Opération « Panthéon »
Quartier du Panthéon, septembre 2026
Dans les coulisses des universités d’été des différents partis, malgré les tractations, les alliances dans la perspectives des présidentielles ne se concrétisaient toujours pas. Comme toujours, à ce stade, « Charbonnier est maître chez soi » l’emportait sur « L’union fait la force ». Les courants centristes n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur un candidat unique, Delcroix essayait sans succès d’unifier toutes les droites derrière sa candidature, les deux extrêmes profitaient de la situation et grimpaient dans les sondages. Les doctrines calcifiées, les ambitions nouvelles, les haines de trente ans : les conditions étaient une fois de plus réunies pour préparer les prochains coups tordus et les prochaines trahisons. A la grande satisfaction des médias et de leurs annonceurs.
Pendant ce temps, « Faire Nation » entrait dans une phase d'expansion dynamique, bénéficiant d'un soutien croissant dans la population, au-delà du microcosme culturel. Les événements et les forums publics se multipliaient à travers le pays, attirant nombre de participants désireux de contribuer à la vision d'une France renouvelée et unie par des valeurs démocratiques fortes. Les artistes, les écrivains et les musiciens, inspirés par les défis du grand projet, produisaient des œuvres aux perspectives novatrices sur l'identité française et sur les possibilités d'une société plus ambitieuse pour tous, ce qui n’allait pas sans entrainer de vigoureuses controverses. Les médias régionaux se faisaient l'écho de cette effervescence culturelle, en mettant régulièrement en avant les initiatives les plus originales et leur impact sur les débats locaux. Profitant de cet élan, les discussions sur les réformes démocratiques, auparavant confinées aux cercles académiques et politiques, se diffusaient petit à petit à un public plus large.
Mais l'expansion rapide du projet présentaient de nouveaux défis pour Raphaël et son équipe. Il fallait toujours plus de ressources et de méthodes pour gérer convenablement cette croissance ; et plus d’habileté pour maintenir son indépendance face aux tentatives de récupération politique. En effet, depuis quelques semaines, l'engouement autour du projet attirait l'attention d’un nombre croissant de personnalités politiques, qui voyaient dans celui-ci une opportunité de se reconnecter à une base électorale de plus en plus désillusionnée. Raphaël devait donc naviguer entre la volonté de Marc d'influencer le paysage politique et la nécessité de préserver la diversité et l'autonomie des contributions à « Faire Nation ».
Les minutieux préparatifs de Lagueux touchaient à leur fin. Dans son atelier, il passait pour la dernière fois en revue le plan du quartier du Panthéon, les horaires de Vautier et les déplacements autour de la rue Saint Jacques, afin de vérifier la cohérence du déroulé de l’opération avec chacun de ces éléments.
Le drone, modifié en engin kamikaze, devait passer inaperçu jusqu'à son activation. Lagueux avait donc choisi le toit du Panthéon pour le décollage de l’appareil. Le Panthéon, un lieu chargé d'histoire, symbolisant la grandeur et la chute, et surtout bien pratique pour prendre l’air sans attirer l’attention le jour J, à quelques dizaines de mètres du Collège de France. Deux jours auparavant, Lagueux, habillé en touriste, avait pu accéder aux étages supérieurs du monument récemment restauré et positionner discrètement la machine. Il ne restait plus qu’à attendre une météo favorable, le drone ne pouvait pas résister à un vent de plus de 40 km/h et il n’était pas question de prendre le risque d’en perdre le contrôle.
Dans l’amphithéâtre, Marc répondit à la dernière question avant la pause puis consulta son smartphone. SMS de Claire. « On déjeune ensemble ? Suis au Sénat, possible te rejoindre vers 12h30 ». « Avec plaisir, ok 12h30 devant CDF ».
