Alma - Réformes pour la ville souterraine

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Le carrosse s'arrête devant le manoir des Reiss. Bien que membres de la famille royale, ces derniers préfèrent continuer à vivre tranquillement dans leur propriété de campagne. 

Le cocher ouvre la portière et me tend sa main pour m'aider à descendre, comme à son habitude. Je l'accepte et pose pied à terre. Je lui offre ensuite une pièce et lui dis :

- Attendez-moi là, ce ne sera pas long. 

- Bien, Votre Majesté.

Mes bottes en cuir brun foulent l'allée de graviers tandis que j'avance vers la grande porte en bois du manoir. Le souvenir de ma première venue dans cet endroit me remonte en tête. Je revois le visage de la belle Frieda. Je dois avouer que, même si je m'efforce de ne pas y penser, elle me manque beaucoup !

Je monte les marches du perron et toque trois coups à la porte. Je ne dois pas attendre longtemps avant qu'on vienne l'ouvrir. Je dis au domestique, sans lui laisser le temps de placer un mot :

- Bonjour. Pourriez-vous dire à monsieur Reiss que je dois le voir de toute urgence ? Cela concerne une affaire privée.

Il hoche la tête et s'écarte pour me céder le passage :

- Attendez-moi dans le hall, je reviens tout de suite.

J'entre dans la pièce au carrelage noir et blanc. Le domestique referme la porte derrière moi avant de monter les marches du grand escalier central. 

Mes yeux se posent sur les quelques tableaux accrochés aux murs. La plupart représentes des fleurs ou des paysages naturels, mais certains sont des portraits de famille. 

Peu de temps après, le domestique revient et m'informe :

- Monsieur vous attend dans son bureau. Si vous voulez bien me suivre . . .

Je lui emboite le pas tandis qu'il remonte l'escalier. Nous traversons un couloir pour arriver devant une porte. Le domestique y toque trois coups. Une voix grave lui répond aussitôt :

- Entrez !

L'homme ouvre la porte et s'écarte encore une fois pour me laisser entrer, puis il la referme derrière moi en sortant. Je me retrouve donc seule dans la pièce avec Rhodes Reiss. Ce dernier prend la parole :

- Bonjour, jeune reine. Il semblerait que vous voulez m'entretenir d'une urgente affaire privée ?

- Oui, cela concerne votre fille Historia. Vous n'êtes pas sans savoir que je l'ai recueillie dans le palais et qu'elle y vit désormais.

- En effet, j'ai été mis au courant de cette histoire. 

- Pourquoi avez-vous toujours tenu votre fille à l'écart ? Pourquoi l'avoir cachée dans cette ferme ?

- Quelle question ! Vous savez pourtant que cette enfant est une fille illégitime, je ne peux la garder à mes côtés si je veux tenir ma réputation. Et puis, surtout . . .

- Quoi donc ? N'ayez pas peur de parler, monsieur Reiss. Vous savez que je ne ferai de mal à personne. Le contexte dans l'enceinte de ces murs est bien différent, désormais. 

- Oui, je le sais et c'est bien pour cela que j'accepte de vous en parler. L'existence d'Historia devait être tenue secrète car si on apprenait qu'elle était de sang noble et même pire, si on découvrait qu'elle était carrément de sang royal, certains auraient pu s'en servir contre moi et menacer l'équilibre et la paix que je m'efforçais de préserver dans l'enceinte de ces murs. 

- Je comprends, mais vous savez que tout cela est fini, désormais. 

- Oui, c'est pour cela que je ne me suis pas opposé au fait que vous vous occupiez officiellement d'Historia, en révélant le lien de parenté qui vous unit au grand jour, même si je vous avoue que je crains que ma femme n'apprenne un jour la vérité sur les origines exactes de cette petite . . . 

- Désolée de vous le dire, mais je ne peux rien faire pour vous de ce côté. Vous devez assumer vos actes . . . D'ailleurs, je m'interrogeais sur la mère de cette enfant.

- Oh, c'est juste une servante de la famille . . .

- Elle vit aujourd'hui dans la ferme où j'ai rencontré Historia, n'est-ce pas ?

- Effectivement. 

- Votre fille s'est plainte que sa mère n'était pas aussi aimante que les autres. Je devine très bien que ce n'est pas juste parce qu'elle n'a pas la fibre maternelle. Avez-vous une explication, monsieur Reiss ?

Il soupire :

- C'est pourtant simple à comprendre : pour les mêmes raisons que je cache mes liens avec cette enfant, sa mère renie leur lien de parenté. Elle a surtout peur pour sa vie car elle sait que nous n'aurions pas hésité à l'éliminer pour préserver le secret, et par la même occasion, conserver la paix et la stabilité dans l'enceinte des murs. 

