Paulin
Ma relation avec Paulin Borel était au cœur de mes années à Saint-Urbain. Nous étions comme deux frères. Dès la grande section, ma mère lui avait apporté un de mes pantalons, car il s’était fait pipi dessus. Rien de dramatique à cet âge, mais c’était loin d’être un coup d’essai. Il préférait se retenir, certes sans garanties, plutôt que demander à aller aux toilettes. Aucune occasion n’était épargnée, même un simple bain pouvait accoucher d’une surprise. Tout se passait convenablement, jusqu’au moment où j’ai décidé de sortir : « Allez on sort, on va s’amuser ». Pas un geste, pas de réponse. Quand enfin il se résigna à se lever, j’ai découvert un caca tranquillement posé au fond de la baignoire.
Paulin avait le don de se mettre dans les galères. Chaque fois, j’étais sidéré, incapable de comprendre pourquoi mon ami avait agi de la sorte. En CE1, nous avions participé à la traditionnelle photo de classe. Une formalité rondement menée. Le photographe satisfait de son travail n’avait plus qu’à faire développer les pellicules. Quelques jours nous séparant de la modernité passèrent, puis le résultat tant attendu arriva accompagné d’un scandale. La photo des CE1 était inutilisable. La faute à Paulin, pris en flagrant délit de doigt d’honneur. Il avait tenté de le dissimuler contre son visage, mais rien n’y faisait, il ne pouvait pas s’en empêcher. Une vraie terreur.
En CM2, sa mère n’avait pas apprécié que l’école la contacte afin de lui réclamer l’argent de la cantine. Elle assurait pourtant donner un ticket tous les jours à son fils. Après quelques investigations, il s’est avéré qu’Étienne Bastier et lui s’amusaient à les déchirer avant de les jeter à la poubelle. Dès qu’on s’éloignait, il replongeait. Ou peut-être bien qu’il s’éloignait de lui-même pour mieux replonger.
La même année, nous étions les seuls à avoir une copine. Virginie pour lui, et Léa pour moi. C’était mignon. Assis côte à côte, ils partageaient une paire d’écouteurs le temps de la chanson préférée de Virginie, qui n’était autre que « Viser la lune » d’Amel Bent. À noter qu’au jeu des étapes franchies, c’est, lui avait gagné en l’embrassant en premier. En fin d’année, j’avais organisé une soirée à la maison. Mes parents étaient rentrés au moment où les garçons dansaient debout sur la table du salon, pendant que les filles se délectaient du spectacle sur le canapé. Ils avaient ri. Apparemment, nous étions suffisamment excités à neuf ans, pour gesticuler torse nu dans le but de séduire le sexe opposé.
Quant à notre idylle avec Léa, je n’en garde pas un grand souvenir. Nous nous apprécions, mais nous étions tous les deux trop timides pour qu’il se passe quoi que ce soit. L’idée d’avoir un amoureux ou une amoureuse était plaisante, mais nous l’avions laissée mourir à petit feu. Malheureusement, ce sont les moments qui ont entouré la disparition de son grand-père m’ont plus marqué. Elle était arrivée en retard, après s’être endormie sur son canapé. J’en avais déduit que l’ambiance devait être pesante à son domicile et qu’elle avait surement besoin de repos. Finalement, après plusieurs jours de recherches, son grand-père avait été retrouvé dans les vignes en face du cimetière. Il s’était suicidé, d’une balle de fusil de chasse dans la tête. Je n’oublie pas.
Avec Paulin, bien que nous passions la majorité de nos journées ensemble à l’école, cela ne suffisait pas. À partir du CE2, je restais seul à la maison le mercredi matin. Des souvenirs incroyables. Quand je me levais, une petite liste de tâches à accomplir m’attendait telles que : ouvrir les volets, vider le lave-vaisselle, et dresser la table pour quand ma mère arriverait à midi et quart. Sinon, je déjeunais en regardant un peu la télévision et surtout, je jouais au foot dans le salon. Au fur et à mesure que mon autonomie s’accentuait, je mettais de l’eau à chauffer pour anticiper la cuisson des pâtes à 12 h 10.
