Chronique journalière 5 — 15/03/2024 — Page 88

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Me revoilà pour une nouvelle chronique journalière en ce 5ème jour du mois de Ramadan. Si ces trois chroniques se suivent malgré les deux mois qui les séparent, c’est bien que je n’aie toujours pas repris l’écriture de manière régulière. Rien de dramatique cependant, puisque j’ai passé les deux dernières semaines à relire, affiner le vocabulaire et restructurer certains paragraphes. J’ai aussi presque terminé d’incorporer mes passages qualifiés de « restes », ceux qui n’avaient pas trouvé leur place au premier jet. Qu’Allah me facilite la conclusion de cette partie consacrée à mon enfance.
Aujourd’hui, j’ai bien évidemment envie d’évoquer ce début de Ramadan. Comme l’an dernier, j’ai scruté le décompte des jours restants grâce à mon application Muslim Pro, partagé entre impatience et appréhension. C’est en appelant mon frère de l’au-delà, Razan, pour lui demander quelques précieux conseils, que j’ai pris conscience de ma propre bêtise. Une fois de plus, j’étais en train de polluer cette expérience sacrée à force de ruminations et de préoccupations stériles. Le fait d’en parler avec quelqu’un m’a soulagé, moi qui suis islamiquement isolé.
Il a suffi de sa voix posée, accompagnée de mots simples : « Ne t’inquiète pas, mon frère, c’est entre les mains d’Allah. Et si tu n’y arrives pas à cause de ta condition, ne te sens pas mal, Vincent. Essaie du mieux que tu peux ». Lorsque nous avons ensuite évoqué la possibilité d’aller à la mosquée une ou deux fois pendant cette période, tous mes tourments ont été balayés par sa foi tranquille et ce ton si doux, légèrement teinté de peine à mon égard : « Nooon, mon frère. Ne te pose pas tant de questions, tu vas te faire du mal. Tu sais, dans les mosquées, ils sont très accueillants. Personne ne te jugera, personne ne te posera de questions ». Je n’ai eu d’autre choix que de lui avouer combien je me faisais déjà du mal, à force de ne pas réussir à accueillir la vie autrement que dans une lutte permanente, épuisante, presque toujours à contre-courant. Parler avec Razan, c’est dissiper les nuages de son ciel intérieur. Il est un souffle de douceur, de sérénité. J’ai une chance immense qu’Allah l’ait placé sur mon chemin. Merci mon frère. Merci mon Dieu.
Fort de cet apaisement, j’ai entamé une sorte de préramadan, un léger entrainement étalé sur les quatre derniers jours du mois de Sha‘ban, du 7 au 10 mars.
Ce qui m’inquiétait le plus, c’était l’arrêt de la consommation d’eau, moi qui ai pris l’habitude de boire en continu pour soulager mes maux de tête. J’ai donc commencé par avancer mon repas de midi, d’abord à onze heures, puis à dix heures, puis à neuf, tout en cessant progressivement de m’hydrater dans la journée. L’expérience s’est révélée plutôt accessible, et elle m’a permis de mesurer à quel point une bonne organisation du repas matinal est essentielle pour ne pas se laisser surprendre par l’heure du lever du soleil.
Dans la nuit de samedi à dimanche, c’était la répétition finale. Réveil à 4 h 30 du matin pour regarder le combat de Benoît Saint Denis contre Dustin Poirier à l’UFC. J’en ai profité pour me préparer une belle assiette de potatoes, et, porté par l’enthousiasme de l’événement, tout m’a semblé simple et agréable. En prime, je commentais en direct avec mon frère Jonathan, fidèle des rendez-vous MMA et des réveils aux aurores. Un très bon moment, malgré la défaite.
Je suis retourné me coucher vers sept heures, avec l’intention de poursuivre cette journée dans le rythme de mes habitudes modifiées. Mais c’était sans compter sur l’imprévisibilité des rencontres Tinder.
Je devais déjà passer la soirée de la veille avec Samia, une Arlésienne qui me plaisait bien et avec qui j’échangeais depuis une semaine. Une rencontre prometteuse, légère et complice. Un premier imprévu l’avait contrainte à reporter notre rendez-vous, une soirée que l’on avait imaginée sous le signe du plaisir partagé. Puis, dans la foulée, je lui avais confié qu’avec l’arrivée du Ramadan, les choses allaient inévitablement se compliquer pour moi. Elle a cru que je plaisantais. M’a demandé si je n’avais pas oublié les trois petits points qui signalent d’ordinaire, l’ironie. Brusquement, nos échanges ont pris fin. Elle m’a écrit, dans un dernier message sans détour : « C’est vraiment pas possible pour moi… Mon père, Marocain, a fait vivre un enfer à ma mère et à moi au nom de l’islam ».
