Double face [3/4]

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  Après son départ, Astralia souffla et s’adossa aux barreaux avant de se laisser glisser jusqu'au sol. Elle venait d'utiliser la Vérité pour la première fois volontairement. Astralia ne l’avait pas expérimentée avant ce jour. Mais à voir la tête qu’avait faite le jeune homme, elle y était parvenue. Il faudra qu’elle le raconte à Fonaï.

 « Tu m’as appelé ? s’écria ce dernier en apparaissant. Oh la, la… Oh la, la, la, la… Mais où est-ce que tu es allée te fourrer ? »

  Tandis qu’il tournait sur lui-même pour examiner les lieux juste après son arrivée, Astralia se redressa en se tenant à la grille de la cellule puis s’avança vers lui, bien heureuse de le voir.

 « J’ai rencontré le Gardien dans la crypte. Je dois être en dessous. Si tu...

 — C’était une question rhétorique ! Je sais très bien où tu es sur cette maudite île ! »

  Fonaï soupira et regarda Astralia pour lui détailler sa situation. Il fallait qu'elle réagisse rapidement pour se sortir de là, seule et sans encombre.

 « Tu es emprisonnée dans les geôles de Saltar, dans les anciens nids de ponte transformés en cellules. Tu es littéralement au fond du trou. Santhià, la lamie que tu as vu dans la crypte, t’a empoisonné et retiré de l'infirmerie où tu recevais des soins après ta rencontre avec la Reine-Dragon, avant de s’en prendre à ton nouvel ami verdoyant.

 — C'était écrit, soupira tristement Astralia en joignant les mains. Je prierai pour son âme.

 — Mm... Oui, enfin, tu prieras pour sa vie plutôt. Il a survécu. Il s’est arrangé pour simuler sa transformation avec le médecin qui s'est occupé de toi. Pour l’instant cela fonctionne, le Gardien croit qu'il a été éliminé.

 — Comment a-t-il survécu ? Il devait... Je croyais...

 — Il faudra remercier le Phénix quand tu la verras. C'est grâce à elle. »

  Astralia resta bloquée sur cette nouvelle donnée. Ses visions s'étaient toujours réalisées. Pourquoi pas cette fois-ci ? Qu'est-ce que le Phénix avait fait pour changer les événements ? Est-ce que cela aurait un impact sur d'autres personnes ? Est-ce qu'il y aurait des conséquences ? Astralia se mit à mordiller l'ongle de son pouce en réfléchissant.

  Fonaï soupira en la voyant si pensive et attira son attention en râlant ostensiblement.

 « Tu comptes t'éterniser ici ? Parce que ça pue la mort. Tu ne le sens pas ?»

  La Sainte remua négativement la tête. Elle était coupée de ses capacités extrasensorielles. Fonaï allait faire une remarque désobligeante quand un râle et une faible toux s’échappèrent du fond de la cellule. Fonaï sursauta et se cacha derrière Astralia.

  « Il est en train de rendre l’âme.

 — Qui est-ce ?

 — Un espion. Il s'est fait prendre la main dans le sac. Luménor a fait un peu de ménage tout en laissant ses sbires s'amuser avec lui.

 — Comment s'appelle-t-il ?

 — Kolerp Khas. »

  Astralia s’approcha du mourant avec bienveillance. Elle distinguait à peine le corps dans l’ombre. L’homme tourna lentement la tête vers la lumière. Deux petits reflets lumineux à l’endroit des yeux guidèrent Astralia qui s’agenouilla à son chevet. Elle prit ensuite sa main pour le rassurer. La peau sous ses doigts était boursouflée et sale. Ses yeux s'habituant à la pénombre, elle remarqua qu'il avait des croûtes et des plaies suintantes partout sur le torse et les bras. Il ne portait aucun vêtement. Avait-on cherché à l'humilier en le déshabillant de la sorte ? Coupée de la Grande Toile, Astralia ne saurait jamais, à moins d'interroger son mentor qui se tenait en retrait pour le moment. L'odeur de sang, d'infection et d'excréments était très forte près du prisonnier, mais aucun sursaut de dégoût ne fit reculer la Sainte.

  Kolerp ouvrit la bouche et tenta de parler, mais il n'émit qu'un souffle. On lui avait coupé la langue. Astralia fut désolée de n'avoir pas recouvré ses pouvoirs. Elle ne pouvait pas l'accompagner mentalement et recueillir ses dernières volontés. Elle se mit donc à prier pour lui. Ce faisant, elle purifia les lieux par ses simples paroles. Sentant que quelque chose avait changé dans la cellule, Astralia se mit à prier plus fort puis à chanter.

  Lorsqu’il rendit son dernier souffle, Astralia garda le silence pendant de longues minutes. Fonaï respecta son recueillement religieux. Il patienta un temps puis conseilla à la Sainte de se protéger. La Milice allait revenir la chercher. Elle devait se tenir prête à affronter Luménor. Leur premier contact avait été courtois, le Gardien ne se montrerait pas aussi agréable la seconde fois.