12h15, Vautier n’allait pas tarder à sortir. Lagueux fit décoller le drone. C’est d’une simplicité déconcertante, pensa-t-il. Le petit bijou d’électronique répondait au doigt et à l’œil, stabilisé en permanence par son minuscule ordinateur de bord. Il le cala sur l’altitude 59 mètres, juste sous la couverture radar et suffisamment haut pour que le bourdonnement des quatre hélices soit inaudible au niveau du sol. Puis il vint se positionner à l’aplomb de la sortie du Collège de France, de manière à repérer Vautier dès que celui-ci apparaitrait. Ce serait ensuite un jeu d’enfant de le suivre jusque à la rue Saint-Jacques, une rue suffisamment large pour l’acte final.
Marc rangeait ses affaires rapidement, pressé de retrouver Claire. Comme prévu, elle l’attendait devant la sortie. Ils s’embrassèrent à pleine bouche.
— Où veux-tu aller ? demanda Marc.
— C’est moi qui t’ai provoqué, tu as le choix des armes, répondit Claire en souriant.
— Alors, allons tester le nouvel asiatique derrière la mairie du 5ème .
Dubois venait de rejoindre la cible, ce n’était pas prévu. Malgré la distance, Lagueux avait parfaitement reconnu la jeune femme grâce au zoom de la caméra. Il pesait le pour et le contre. Fallait-il reporter l’opération ? Le temps était particulièrement favorable aujourd’hui, alors que la météo annonçait un épisode dépressionnaire à partir de demain pour plusieurs jours. — Tant pis, ce sera donc d’une pierre deux coups, trancha-t-il. Le couple venait de s’engager dans la rue Saint-Jacques.
— Tu te souviens de la première fois où nous nous sommes promenés dans ce quartier ? lança Marc en entamant leur marche.
Claire hocha la tête, un sourire nostalgique éclairant son visage. — Comment l'oublier ? Tu avais tenté de m'impressionner avec tes connaissances historiques sur le Panthéon, mais tu t'étais trompé d'époque !
Marc éclata de rire. — Ah oui, quelle honte ! Depuis, je me suis bien rattrapé, tu ne trouves pas ?
— Absolument, concéda Claire avec amusement. Tu es devenu mon guide préféré. D'ailleurs, j'espère que ton choix de restaurant sera à la hauteur de ta réputation.
— Je te promets une expérience culinaire inoubliable, répondit-il avec un clin d'œil.
Au moment où ils atteignaient la rue Soufflot, au bruit de fond du quartier vint soudain s’ajouter un bourdonnement s'intensifiant rapidement. Les passants intrigués levèrent la tête, cherchant la source du son.
Lagueux, à l’abri dans son salon, déclencha l’ultime séquence, le cœur battant la chamade, conscient de franchir un point de non-retour.
Le drone, camouflé par sa petite taille et sa vitesse, plongea vers le couple avec une efficacité terrifiante. Marc et Claire, réalisant le danger au dernier moment, n'eurent qu'une fraction de seconde pour réagir. Marc tenta instinctivement de protéger Claire, en la poussant sur le côté contre la façade du lycée Louis-le-Grand. Louis-le-Grand, l’établissement qui avait accueilli la moitié des ténors de cette 5ème République qu’ils voulaient réformer tous les deux, et dont le mur d’enceinte, cruelle ironie, devenait l’ultime rempart protégeant leur vie.
Mais il était trop tard. L'explosion retentit, une détonation assourdissante qui résonna entre les bâtiments historiques, projetant Marc et Claire au sol. Un silence de mort suivit l'explosion, la fumée envahissait l'espace, enveloppant un instant les débris éparpillés et les corps des victimes.
Claire, gravement blessée, gisait dans les bras de Marc, son regard cherchait le sien dans un dernier échange muet de désespoir et d'amour. — Continue, pour nous… pour tous, eut-elle la force de murmurer. Marc, sous le choc, sentait les larmes couler sur ses joues, tandis que les cris des passants commençaient à remplir l'air.
La revendication par la mouvance islamiste avait été planifiée de longue date. Claire n’avait pas rendu son dernier soupir depuis une heure que le message pré-enregistré, la voix déformée par un algorithme, tournait déjà sur tous les réseaux sociaux.
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