Comme tout marchait bien dans le meilleur des mondes, mes parents avaient fait l’éloge de cet arrangement aux siens. Le résultat ne s’était pas fait attendre, puisque dorénavant, nous dormions chez l’un ou chez l’autre le mardi soir, afin de passer la matinée du mercredi à deux. Quel rêve de dormir avec son meilleur ami chaque semaine !
Ces matinées étaient riches en émotions. Sur la Play, on alternait entre PES et FIFA. Un accordement pas si évident, car il plébiscitait FIFA dès 2004 alors que je jugeais la franchise rivale au-dessus jusqu’en 2006. En bonus, le cœur de son père et le sien battaient pour l’OM tandis que le mien était lyonnais. Les débats étaient animés, mais dépourvus d’âpreté, car, comble du sort, c’étaient bien eux les natifs de la région lyonnaise.
Son père, Jean, était un ancien boxeur et l’original de Paulin au niveau du caractère. Malgré sa gentillesse, l’énervement n’était jamais loin. Il travaillait à Bouygues, mais pas le vendredi. Son tee-shirt évocateur sur lequel était inscrit « vive le vent, vive le vent, vive le vendredi », en témoignait. Un jour, j’ai ouvert la porte des toilettes par mégarde pendant qu’il les occupait. Même furtive, la vision d’un adulte sur le trône m’avait déboussolé. Ce n’était pas la seule scène un peu étrange à mes yeux, car quand ils se souhaitaient bonne nuit, ils s’embrassaient sur la bouche. Un geste auquel je n’étais pas habitué, et dont j’étais heureusement exempté. À l’exception d’une fois, où à la suite de Paulin, il m’avait embrassé moi aussi. Mon unique expérience de ce type.
De sa mère, Sandrine, je n’ai gardé que peu de souvenirs. Elle était membre du Lions Club. Une énigmatique communauté, mais après tout, ils étaient originaires de Lyon donc ça se justifiait. D’après ses propres mots, elle détestait les manouches. Pour sa défense, elle était encore remontée à la suite de deux cambriolages subis coup sur coup, et ce malgré les alarmes. Quand j’étais petit, je la jugeais jolie. Un soir à table, mon père m’avait demandé si je trouvais plus belle, ma maman ou Sandrine. Une hésitation trop longue qui avait déçu ma mère.
Le reste de la famille était composé, ou recomposé si je puis dire, de ses deux demi-frères. Clément et Loïc. Des garçons plus âgés ne partageant pas les mêmes centres d’intérêt. Moins de foot et plus d’activités intérieures.
Sans surprise, si ce n’était pas virtuellement, nous laissions s’exprimer notre passion physiquement. Dans mon jardin, dans le sien, dans la rue ou contre nos portails, le moindre recoin était exploitable. Combien de buts magnifiques avons-nous inscrits, des lucarnes imparables, des coups francs éloignés et des têtes piquées, toujours au cœur de scénarios rocambolesques ? Notre mise en situation favorite, simuler des demi-finales de ligue des champions. La reine des compétitions offrait des affiches mythiques, de plus, les matchs se jouaient le mardi et le mercredi soir. Notre inspiration était toute fraîche.