C’est toujours étonnant, la vitesse à laquelle ce type de relations peut se nouer, et se dénouer. En une semaine, on s’échangeait des photos érotiques, en une minute, on se disait au revoir. Si l’on n’y est pas préparé, cela peut désarçonner. Mais c’est le jeu.
Tout ce préambule me conduit au rebondissement de ce dimanche. Cette fois-ci, il n’a pas fallu une semaine, mais à peine plus d’une heure. Une jeune femme, en quête de légèreté, habitant à proximité, à qui l’on venait d’annuler son rendez-vous de l’après-midi. La situation idéale pour se retrouver autour d’un thé sur mon canapé. J’avais pris soin de rompre mon semblant de jeûne au préalable, histoire de m’assurer un niveau de performance conforme à mes standards ; le résultat fut à la hauteur de mes attentes. Je ne vais pas encore entrer dans les détails de ma pratique sexuelle, ce sera le sujet d’une partie bien plus longue, bien plus tard dans le récit. Je tiens tout de même à la remercier pour son ardeur et ce désir très affirmé. Elle m’a offert une après-midi apaisée, à sa manière. Et elle a même trouvé le moyen de glisser, entre deux gémissements : « Si c’est comme ça à chaque fois, je vais revenir plus souvent pour le thé ! ».
J’ai quand même fait en sorte de la mettre dehors aux alentours de dix-huit heures. J’avais encore bien des choses à accomplir avant la fin de cette journée. Entre me couper les cheveux, le ménage et les machines, je ne devais pas trainer. Et sans me mentir à moi-même, je savais d’avance que c’était uniquement pour assouvir mes besoins du jour. La voir s’accrocher à l’idée d’une future rencontre m’a dérangé. Je provoque moi-même ces situations, et elles me plaisent de moins en moins. Ces échanges de messages d’excuses dès le lendemain, une fois que j’ai obtenu ce que je voulais. Il est temps pour moi de trouver ma femme.
C’est un sentiment que je ressens depuis un petit moment, et que je souhaitais combler avec ma Précieuse Sophie. Allah en a décidé autrement, et je suis désormais prêt pour la suite. Cette relation qui touche à sa fin mériterait sans doute davantage de reconnaissance qu’une simple évocation, pour autant, je ne suis pas certain de vouloir m’atteler à cette tâche.
L’avantage de l’évacuation de cette tension sexuelle réside clairement dans la possibilité de me recentrer sur le spirituel. Et c’est justement le moment d’en découdre, puisque le premier jour de jeûne du mois de Ramadan est enfin arrivé.
J’ai passé une agréable journée en ce lundi 11 mars 2024, dans une présence sereine, comme libéré d’un poids. Je débute une aventure significative, une étape à valider dans ma vie de musulman. Pour marquer ce moment, j’ai jugé bon de définir des objectifs symboliques, afin qu’ils m’accompagnent et qu’ils honorent pleinement cette période sainte.
Premièrement, en ce qui concerne la prière, je pense que c’est une occasion propice pour intégrer quelques phrases supplémentaires en arabe. De petites parties qui viendront enrichir le tronc commun en langue originelle. Je comprends la nécessité de se rapprocher de la prière telle qu’elle nous a été transmise par notre prophète, sallallahu aleyhi wa sallam, même si ma position reste inchangée concernant la pertinence d’accomplir mes invocations dans ma langue maternelle. C’est ici, pour la première fois, que j’utilise l’eulogie traditionnelle qui suit la mention du nom du prophète Muhammad. Que la paix d’Allah et ses bénédictions soient sur lui. Une pratique que j’ai définitivement intégrée au fil de cette première semaine. Qu’Allah me facilite et qu’il y ait encore plein de bonnes choses à venir.
Deuxièmement, dans un cadre qui pourrait être qualifié de scolaire, j’ai noté dans mon cahier de brouillon les sourates que je compte apprendre. Aujourd’hui, les trois sourates que je maitrise me permettent de procéder à une récitation dans les règles de l’art lors de mes prières. Dans les règles, pas si sûr, car la majorité des courants musulmans ne considèrent pas une prière valide si récitation du Coran en français il y a. Inch’allah, j’actualiserai mes connaissances une fois que j’aurai acquis la langue arabe. Quoiqu’il en soit, j’aspire à porter ce nombre de trois à dix sourates, ce qui me donnerait la possibilité de réaliser toutes les prières du jour de manière unique.