- Je vois, je ne vais pas juger vos anciennes méthodes car elles ne sont plus d'actualités. De toute façon, je ne suis pas venue pour ça. Non, je voulais juste éclaircir les choses concernant cette affaire. Et maintenant que je comprends mieux cette histoire, voici ce que je vous propose : je vais en parler à sa mère et, si elle l'accepte, Historia pourra lui rendre visite au moins une fois par semaine, à moins qu'elle ne préfère s'occuper de sa garde exclusive. Et je veillerai personnellement à ce que personne ne puisse atteindre à Historia ou sa mère. Sommes-nous d'accord ?

- Bien, faites comme bon vous semble, mais restez discrète concernant ses origines paternelles. Je ne veux pas que tout le monde sache que j'ai une fille illégitime.

- Ne vous en faites pas, je l'ai simplement présentée comme ma cousine, mais personne, hormis ma famille et quelques autres occupants du château ne connaissent ses origines exactes et je peux vous assurer qu'ils garderont le secret. 

- Bien, je vous fais confiance. 

- Parfait ! Dans ce cas, je vous laisse. Je dois encore rendre visite à mademoiselle Alma. 

Je tourne les talons et quitte la pièce, puis le manoir, pour remonter dans le carrosse. Prochaine destination : la ferme des Reiss.

                                                                                         

 *

Je la vois. Assise sur l'herbe, à l'ombre d'un arbre, elle lit un livre, ses cheveux blonds mi-longs s'agitant au gré du vent. Je m'approche d'elle et lui adresse la parole :

- Bonjour, Alma.

Elle relève la tête en sursaut et me regarde avec surprise. Je la rassure :

- Calmez-vous, je veux juste discuter avec vous.

- À propos de quoi ?

- À propos de votre fille . . .

Ses yeux s'écarquillent et la peur se lit dans son regard tandis qu'elle rétorque :

- Quelle fille ? Je n'ai pas de fille !

- Calmez-vous, Alma. Je vous promets qu'aucun mal ne vous sera fait concernant cela. C'est fini, maintenant, je peux vous l'assurer.

- Et comment pouvez-vous en être si sûre ?

- Je suis Éléonore Jäger, la reine d'Eldia et je vous jure sur mon honneur que je ne laisserai personne vous faire de mal, ni à vous, ni à Historia. Le gouvernement n'est plus contre vous alors calmez-vous. Je veux juste discuter avec vous.

- C'est vous qui avez emmené Historia, alors ? Je l'ai vue partir dans un carrosse, accompagnée de deux soldats des brigades spéciales. Depuis, je ne l'ai plus jamais revue.

- Oui, elle vit avec moi, au palais car j'ai promis à sa soeur Frieda de veiller sur elle.

- Alors que me voulez-vous ?

- Tout d'abord, je vais vous poser une question : si l'existence d'Historia ne menaçait pas votre vie, auriez-vous été une mère plus aimante et attentionnée ?

- Je ne sais pas, sans doute que oui. Si j'ai agis comme je l'ai fait, c'était uniquement pour nous protéger toutes les deux. Il valait mieux, autant pour elle que pour moi, que nous gardions nos distances. Et je suis terrifiée chaque jour à l'idée qu'on vienne m'éliminer pour que je garde le silence !

- Vous n'avez plus à vous en inquiéter. Je ne laisserai personne venir vous éliminer pour de telles raisons. Je suis d'ailleurs venue vous faire une proposition.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Je comprendrais que vous ne voulez pas vous occuper d'Historia à cause de toute cette histoire qui a découlé de sa naissance et je ne vois aucun inconvénient à la garder avec moi au palais car je suis très attachée à cette petite, mais elle souffre de votre rejet catégorique. Tout enfant a besoin de grandir avec l'affection et le soutien d'une mère. Je vous propose donc qu'elle vienne vous rendre visite ici au moins une fois par semaine afin que passiez la journée ensemble. Et ne vous en faites pas, je veillerai à ce que les visites soient toujours discrètes afin que votre secret familial n'éclate pas au grand jour. Qu'en pensez-vous ?

- Je ne sais pas . . . Historia et moi n'avons jamais été proches et je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée . . . 

- Cela ne coûte rien d'essayer. Testez ce que ça donne avec une journée, puis nous aviserons. C'est le seul moyen pour vous d'apprendre à connaitre votre fille et de vous rapprocher mutuellement.

Elle soupire :

- Bien, d'accord, mais je vous préviens qu'au moindre problème ce sera fini. 

- D'accord. Merci, Alma.

Elle ne répond rien et je me relève, puis m'éloigne pour la laisser tranquille. Je vais vite annoncer la bonne nouvelle à Historia !

                                                                                                     

*

J'ai encore en tête les grands yeux bleus brillants de joie et le grand sourire de la petite Historia alors que je suis assise autour de la grande table du Conseil royal, le lendemain matin. Quelle adorable enfant ! Et quel plaisir de la voir si heureuse !

