La péritonite
Mon premier problème majeur de santé, le premier d’une relative longue liste. La péritonite. Dans l’ensemble, les souvenirs de cet épisode sont étrangement positifs. Tout a commencé par un mal de ventre. Je restais chez moi plié en deux, attendant que la douleur s’estompe, comme je l’aurais fait pour une maladie annuelle aux conséquences hebdomadaires. Au troisième matin, le mal me gagnait. Je patientais, recroquevillé sur l’un des canapés jaunes aux motifs provençaux, que ma mère rentre du travail. C’était devenu insupportable. Et voyant l’heure fatidique approcher, je me suis réfugié sur la terrasse. À ce moment-là, je n’avais plus aucun doute, il fallait aller aux urgences. Ma mère me trouva appuyé contre le muret en pierre, à l’ombre des oliviers, et prit aussitôt conscience de la gravité de la situation. Nous partîmes sur le champ à l’hôpital Henri Duffaut, à Avignon. L’entrée du centre hospitalier était atypique, puisqu’elle se présentait comme un péage, surmonté du nom de l’établissement. On me prit en charge et l’on m’installa sur le lit d’une chambre sommaire, séparée équitablement par un simple rideau. Une autre personne occupait l’espace, mais heureusement, elle ne resta que très peu de temps. Toute mon attention était accaparée par la douleur, que je tentais d’atténuer en repliant mes jambes sur mon ventre.
Assez vite, ce fut diagnostiqué comme une appendicite. Une inflammation courante, facilement traitable, si opérée à temps. Manque de chance pour moi, et encore plus pour les victimes concernaient, la journée comprenait beaucoup d’actes médicaux d’urgences, et fut suivie d’une nuit tout aussi agitée. Les infirmières évoquaient notamment un grave accident de la route. Finalement, mon opération n’est intervenue que vingt-quatre heures plus tard, et l’appendicite bénigne avait dégénéré en péritonite aggravée.
À mon réveil, je me trouvais dans une chambre individuelle. Je crois que, dans la mesure du possible, c’est ce qui est prévu pour les enfants. Une télévision me regardait de haut, une fenêtre laissait entrer la lumière à ma droite, et un fauteuil, sur lequel ont passé beaucoup de temps ma mère et ma grand-mère, me bordait. Les nouveautés dérangeantes se matérialisaient par une cicatrice horizontale d’environ cinq centimètres, dans le coin inférieur droit de mon ventre, une perfusion et un drain. Ce tube transperçant ma peau et clos d’une poche en plastique me laissera une deuxième cicatrice semblable à un trou. Il servait à évacuer le surplus de pue formé par l’infection de l’appendicite devenue péritonite. Hormis ce sachet plastique qui pendait, la vraie difficulté était de sentir le « fer » me traverser le corps. Cette lame, au contact de ma chair, procurait une impression très particulière. Immobile, je m’y habituais peu à peu, mais au moindre mouvement, une profonde douleur se propageait. Après un certain temps de convalescence, une infirmière venait régulièrement pour le retirer, centimètre par centimètre. C’était terrible. Dès le réveil, je souffrais, et surtout j’appréhendais. J’en ai pleuré plusieurs fois.
