Bottin mondain [4/5]

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  Ils assistèrent à la suite du défilé dans un silence respectueux, bien que le ténébreux castan finisse par s'impatienter.

  « Qu’ils abrègent ! La petite noblesse ne m'intéresse pas ! Je ne compte pas épouser une comtesse ! Mon père me tuerait pour cette déchéance.

  — Et comment sauriez-vous différencier les demoiselles une fois entre vos bras, belles comme elles sont ? lui rétorqua l'élégant Dauphin.

  — Je sais d'un regard si la demoiselle est un lot intéressant. Vous, par exemple, s'écria-t-il en regardant Arya sobrement mise en valeur par sa robe au col haut, vous ne vous faites pas assez remarquer, aucun gentilhomme ne posera les yeux sur vous. Vous manquez de bijoux. Vous n’êtes pas laide, mais cela ne suffira pas à attirer l’œil de prétendants.

  — J'en suis fort aise, répondit Arya loin d'apprécier la franchise impolie du castan. Ainsi, je ne serai pas obligée de supporter leurs discours creux en souriant d'un air niais. »

   La répartie plut au Dauphin qui échangea un regard de connivence avec Jaen. Il n'aurait pas trouvé meilleure réponse sans devenir insultant. Mouché, Möergen regarda Arya d'un autre œil. Il se méfiait des femmes avec trop d'esprit.

   Un son de cor apporta le silence dans la salle. Le Gardien se leva, aider par une magnifique jeune femme. Une crête reptilienne émergeait entre les larges boucles rousses. Sous la toile souple de sa longue robe rouge fendue sur les côtés et agrafée aux épaules, apparaissaient deux jambes nues au galbe parfait.

   Arya pinça la jambe de Jaen quand elle se rendit compte qu'il s'était laissé envoûté par la lamie. Cela la fit sourire. Les hommes étaient-ils tous aussi sensibles à ces attributs ? Un coup d’œil dans la salle lui suffit pour comprendre que c’était le cas, à l’exception du Dauphin qui la regardait elle.

  Esquivant son regard, Arya reporta aussitôt son attention sur le Gardien qui rompit le charme de son assistante. Sa voix puissante donnait trop de force aux mots pour être réellement celle d'un vieillard. Cette idée se figea dans un coin de l'esprit d'Arya et n'en bougea pas de tout le discours de Luménor.

  « Mes seigneurs, nobles dames, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes réunis ce soir sur cette merveilleuse terre où naissent les amitiés, dans le respect de chacun et de chaque culture qui font la richesse de Zarmon et de Xyl afin de célébrer le début d'une merveilleuse aventure. Vous êtes ici ce soir à la place qu'occupèrent des générations de hauts dignitaires avant vous. Profitez de cette chance qui vous est offerte : vous la méritez. Moi, Luménor, Gardien de Saltar, je suis fier de vous placer dès à présent sous la protection du Dieu-Père. Cette soirée est vôtre ! Amusez-vous et que les dieux veillent sur vos âmes.

  — Que votre vie soit longue ! »

   Luménor savoura la puissance des mots prononcés par ses invités tandis qu'un tonnerre d'applaudissements clôturait son discours. Arya demeura muette, inerte et observa. Un ballet de serviteurs apporta les plats servis à l’assiette et les boissons dans des brocs d’or et d’argent. Aucun luxe ne semblait trop ostentatoire. Le repas commença au son de la musique douce. Jaen se montrait courtois envers les deux autres convives tandis qu’Arya gardait le silence en mangeant du bout des lèvres. Elle était là pour observer et apprendre, pas pour s'afficher. Elle s’en tiendrait à ce qu’elle avait décidé. Le vin leur fut servi et la princesse savoura la boisson à petites gorgées, ses yeux balayant la salle de temps à autre.

  « À quoi pensez-vous d'un air si grave, Votre Grâce ? »

   Le Dauphin observait Arya avec grand intérêt depuis de longues minutes. Elle n’avait rien dit depuis qu’elle avait remis Möergen à sa place. Ses longs cils battirent un instant et la jeune fille plongea son regard dans les yeux améthyste de Tobias. Ceux-ci s'ouvraient sur une âme riche, complexe, et pleine de contradictions. La princesse baissa brusquement la tête.

  « Navrée, je ne voulais pas me montrer impolie.

  — Il n'y a aucun mal, répondit-il avec indulgence, comme amusé. Vous avez de la chance, les dieux vous ont parés d'émeraude pour le plus charmant des regards.

  — Le vôtre n'est pas mal non plus.

  — J'aime votre répartie.

  — Je ne ferai pas partie de vos admiratrices même si vous me couvrez de compliments.

  — Ce n'est pas ma volonté. »

  Jaen garda le silence. Ses yeux balancèrent entre sa sœur et le Dauphin au rythme de leur échange. Arya ne semblait pas avoir besoin de son aide. Elle lui adressa un sourire tendu puis reporta son regard sur la salle. Le nouveau plat apporté, Arya observa tour à tour toutes celles dont les yeux ne quittaient pas le grand blond à sa table.

  « Vous semblez avoir du succès, Votre Altesse, déclara-t-elle après un long silence pour se faire pardonner son manque de conversation.

  — Je suis sûr que ce n'est pas naturel ! persifla le castan.

  — Vous êtes de mauvaise foi, Möergen. Vous êtes un homme de grande valeur, laissez-les donc nous jauger. Vous aurez forcément de délicieuses créatures à votre bras pour les danses.