Les autres membres du Conseil ont tous leurs yeux rivés sur moi, attendant que j'ouvre la séance, mais au lieu de cela, je dis :

- Il manque quelqu'un. 

Puis je me tourne vers le soldat des brigades spéciales qui se trouve encore dans la pièce et lui dis :

- S'il vous plait, auriez-vous l'obligeance d'aller chercher Furlan Church ? J'ai besoin de lui.

- Tout de suite, Votre Majesté, dit-il avant de quitter la pièce.

- Furlan Church ? demande Sieg. Tu veux parler de ce jeune homme que tu as recueilli de la ville souterraine ?

- Exactement. J'aimerai qu'il m'éclaircisse certains points concernant la situation de sa ville natale.

Peu de temps après, le soldat revient avec le jeune homme aux yeux bleus. Je l'accueille avec grand sourire :

- Bonjour, Furlan. Merci d'être venu. Viens donc t'installer. Quant à vous, dis-je à l'intention du militaire, vous pouvez disposer, merci.

Il quitte donc la pièce, en refermant la porte derrière lui, pendant que Furlan s'assied sur une chaise. Je déclare alors :

- La séance est ouverte, nous pouvons commencer. Aujourd'hui, je tiens à me pencher sur la situation de la ville souterraine. Je m'y suis rendue en personne il y a quelques jours et il faut agir en urgence. Tout d'abord, il faut rénover et terminer la construction des bâtiments. Ensuite, il faut paver toutes les rues. 

Je me tourne vers l'homme aux cheveux châtain clair pour lui demander :

- Furlan, j'ai remarqué des gens qui restent assis dans les rues, dans des conditions très précaires . . .

- Oh, ce sont des gens qui ne peuvent plus travailler à cause de l'arthrite. Ils l'attrapent à cause du manque de soleil et leurs jambes deviennent inefficaces donc impossible pour eux de gagner leur vie. Alors il ne leur reste plus qu'à attendre la mort. C'est terrible, mais ce n'est que la dure réalité. 

- Ne t'en fais pas, nous allons arranger la situation. Tout d'abord, je veux que les personnes atteintes, et en priorité les enfants, soient immédiatement transférés dans des hôpitaux pour recevoir les soins adéquats. Ensuite, puis-je savoir pour quelle raison les habitants de la ville souterraine ne peuvent pas la quitter ?

- Au début, cette ville souterraine devait permettre au roi et à ses sujets de s'y réfugier en cas de nécessité, déclare Rhodes Reiss, mais les travaux ont finalement été abandonnés et elle sert désormais à loger les voyous et autres parias qui sont rejetés par la société. Ces derniers ne peuvent pas la quitter s'ils ne possèdent pas un passeport de citoyenneté. 

- Bien, mais est-ce que vous vous rendez compte des conséquences désastreuses que ça a sur leur santé ? Nous ne pouvons pas tolérer cela ! Il faut désormais établir pour chacun un passeport de citoyenneté. Ils devront le montrer et être contrôlés pour sortir à la surface, c'est une mesure de sécurité nécessaire. Ils pourront ainsi au moins respirer un peu d'air frais et profiter du soleil. 

- Et s'ils refusent de retourner dans les bas-fonds par la suite ? demande Rhodes Reiss.

-  S'ils savent qu'ils pourront sortir chaque jour comme bon leur semble, ils n'auront plus peur de rentrer chez eux. D'ailleurs, ils auront le droit de s'installer à la surface s'ils y trouvent une place, mais ils devront d'abord le déclarer aux autorités.

- Bien.

- Ce n'est pas fini. J'ai aussi remarqué la présence d'établissements peu recommandables. Il serait immoral et cruel pour ces pauvres femmes de les accepter. Leurs propriétaires devront donc se reconvertir dans un autre commerce. Ainsi, ces femmes pourront continuer à travailler dans de meilleures conditions. 

- Sauf votre respect, vous risquez de causer des mécontentement chez certains, dit Furlan.

- Peu importe. J'agis pour le bien de tous et je ne prends pas en considération les propos de personnes aussi égoïstes et immorales.

Il ne dit rien, mais je vois un sourire se dessiner sur son visage.

- Une dernière chose, Furlan. Y a-t-il des écoles dans la ville souterraine ? Je n'en ai remarqué aucune . . .

- Des quoi ?

- Oh, mon Dieu ! Il faut absolument ouvrir une école pour les enfants de la ville souterraine. Je suis sûre que vous trouverez un professeur adéquat. 

- Sage décision, commente monsieur Teyber. Il n'y a rien de plus terrible qu'une population illettrée et ignorante.

- Merci, monsieur Teyber, lui dis-je avec un sourire. Bon, c'est tout pour aujourd'hui. La séance est levée, vous pouvez disposer.

- Éléonore, m'interpelle papa. Est-ce que tu veux bien me suivre, s'il te plait ? J'aimerais te parler.

- De quoi s'agit-il ?

- Cela concerne ta sécurité . . .

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