Je suis resté une dizaine de jours à l’hôpital, alité et affaibli. Pour m’occuper, j’avais la télévision. C’était un vrai bonheur de pouvoir enfin profiter de Canal SAT. Les matins étaient consacrés à Canal J, et le reste du temps, je visionnais en boucle les rediffusions des matchs de la ligue des champions. Au bas mot, j’ai contemplé chaque quart de finale trois fois, dont le légendaire AS Monaco-Real Madrid faisant partie de l’épopée monégasque. Le but de Raul, la talonnade de Giuly, et la tête de Morientes garderont une saveur particulière. Le temps ne paraissait pas s’écouler lentement. Il y avait toujours ma mère ou ma grand-mère à mon chevet. Il me semble même que ma mère a dormi à mes côtés la première nuit, sur un lit de camp mis à disposition. Hélas, ce n’était pas sa première fois, elle avait déjà connu ça avec ma sœur Alice, à La Timone. L’une comme l’autre passait beaucoup de temps à feuilleter des magazines, me demandant entre deux pages, si tout allait bien. Parfois, elles se rendaient à la cafétéria, s’excusant de ne pas pouvoir me rapporter une part de flan. Quand tu n’es qu’un enfant, ce soutien est inestimable. Je ne prenais pas vraiment conscience de la gravité, ni ne réfléchissais ou comparais à des maladies que je connaissais. Je me laissais juste porter, border par ces présences qui me susurraient : « Ça va aller. Il ne faut pas t’inquiéter, Vincent ». Dans le registre du réconfort, mon père m’avait acheté un MacDo, voyant mon séjour toucher à sa fin. Je me plaignais de la nourriture, et cette attention m’avait comblé. Avec modération, bien sûr, pour ne pas avoir trop mal au ventre.
Quelques visites, principalement de la bande d’amis de mes parents, permettaient à mon ancienne vie de s’immiscer dans cette chambre d’hôpital. Les Blancard m’avaient offert un ballon, en précisant que c’était de la part de leur fils, Olivier. Un Roteiro d’Adidas, le ballon officiel de l’Euro 2004 qui allait avoir lieu dans quelques mois. D’une beauté incroyable, il devint incontestablement mon préféré parmi tous ceux que j’ai eu l’honneur de toucher. La fine couche de mousse qui le recouvrait y était pour beaucoup.
Olivier était de dix ans mon aîné. Il n’avait plus besoin de me prouver ni ses qualités de footballeur ni sa gentillesse. Des attributs m’enjoignant à le copier. Quand j’avais découvert sa chambre, aux murs tapissés de posters, ce fut une révélation. Sur le chemin du retour, j’ai confié à mes parents mon souhait de l’imiter. Et c’est de cette façon que j’ai décoré la mienne les années qui ont suivi. Des dizaines de posters punaisés, de Ronaldinho en taille réelle, arraché du magazine Onze Mondial, à la modeste photo d’avant-match de l’équipe de Nice. Un club auquel je ne portais pas d’affection particulière, mais tout était bon à prendre. Généreux, il m’avait prêté FIFA 2004 feignant de ne plus trop y jouer. Dès le lendemain matin, à huit heures tapantes un dimanche, je m’étais empressé de lancer le jeu vidéo sur la télévision du salon avant de le lui rendre à midi. Désormais, Thierry Henry faisait partie de mon arsenal.
La visite de la bibliothèque, sur les conseils d’une infirmière, annonça la fin de mon séjour hospitalier. Un bref aller-retour qui me permit de marcher, mais pas de trouver une BD intéressante. Finalement déçu, je me suis dit qu’il était temps pour moi de rentrer.
En arrivant à la maison, mon ballon m’attendait sur l’herbe. Je me suis autorisé à y mettre un léger coup de pied, veillant à ne pas outrepasser mes droits. Les consignes étaient claires, il fallait patienter en vue d’une meilleure cicatrisation. Ce fut LA question posée au docteur : « Est-ce qu’il peut rejouer au foot ? À partir de quand ? ». La seconde action qui entérinait mon retour fut le passage sur la balance. Le pari en cours avec ma grand-mère stipulait qu’au-delà d’un certain nombre de kilos perdu, je gagnerais un MacDo. En réalité, il ne s’agissait que d’un prétexte. Cette mésaventure ne dépassant pas la quinzaine m’avait tout de même délesté de six kilos.
Après ça, tout est rentré dans l’ordre, ou presque. Un retour à l’école exhibant fièrement mes cicatrices, la reprise du foot chez mon voisin, puis au sein de mon club dans la foulée. Toutefois, j’en garderais des séquelles dommageables. Des adhérences suscitant des maux de ventre réguliers, une fragilité certaine, et surtout, les bases de ma prochaine opération étaient posées. On s’était dit rendez-vous dans dix ans.
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