Trouver son chemin [3/5]

8 minutes de lecture

 « C’était quoi ça ? Qu’est-ce que ces choses nous veulent ? Ça ressemble à des oiseaux mais ce n’en sont pas, je les aurais sentis sinon. »

   Yugh s'était senti obligé de se justifier. Pourtant l'humaine se désintéressa de lui et observa le comportement de ces étranges créatures qui les fixaient de leurs yeux rouges.

  « On dirait qu'ils protègent quelque chose.

 — Mais bien sûr ! Je ne te savais pas experte en la matière ! »

  Arya ne répondit pas à son élan de mauvaise humeur. Elle se mit à marcher, lentement, cherchant la limite. Elle réussit ainsi à se faire une idée de la distance qu‘ils devaient respecter pour que les volatiles ne les attaquent pas.

  Un instant, Yugh fut soulagé de la voir s’éloigner. Il souffla et se détendit assez pour se rendre compte qu'à cause d'elle il était tout tendu. Maudite humaine ! Le loup fit le point sur son état de santé après avoir été la cible des rapaces. Il était écorché et saignait à quelques endroits mais rien de bien grave.

  Quand il releva le nez de ses plaies, il vit que Cheveux-Rouge s'était carapatée.

  « Hé ! Ho ! La tarée ! Tu comptes me fausser compagnie ? s’écria Yugh en entrant en plein dans la zone dangereuse afin de la rejoindre par le chemin le plus court.

 — Non ! Pas par là… »

  Trop tard. Les rapaces fondirent sur lui. Têtu, Yugh refusa de perdre du terrain et il continua d’avancer en se défendant du mieux qu’il pouvait à coups de griffes et de crocs. Il avait repris sa forme de loup et s‘enfonçait au pas de course de plus en plus loin dans la zone que les oiseaux défendaient. Arya se retrouva déchirée entre le désir d'avancer et l'obligation d'aider son partenaire. Finalement, voyant qu'il continuait d'avancer envers et contre tout, elle décida de poursuivre sa propre route, tout en gardant un œil sur lui. Tous les oiseaux étant occupés à l’attaquer, Arya pouvait facilement progresser. Ce qu’elle fit.

  Un instant plus tard, quand elle eut posé le talon sur une rangée de dalles, tous les oiseaux s'immobilisèrent avant de s’effacer comme s'ils n'avaient jamais existé. Étonnée, la princesse baissa la tête et contempla la ligne qui marquait la fin de l'épreuve des oiseaux.

 « Pourquoi ils ont disparu ? demanda Yugh après avoir quitté sa peau de loup.

 — On a fini la partie. J'ai atteint la ligne d'arrivée.

 — C'était un jeu ?

 — Vois ça comme tu veux. »

  Arya soupira puis tourna la tête vers son partenaire et vit les nombreuses griffures qui le couvraient. Ses vêtements étaient en lambeaux et le sang coulait abondamment à plusieurs endroits. La jeune fille avança la main vers une plaie profonde au niveau de l’épaule avec l‘intention de l'aider mais Yugh la repoussa violemment.

 « Ne me touche pas ! »

  C'était dit. Arya ferait de son mieux pour garder ses distances. Ils se remirent en route en silence. Rapidement, les parfums forestiers laissèrent leur place à une odeur nauséabonde. L'arkien se boucha les narines en pestant qu’il avait un odorat fragile. Elle se retint de faire un commentaire désobligeant et avança en fronçant le nez. Quand ils arrivèrent devant l'ange, ils furent bien embêtés. Il avait les bras brisés.

 « On est censé faire comment là, toi qui es si maligne ?

 — Je l’ignore.

 — Et ça se croit intelligente !

 — Je n’ai jamais dit que je l’étais ! rétorqua-t-elle brusquement.

 — Enfin tu le reconnais ! »

  Ce qu'il pouvait être agaçant ! Elle s'isola pour obtenir un peu de silence sans avoir à le demander. Après plusieurs minutes de réflexion, Arya eut une idée. Et s'ils cherchaient les morceaux manquants ? Si c'était un jeu de piste ou une chasse au trésor ? Elle prévint Yugh avant de faire quoi que ce soit pour ne pas le braquer encore une fois.

 « Alors ça y est, l’Humaine à un plan infaillible ?