Parfois, nous en avions peut-être un peu trop. En témoigne ce jour où mes parents nous appelaient pour nous emmener au foot. Nous étions plus haut dans la rue, et je tenais la balle de mes mains : « Je te parie que j’arrive à le renvoyer direct chez moi, par-dessus la maison et le jardin du voisin ». Surpris par mon audace, il demandait à voir. Sûr de mes capacités, je me suis exécutais. D’abord un rebond à mes pieds, suivi d’un dégagement en demi-volée à faire pâlir n’importe quel gardien. La trajectoire semblait bonne, jusqu’à ce que le ballon tape l’antenne, puis la cheminée du voisin. Deux changements de parcours s’équilibrant au bout du compte, laissant l’ultime rebond pour le toit de notre voiture. Un gros boum métallique. Prenant connaissance du résultat grâce à nos ouïes, nous étions rentrés en courant. Ma mère criait que nous étions débiles, mais mon père me glissa à l’oreille : « C’était toi qui as tiré non ? Parce que c’était quand même bien fait ». J’étais fier.
L’ennemi principal de nos matinées, était de quiller le ballon chez un voisin. D’autant plus s’il n’était pas là. Un problème que nous avons entrepris de régler en escaladant des murs à plusieurs reprises. Rien ni personne ne pouvait nous arrêter. Et épisodiquement, nous retrouvions d’autres amis qui habitaient au bout du lotissement. Il y avait Paul Delmas, Oscar et plus rarement, son grand frère, Thibaut. Ce dernier était un enfant d’origine chilienne, adopté également. Cette proximité réservait son lot de surprises. Un matin, j’aperçus une tête noire dépasser discrètement du muret, avant de disparaître aussitôt. Il m’avait fallu un certain temps pour réaliser que je ne rêvais pas et qu’Oscar nous observait sans se manifester, attendant qu’on l’invite.
De manière sporadique, j’apprenais que Paulin était puni. Cette fois-ci, après l’école et avec l’aide d’un ballon, ils avaient détruit les boites aux lettres du quartier. Tout un ensemble de boites y était passé et pour celles qui refusaient de céder, ils ajoutaient des pétards à l’intérieur.
Quand il n’était pas puni, on trouvait constamment le moyen de se battre. Comme je l’ai déjà mentionné, il préférait atteindre le point de rupture plutôt que de s’exprimer. Ma sœur affirmait régulièrement : « Ça finit toujours avec l’un qui rentre en pleurant et l’autre qui reste dehors énervé ». Mais parfois c’était involontaire, nous étions dans un film. Lors d’une simulation de combat à l’épée parfaitement maitrisée, nos bras se bloquaient successivement, jusqu’à ce qu’on opte, dans cette configuration symétrique, tous les deux pour un coup de boule. On en riait beaucoup.
J’ai en ma possession, quelques souvenirs fugaces. À l’image de la période où l’on s’entrainait avec acharnement à la pétanque, rêvant de remporter le tournoi d’Escalès en doublette. Mais au final, nous n’y avons jamais participé. L’étendoir à linge, lui, s’en souvient et en porte encore les stigmates.
Certains soirs, nous regardions la Coupe de la Ligue dans sa chambre. Une époque où Bafétimbi Gomis à Saint-Étienne, affrontait Jean-Claude Darcheville à Bordeaux et Camel Meriem à l’OM. On reproduisait bruyamment les buts en sautant sur son lit, jusqu’à ce que son père finisse par nous engueuler. Paulin possédait un magnifique maillot du Real Madrid floqué « Ronaldo », suivi de son iconique numéro 9. Certes, il était beaucoup trop grand, mais il n’en restait pas moins somptueux.
Régulièrement, on cassait les cadres et les vases posés sur les meubles du salon. De rares fois, il m’est arrivé de me dénoncer à sa place. Je m’imaginais grand seigneur.
Évoquer ces moments me fait sourire et me rappelle la phrase prononcée par la mère de son Ronaldo : « Je jouais au loto chaque semaine, en espérant gagner le gros lot, mais je ne me doutais pas que le ticket gagnant cassait mes vases dans le salon avec un ballon ». Nous avons partagé de nombreux instants fraternels, jusqu’à la fin du primaire. Puis, nos chemins se sont séparés, lui au collège d’Escalès, où il a continué à faire des bêtises, et moi à Notre-Dame. On se retrouvera plus tard, au lycée.
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