faire pour accélérer les choses. Nos équipements sont coincés et le temps nous est compté. Quelles sont nos options ?
Sophie sourit en elle-même. « Quelles sont nos options ? ». Elle adorait cette réplique piquée dans Borgen, la série de politique fiction danoise des années 2010.
Les idées et propositions commencèrent à jaillir, des plus banales – affréter un nouveau véhicule, mais le délai ne serait pas respecté - aux plus loufoques – envoyer un drone géant. A l’issue du brainstorming, Sophie reprit la parole : — Merci pour vos contributions, nous allons donc faire appel à la communauté de sympathisants du mouvement pour une opération de transport collaboratif.
Dix minutes plus tard, chaque membre du réseau avait une notification expliquant la situation et faisant appel au volontariat. Puis les premières bonnes volontés se manifestèrent. Les points de rendez-vous s’organisaient à Clermont-Ferrand et Lyon, les volontaires commençaient à se rassembler, apportant leurs véhicules, prêts à charger ou à transporter les équipements.
Sophie, observant le problème se dégonfler, senti son cœur se gonfler de joie. Ce qu'ils accomplissaient collectivement dépassait de loin la simple livraison d'équipements. C'était la preuve vivante qu'ensemble, ils feraient face à n'importe quelle difficulté.
Depuis quelques temps, elle avait pris conscience de la complexité des changements qu'elle souhaitait voir dans la société, loin des idéaux simplistes de ses années lycée. La préparation matérielle du projet était un dédale de décisions, d'imprévus, d'adaptations constantes. Chaque défi la rapprochait un peu plus de la réalité du terrain, cette source fraiche qui renouvelait en permanence sa motivation. Mais elle devait faire attention à l’équilibre de plus en plus fragile entre les exigences du projet et les aspirations de son cœur. Son compagnon, un jeune avocat prometteur peu enclin aux révolutions sociales, ressentait une distance croissante entre eux et s’en était ouvert.
Dans tous les cas, bientôt, le projet "Faire Nation" allait se déployer à travers le pays, en semant ses graines d'unité et de renouveau. Ou en se transformant en un gigantesque flop… le doute n’était jamais loin.
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