 — Ce n’est qu’une idée. Et arrête de m'appeler ''l'humaine'', j'ai un prénom.

 — Pour moi tu es et tu resteras une sale larve humaine complètement tarée ! »

  Arya leva les yeux au ciel, soupira pour la énième fois et lui tourna le dos. Elle avait remarqué qu’elle réfléchissait mieux quand elle ne l’avait pas dans son champ de vision. Elle resta muette, plongée dans ses réflexions, et le silence s’installa. Yugh s’empressa de le briser en faisant preuve d’une rare bonne volonté :

 « Alors, c’est quoi ton plan ? »

#

 « On est obligé d'aller si vite ?

 — Tais-toi et avance !

 — J'ai mal aux pieds ! Arrêtons-nous !

 — Hors de question.

 — Je te déteste ! »

  Talin s'arrêta, tira brusquement sur le lien qui le retenait aux côtés de Mégane, sa coéquipière, et de sa main libre lui agrippa l'épaule pour faire pression tout en plongeant son regard dans le sien. Il en avait plus qu'assez de l'entendre gémir et se plaindre. Elle ouvrait la bouche pour ne rien dire et se comportait comme une petite bourgeoise arriviste. Ils n'étaient même pas encore sortis du labyrinthe. La grande brune à l'air arrogant se recroquevilla en perdant de sa superbe, apeurée par l'air effrayant de l'assassin qui jusqu'alors avait supporté son monologue en silence.

 « Écoute-moi attentivement, Saltz, je ne me répéterai pas. On n'est pas là pour être copain toi et moi. Tout ce que je veux c'est intégrer cette école. Si par ta faute j'échoue dans ma tâche, je te donne une semaine pour dire adieu à tes proches puis je te tranche la gorge et je donne tes tripes à bouffer aux cochons. Compris ? »

  La jeune femme blêmit en portant sa main libre à son cou. Elle l'avait trouvé charmant en le rencontrant. C'était tout naturellement qu'elle s'était mis en tête de l’amadouer pour qu'il l'aide tout en faisant un minimum d'effort. Mais vu sa réaction, cela semblait compromis. Talin ne la lâcha pas et continua de la fixer. Mégane sursauta quand il insista sans hausser la voix.

 « Est-ce que c'est compris ?

 — J'ai compris. »

  Le jeune homme se redressa et relâcha sa prise. Son regard perçant brillait toujours d'un éclat dangereux et la coquette n'osa pas masser son épaule douloureuse. Néanmoins le message était passé et elle ne plaignit plus pendant un long moment.

  Lorsqu’ils atteignirent le marais et la statue brisée, après que Xaan les ai téléportés de zone sûre en terrain découvert, la jeune femme n’attendit pas qu'il pose la question et balbutia :

 « Je connais un sort qui pourrait nous aider…

 — Qu’est-ce ce que tu attends ? On a encore pas mal de chemin à faire. On ne peut pas se permettre de perdre encore du temps. Allez ! »

  C'était peut-être mesquin de la bousculer encore, mais Talin savourait la tranquillité que lui avait procurée son petit moment d'autorité. Quand elle eut terminé de remodeler la statue avec un sort contre le temps et l'espace, et que le binôme eut enfin la direction à suivre, ils furent confrontés à un autre petit souci.

 « Je ne sais pas nager. »

  Mégane le regarda craintivement, à l’affût de sa réaction. Talin garda les yeux braqués vers l'eau verte et les feuillages aquatiques. Lui non plus ne se réjouissait pas de devoir se diriger à l'intérieur du marais. Ce ne serait probablement qu'un autre labyrinthe fait de tourbières et de bandes sableuses. Il y aurait potentiellement des sables mouvants et des sangsues, des serpents et des culs-de-sac. Mais ils ne pouvaient pas le contourner, cette option ne semblait pas faire partie du programme. Il regarda plusieurs fois la statue puis les reflets de l'eau boueuse. Après un moment de réflexion, Talin se décala d'un pas et s'aligna avec la direction donnée par le doigt de l'ange. Xaan remarqua ainsi le net changement de couleur entre l'eau profonde et les quelques centimètres qui cachaient le sentier. Il faudrait se mouiller mais rien de dangereux, du moins il l'espérait.

 « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Mégane d’une voix geignarde, légèrement impatiente et mal à l'aise face à son silence.

 — On avance.

 — Rah ! Hors de question ! s'écria-t-elle la voix plus rauque avant de se reprendre visiblement. En plus, c’est certainement très toxique… Et comment veux-tu qu’on fasse ? Je ne sais pas nager moi !

 — Pas besoin de nager. »

  Autoritaire, Talin s'engagea sur le sentier, le tâtant de la pointe du pied régulièrement pour s'assurer de suivre le bon chemin. Peu à peu, il trouva son rythme et avança. En silence, Mégane le laissa diriger et suivit, bien obligée. L'odeur d'eau croupie, de végétaux décomposés et de boue la prenait au visage et la dégoûtait. Son partenaire semblait ne pas avoir d'odorat, il était fermé et ne lui accordait pas un regard.

  Monsieur Je-Vais-Te-Tuer était toujours aussi focalisé sur ce qu'il faisait quand il s'arrêta à l'extrémité d'un ponton solidement ancré par de larges piliers. Ils étaient sortis du marais sans qu'elle n'y fasse attention. Face à eux, les eaux vertes se diluaient dans un lac à la surface transparente. La jeune fille ouvrit la bouche pour s'extasier mais Talin lui pinça les lèvres pour la faire taire immédiatement. Il sentait une menace imminente, mais ne savait pas d'où elle viendrait.

  La réponse lui apparut quand une dizaine de tentacules jaillirent de l'eau pour les attraper, suivit de peu par la tête d'un monstre marin géant. Prompt à réagir, Talin attrapa Mégane dans ses bras et la porta pour les téléporter sur la tête de l'animal. Le jeune homme avait le pied sûr et les bras fermes. Saltz se sentait en sécurité avec lui et elle lui fit aveuglément confiance pour les sortir de là, parce qu'évidemment, elle ne lèverait pas le petit doigt.

  L'assassin dansa un peu avec les tentacules jusqu'à ce que l'animal décide de s'immerger à nouveau. Alors Talin avisa l'autre rive du lac et visualisa d'un coup d’œil où il voulait atterrir avant de s'y téléporter. La présence d'une brume épaisse ne lui plaisait pas mais à choisir entre la noyade et une chute sur la terre ferme, il préférait encore s'étaler.

  L'atterrissage fut difficile, la chute rendue inévitable par les lois de la gravité. Ne voyant pas où il poserait les pieds, Xaan s'était téléporté trop en hauteur. Mégane cria en se réceptionnant mal sur sa jambe parce qu'elle avait eu l'excellente idée de le repousser avant qu'ils ne touchent le sol. Résultat : elle se mit à couiner en massant sa cheville.

 « C'est ta faute ! Pourquoi tu ne m'as rien dit ? »

  Mégane tenta de le faire culpabiliser, mais elle ne s'en prenait pas à la bonne personne. Insensible à ses jérémiades, l'assassin resta de marbre. Elle continua son numéro. Cela eut pour seul effet d’énerver Xaan qui finit par la gifler.

 « Maintenant, tu la fermes, tu te lèves et tu marches. »

  Mégane garda une main plaquée sur sa joue rougie en le fixant. Il avait osé la frapper ? Elle demeura immobile, choquée. Talin la darda d'un regard glacial et ses pupilles dorées brillèrent d'une délicieuse envie d'abréger ses souffrances. La confrontation ne dura pas longtemps. Il se montra inflexible et elle n'avait pas envie de se faire traîner à sa suite comme une malpropre. La grande blessée se dressa sur ses jambes, d'abord mal assurée et grimaçante ; la douleur était passée mais elle joua la comédie encore un peu. Son partenaire indifférent s’élança d’un pas rapide sur l’étroit chemin qui s’ouvrait dans les hautes herbes baignées de brumes. Ils n’y voyaient pas à deux mètres et Talin dut ralentir pour avancer prudemment. Mégane s’évertua à rester le plus proche de lui sans le toucher. Leur lien énergétique n'était pas agréable et irritait sa peau délicate. Le jeune homme ne se préoccupait pas de son bien-être et il l'aurait bien abandonnée sans la condition stupide du Gardien. Un vrai boulet !

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0