Pour la prière du matin, je récite Ad-Duha et As-Sarh, les 93ème et 94ème sourates. Ensuite, pour Dhor, j’utilise At-Tin, la 95ème, et j’aimerais apprendre Al-Alaq, la 96ème. Puis, je compte avancer ainsi sourate après sourate, jusqu’à la 102ème, At-Takatur, qui viendrait clôturer la journée. Certaines sont plus courtes que d’autres, et certaines me parlent davantage pour le moment, mais j’ai confiance en la cohérence de ce projet. De plus, si cette démarche s’avère un succès, je ne serai plus qu’à douze petites sourates de la fin du Qur’an. Et quelle satisfaction personnelle ce serait de connaître par cœur les vingt dernières sourates du Livre sacré ! Travail en cours.
Troisième point crucial, la lecture simple. Encore une fois, c’est un enseignement que j’ai reçu de mon frère Razan. Il m’a bien précisé que ce mois est celui du Coran. Cela paraît logique, mais je le remercie toujours pour ses rappels bénéfiques. Du coup, j’ai entrepris une relecture complète en parallèle de mon apprentissage, profitant de moments comme une petite sieste au soleil dans la garrigue par exemple.
Quatrièmement, le visionnage régulier des vidéos de l’imam Abdelmonaim Boussenna. C’est un imam que j’ai découvert par hasard il y a quelques mois. Ses centaines de vidéos, qui durent généralement quelques minutes, abordent des sujets d’actualité ou des questions islamiques récurrentes. Il est si apaisant, et ses propos sont d’une clarté remarquable. En général, il m’accompagne le matin pendant suhoor, afin de bien commencer cette journée de jeûne, puis le soir, en attendant l’iftar.
Et enfin, cinquième et dernier point, qui me permet d’établir les cinq piliers de mon Ramadan, en clin d’œil involontaire aux cinq piliers de l’islam : une prière accrue lors du premier et de l’ultime jour. Il s’agit d’une pratique personnelle qui date de quelques années, lorsque je voulais marquer cette période à ma manière, étant dans l’incapacité de la vivre comme il se doit.
J’avais alors décidé qu’en ouverture et en clôture, je ferais toutes les prières obligatoires, essentielles, fortement conseillées et surérogatoires. Il s’agit principalement d’ajouter des unités de prière, des raka’at, aux prières habituelles, ainsi que d’accomplir quelques prières nocturnes spécifiques. Évidemment, je ne prétends pas à l’exactitude absolue de ma démarche. De toute façon, je sais d’expérience que la pureté de l’intention représente une grande part de la récompense. Allah sait mieux.
En définitive, ces initiatives sont certes destinées à plaire à mon Créateur, mais elles visent également à chercher une sérénité relative. J’aimerais voguer avec légèreté sur l’océan de la quiétude, espérant que ce mois soit exempt de ces tempêtes devenues communes.
Retour au concret, cette semaine m’a permis de commettre pas mal d’erreurs de base. À titre d’exemple, j’ai trop mangé par peur du manque, et trop vite aussi. Ces ruptures mal maitrisées ont surtout entrainé des maux de ventre. Encore une fois, l’un des enseignements les plus précieux que j’ai reçus provient de mon frère Razan, qui m’a rappelé la bienséance en matière de nourriture, telle qu’elle a été transmise par le prophète. Selon cet enseignement, il convient de diviser l’espace de son estomac de manière équitable : « Il suffit au fils d’Adam de quelques bouchées pour maintenir son dos droit. Et s’il ne peut se contenter de cela, alors il doit consacrer un tiers pour la nourriture, un tiers pour la boisson, et un tiers pour sa respiration. » Malheureusement, je me trouve encore bien loin de cette noblesse de comportement.
La sensation de faim ne se fait pas ressentir directement, mais plutôt sous la forme d’une grande fatigue qui m’envahit en fin d’après-midi. Il faut dire aussi que mon sommeil, déjà défaillant en temps normal, est davantage perturbé pendant cette période.
Je vais en profiter pour conclure sur ces cinq premiers jours, devenus première semaine de Ramadan, durant la rédaction. Globalement, je suis satisfait, mais j’aspire à en tirer des bienfaits plus profonds sur le plan spirituel. Il faut dire que malgré mes efforts pour m’abreuver de contenu islamiquement licite, je passe aussi beaucoup de temps à consulter mes applications de rencontres et à entamer des discussions frivoles avec des personnes qui, au fond, je le sais, resteront insignifiantes. Je suis partagé entre mon insatisfaction mondaine et ma reconnaissance pour les bienfaits plus grands que mon Seigneur m’a accordé. Qu’Allah me guide sur le droit chemin, car je m’égare bien trop souvent. Merci à la langue française qui me permet de poser des mots sur la profondeur de ma réalité. Merci à Allah, le Tout-Puissant, d’ouvrir les voies de mon cœur. Je t’aime.

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