Alors que Suna venait à peine de s’endormir, une étrange vibration dans l’air la réveilla. Elle ouvrit les yeux et fixa les recoins de la chambre qu’elle partageait avec Lola. Nulle menace ne se tapissait dans l’ombre. Non, la sensation était différente. Cela ressemblait à ce qu’elle avait ressenti quand la léovienne avait posé le pied dans la même pièce qu’elle la première fois qu'elles s'étaient rencontrées. Cependant, cette fois-ci, c’était plus puissant. Tout son corps vibrait. Qui pouvait bien provoquer cela ? Lola s’agita dans son sommeil. Suna soupira et remonta le drap sur elle. Quelle manie de toujours venir occuper la moitié de son lit ! Il n’était pas prévu pour deux personnes. Mais Suna s’en moquait. Ce qui importait, c’était le bien-être de sa protégée. Elle ne le savait pas encore mais elle aurait de grandes choses à accomplir, et Suna, en tant que Bouclier, ferait tout son possible pour lui permettre de réaliser son destin. C'était la mission que lui avait confiée la Vieille-Mère.

  À l’aube, elle laissa Lola s’étendre dans le lit et descendit au réfectoire avec les plus matinaux. Tout se passait pour le mieux jusqu’à ce qu’elle prenne conscience que la sensation de la nuit n’avait pas disparu. Bien au contraire, elle s’était intensifiée. Dès lors, Suna se laissa guider par cette énergie étrange. Cela la conduisit tout droit au Templion. Elle poussa le portail et se fit tout de suite intercepter par un moine.

 « Je suis navré mais les offices sont suspendus pour la journée.

 — Je ne suis pas ici pour la messe. »

  Cela ne sembla pas satisfaire le moine qui se montra soudainement beaucoup plus agressif. Il voulut l’attraper par le bras pour la faire sortir, mais elle le mit à terre et poursuivit son chemin, le religieux braillant derrière elle. Il se redressa et lui courut après. L'homme tenta plusieurs fois de l’arrêter mais elle ne l’écoutait pas. Suna était déterminée à trouver la source de la perturbation énergétique.

  Attiré par les cris, le Grand Mestre sortit du temple de la Lune vers lequel se dirigeait la jeune femme. Elle fut contrainte de s’arrêter face à lui. Il lui barrait la route avec autorité. Suna chercha à voir ce qu’il cachait derrière lui. Setsuan s’évertua à garder son calme face à la volonté de fer de la métisse.

 « En quoi puis-je vous aider ?

 — Je voudrais entrer, Grand Mestre.

 — C’est impossible pour l’instant. Nous sommes en train de purifier les temples.

 — Je n’ai pas le droit de prier quand je veux ? Vous prenez exemple sur le Gardien ? »

 Cette répartie acerbe contraria Setsuan. Suna s’en trouva intérieurement ravie. La guerrière perdit pourtant son animosité quand une douce voix s’éleva derrière lui. Une inconnue habillée de vert apparut entre deux piliers. Elle rayonnait d’une énergie puissante, positive et bienveillante ; ce qui manquait cruellement à Saltar. Suna en perdit la parole un instant.

 « Laissez-la entrer. C’est une amie.»

  Setsuan s’écarta sans polémiquer. Suna le fixa en avançant puis se concentra sur le lien énergétique qui la guidait toujours. Sans grande surprise, la métisse s’arrêta dans la salle de prière du temple, face à celle qui avait convaincu le Grand Mestre de la laisser passer. Au plus proche d’elle, Suna se sentit incroyablement sereine.

 « Qui êtes-vous ? Et pourquoi suis-je attirée par vous ?

 — Vous êtes venue de vous-même. À vous de me dire pourquoi vous avez ressenti le besoin de suivre cette voie. »

  Suna croisa les bras et réfléchit. Comme pour sa colocataire Lola, elle avait conscience de devoir la protéger, mais c'était tellement fort avec cette fille. Une seule raison lui vint :

 «Vous en êtes une ! »

  Astralia hocha lentement la tête. Elle apprécia que sa visiteuse ne l’annonce pas à voix haute. La Sainte fit signe à Setsuan de refermer les portes du temple puis elle accorda toute son attention à la métisse, tandis que les membres de l’Ordre se rassemblaient autour d’elles.

 « Je suis Sainte Astralia de Fluvie. Pourquoi es-tu venue jusqu’à moi ? »

  Mettant solennellement un genou à terre, Suna se frappa la poitrine du poing.

 « Si par ma vie ou ma mort, je peux vous protéger, je le ferai. Par le devoir des Boucliers, je lie mon destin au vôtre. Moi, Suna Rosales, fille d’Hyacinthe, je le jure. De ce jour, jusqu’à celui de ma mort, je servirais la cause des Lignées. Ainsi le lien est scellé. »

  Un fil luminescent s’étira entre leurs deux cœurs et Astralia ferma les yeux. Elle ne s’attendait pas à cela. Descendant et Bouclier se liaient physiquement. Elle comprit instinctivement la nature de ce lien et balaya l’île par curiosité. Quelle fut sa joie quand elle découvrit plusieurs énergies similaires ! En rouvrant les yeux, Astralia souriait largement. Elle aida Suna à se relever puis se tourna vers Setsuan.

 « Il y en a d’autres ! »

  Sa réjouissance fut grande jusqu’à ce que son Bouclier la ramène à la réalité.

 « Évidemment qu’il y en a d’autres. Ils sont tenus par Luménor. Il sera difficile de les rassembler. Ils sont étroitement surveillés. Le Gardien sait-il que vous êtes ici ?

 — Pas encore.

 — Êtes-vous en sécurité dans le temple ?

 — Oui, les dieux me protègent.

 — Alors, ne sortez pas d’ici. Ils ont perdu de leur influence en dehors de ces lieux.

 — Comment se fait-il que vous en soyez protégée ?

 — La Rose veille sur ses pétales. »

  Là-dessus, Suna tourna les talons et s’en retourna auprès de Lola. Astralia la regarda partir partagée entre le plaisir et le désarroi. Qu’ignorait-elle encore ? Que ne savait-elle pas déjà ? Setsuan attira son attention.

 « Il faut vous préparer à le rencontrer.

 — Qui ?

 — Le Gardien.

 — Pourquoi ?

 — Parce qu’il a dû sentir votre présence. Vous ne vous êtes pas montrée assez discrète. »

  Astralia se connecta aussitôt à l’énergie du Templion puis poussa jusqu’à celle, conséquente, de l’île. Les vibrations étaient contradictoires. Sa propre énergie n’était pas celle qui créait le plus de perturbations. Peut-être que cela détournerait l’attention du Gardien jusqu’à ce qu’elle soit prête à l’affronter.