  — Parce qu'il va falloir danser ? s'écria spontanément Arya en se crispant sur son siège.

  — La'ori ! la rappela Jaen en posant sa main sur le poing serré de sa sœur.

  — Quoi ? Je pensais que je pourrais rentrer juste après le dîner, lui rétorqua-t-elle à voix basse, fébrile. Si j'avais su qu'il y aurait des danses, je ne serai pas venue !

  — Allons, vous ne pouvez pas être si mauvaise danseuse. J'aime à croire que toutes les jeunes femmes sont naturellement douées pour cela. »

   Le Dauphin semblait se moquer d'elle. Arya se renferma, baissant le nez dans son assiette. Jaen garda sa main posée sur le poing de sa sœur, inquiet pour ses états d'âme dont il était si mauvais juge. Si Ju était là, il aurait su quoi dire pour lui remonter le moral. Le cadet se sentait si inutile. Tobias prit un air chagriné en se rendant compte du réel malaise de la princesse.

  « Je vous prie de bien vouloir me pardonner, je ne souhaitais pas vous blesser. Je serais honoré d'esquisser quelques pas de danse avec vous, même si vous ne vous sentez pas à la hauteur, je suis persuadé que vous vous sous-estimez.

  — Je ne m'inquiète pas pour la danse. Je n'aurais jamais dû venir à cette soirée qui m'incommode. Un jeu de cartes pour égayer ma soirée m'aurait suffi.

  — Ah ! J'approuve ! s'écria joyeusement Möergen. Mettriez-vous un baiser en jeu ?

  — Pourquoi vous intéresser à mes baisers si je n'attire pas assez l'attention ? rétorqua Arya avec mordant.

  — À bien y regarder, votre chevelure de feu est votre plus beau bijou.

  — Avec de tels compliments, vous n'obtiendrez de moi qu'un baiser de fer.»

   Tobias sourit à la répartie menaçante. Il posa sa main près de celle de la princesse sans la toucher, simplement pour attirer son attention. Arya lui accorda un regard, il lui sourit d'un air bienveillant.

  « Me réserverez-vous une danse ?

 — Je suis navrée, rétorqua-t-elle sèchement, je ne danserai pas. »

   Respectueux, le Dauphin inclina la tête puis reçut une claque sur l'épaule de la part du prince castan. Il était heureux de ne plus être le seul à s'être fait refouler. Puis Möergen sembla voir Jaen pour la première fois, même s’il était installé en face de lui depuis le début de la soirée.

  « Ah ! Tiens, elle ne vous a rien dit à vous !

  — Ils sont arrivés ensemble, souligna élégamment Tobias en repliant sa serviette. Il est normal qu’elle ait plus d’affection pour lui que pour nous.

  — Elle est comme ma sœur, se justifia Jaen.

  — Ah ! Malheureux ! s'esclaffa son interlocuteur.

  — Je n'ai jamais eu à m'en plaindre. La'ori est aimante et sincère en tout. Elle a l’esprit vif, et c’est une excellente combattante.

  — Votre mère doit souvent pleurer votre sort, Princesse. Une femme n’a pas à prendre les armes. Elles sont là pour enfanter et se soumettre à leur époux.

  — Vous allez trop loin, Castan ! Si vous continuez, vous l’aurez votre baiser de fer. »

   Quitter cette salle qui l'oppressait devenait urgent. De minute en minute, la migraine gagnait du terrain et son humeur s'assombrissait. Jaen voyait le changement s'opérer mais il ne savait pas comment enrayer le phénomène. Le plus contrariant était qu'Arya ne savait pas ce qui la rendait si hostile. Depuis qu'elle était entrée dans la salle de banquet, elle sentait un poids supplémentaire sur ses épaules. Elle avait d'abord pris cela pour de l’anxiété mais cette évidence s'étiolait de plus en plus et la sensation de lourdeur devenait de plus en plus désagréable.

 « La'ori ? chuchota Jaen.

 — Quoi ? rétorqua-t-elle sèchement à mi-voix.

 — La table... »

  Jaen avait retiré sa main de la sienne par réflexe sous la chaleur qu'elle dégageait, mais la nappe blanche avait commencé à roussir. La magie de la princesse s'était activée à ses dépens. Arya ramena sa main sur ses genoux tandis que son frère déposait subtilement sa serviette sur la trace laissée par la paume. Puis, pour montrer son soutien, prudemment tout de même, il caressa le poing d'Arya et fut étonné de sa fraîcheur. Un Han'ors ne pouvait pas comprendre ce genre de choses mais il n'avait pas réfléchi son geste. La jeune fille salua son courage et lui adressa un triste sourire.

  Le Dauphin n'avait rien manqué de la scène mais n'en montra rien, il savoura une gorgée de vin puis discuta avec Möergen qui avait décidé d’ignorer la pupille des Maceri.

   Après le courroux, la culpabilité la rongea. Arya se ferma comme un coquillage. Elle se sentait de plus en plus mal. Jaen chercha une issue. Nolan intervint à point nommé :

  « Vous pouvez sortir prendre l'air un instant, si vous le désirez. Il y a un balcon juste là-bas. On ne remarquera pas votre absence, d’autres personnalités commencent à se déplacer pour remplir leur carnet de bal. »

   Jaen remercia Nolan et accompagna Arya en la soutenant par la taille. Ses pas étaient hésitants, mal assurés, elle parvint néanmoins à sortir sans s'effondrer.

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