 « Comment suis-je supposée me protéger si je ne peux pas me servir de mes pouvoirs ?

 — Il existe de nombreuses méthodes. Celle qui t'est le plus accessible, et qui sera le plus efficace dans ta situation, c'est un bouclier de sang.

 — Je ne veux pas toucher à ce genre de magie.

 — Tu n'as pas vraiment le choix actuellement, belle Sainte. Et puis, ton compagnon de cellule a quitté ce monde. Il ne recevra probablement jamais les derniers sacrements, donc autant qu'il serve une dernière fois. Je suis presque sûr qu'il en serait ravi.

 — Tu es horrible, Fonaï ! Il est hors de question que je fasse cela ! s’opposa-t-elle farouchement.

 — Alors tu laisses l’opportunité à ton ennemi de te détruire. Au cas où tu ne l'aurais pas compris, tu vas te confronter à un être beaucoup plus expérimenté que toi. Autant jouer à armes égales. Magie noire pour magie noire.

 — Fonaï ! Je ne profanerai pas la dépouille de ce malheureux !

 — Il est mort, il ne sentira rien.

 — C’est non ! »

  Astralia s'était rarement, sinon jamais, montrée aussi véhémente. Vu qu’il serait ardu de négocier, Fonaï se tut un instant pour laisser à la Sainte le temps de se faire à l'idée et de retrouver son calme. Elle se recueillit et pria en silence un long moment, peut-être plusieurs heures. Il était difficile de le savoir aussi loin sous la surface.

  Peu à peu, Astralia sentit son esprit se rouvrir à son environnement. Elle prit conscience de la lourdeur, des mauvaises émanations qui saturaient l'air. Une odeur de mort comme l'avait fait remarqué Fonaï. Puis elle vit les errants. Des âmes déchirées par la souffrance, le regret, la colère. Des fantômes auxquels le repos avait été interdit. Ils étaient des centaines entre la cellule et le couloir, à défiler tel un étrange cortège mortuaire. Astralia se mit à pleurer en percevant de plus en plus tout ce qu'ils furent jadis.

 « Pourquoi Sofine n’est pas venu les chercher ?

 — Ils n'ont pas reçu de bénédiction ni de rites funéraires.

 — Pourquoi ? C'est injuste.

 — La réponse au pourquoi est parce que leurs meurtriers n'en avaient cure. Pour le reste, la vie paraît souvent injuste aux mortels, belle Sainte.»

  Astralia ne répondit pas à cela. Elle pria plus fort et plus longtemps pendant qu'elle pleurait le sort de ces malheureux. Fonaï finit par la relancer. Il devait faire son possible pour la préserver, et la maintenir en vie jusqu'à l'accomplissement de sa mission.

 « Il faut que tu utilises le bouclier de sang. Je t'enseignerais la méthode.

 — Mais pourquoi veux-tu m’obliger à utiliser son sang ? N’y a-t-il pas un autre moyen ?

 — Pas à ta disposition. Ton esprit s’est purifié, mais pas ton corps. Si tu utilises ton sang contaminé, cela ne fonctionnera pas. Et puis, tel que je connais le Gardien, il ne te laissera pas retrouver tes capacités sans te torturer. Il faut que tu prennes les devants. Le bouclier dont je t’ai parlé sera plus efficace qu'une simple coquille spirituelle qui viderait le peu de spirit que tu as pu récupérer. Puis, une fois sec, le sang ne s’efface pas facilement.

 — Ce n’est pas un argument en ta faveur…

 — Assez ! J’essaie de t’aider mais tu n’es pas très coopérative ! »

  Menaçant de l’abandonner à son sort, Fonaï abattit ses dernières cartes. Astralia le retint et se rangea finalement de son côté. Elle pria le prisonnier de la pardonner et suivit les consignes de son mentor à la lettre. Lorsque la Sainte acheva le dernier tracé sur son bras, elle sentit le sort s’incruster dans sa peau et elle étouffa un cri.

 « Ça fait mal…

 — Ah ça ! On n’est plus dans les sorts de confort. Mais ne t’en fais pas, ça va passer. Pour l’instant, le sort se nourrit de ton spirit, mais quand tu commenceras à te faire attaquer, il puisera son énergie ailleurs. »

  Astralia serra le poing pour ne pas être tentée de frotter les symboles. Elle n’aurait pas voulu les faire disparaître. Surtout quand Xaan Talin revint la chercher quelques minutes plus tard.

 « Le Gardien veut te voir. »

  Cette fois-ci il avait les clés et ouvrit la porte pour la faire sortir. Astralia remarqua que le regard du jeune homme évitait de se fixer ailleurs que sur sa personne. Elle comprit alors qu’il pouvait voir les fantômes. Naïvement elle s’en réjoui à voix haute. Talin la fit taire en la téléportant devant le Gardien.

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