Chapitre 1 : Renaissance

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 Mathis observait, comme chaque matin depuis des semaines, la lumière grise qui traversait les rideaux poussiéreux de sa petite chambre. Son refuge se trouvait dans un coin oublié de cette ville côtière, une pension vieillotte, perdue au bord d’une falaise où le vent et la mer semblaient en éternel duel. Les vagues se fracassaient contre les rochers avec une intensité rythmée, produisant un bruit sourd qui emplissait la pièce chaque matin. À ses oreilles, cela ressemblait davantage à une complainte lancinante, comme si la mer elle-même avait absorbé la mélancolie qui imprégnait chaque mur de sa chambre.

La chambre était spartiate. Un lit étroit, dont le sommier craquait au moindre mouvement ; une table bancale où traînaient quelques objets qui témoignaient de ses journées de solitude : un livre aux pages écornées, un carnet griffonné de mots entrecoupés, et un briquet argenté qu’il faisait tourner entre ses doigts sans même y penser. Le plafond, jauni par le temps, s’écaillait par endroits, formant des motifs étranges qu'il se surprenait parfois à scruter, perdu dans des réflexions silencieuses.

Assis au bord du lit, il ferma les yeux pour laisser affluer les souvenirs. La mer, dans sa constance brutale, lui rappelait le passé qu’il tentait d’ignorer, mais chaque matin, il s’y retrouvait enchaîné, incapable de fuir. Les visages, les paroles, les scènes de ses erreurs passées se bousculaient dans son esprit. Chaque détail semblait imprégné d’une douleur sourde qui le ramenait à cette certitude insidieuse : il avait tout gâché. Sa main glissa instinctivement sous le lit, là où il cachait une petite boîte en fer contenant des lettres pliées, des photos aux couleurs fanées.

Un coup frappé à la porte brisa le fil de ses pensées. Le bruit était sec, inattendu, presque violent dans le silence oppressant. Mathis resta immobile, hésitant avant de poser sa main sur la poignée. Qui pouvait bien être là, à le chercher dans cet endroit reculé où il s'était réfugié ? En ouvrant, il découvrit un visage familier : Camille.

Camille se tenait là, le visage partiellement caché sous un foulard de laine épaisse, ses cheveux bouclés ébouriffés par le vent. Un instant, ils restèrent figés, surpris de se retrouver face à face après tant de temps. Elle le regarda, et malgré la distance qui les séparait, il y lut une expression douce, un mélange de tristesse et de compassion.

« Salut, Mathis... » murmura-t-elle, hésitante. Sa voix semblait à la fois fragile et assurée, comme si elle craignait de briser quelque chose de trop précieux pour être touché.

Mathis hocha la tête, incapable de dire un mot. Il s’écarta pour la laisser entrer, refermant la porte derrière elle. Camille parcourut la pièce d’un regard scrutateur, observant les moindres détails, comme pour comprendre ce qui avait pu se passer depuis leur dernière rencontre. Elle remarqua les objets éparpillés, les signes d'une vie en retrait, et son visage trahissait une inquiétude silencieuse.

Elle s’assit sur le bord de la chaise en bois près de la table, gardant une posture raide. Ses mains étaient jointes, ses doigts crispés, mais elle offrait un sourire qui trahissait un calme relatif. « Tu sais, » commença-t-elle, les yeux baissés, « j'ai eu du mal à te retrouver. Tu n’as rien dit à personne en partant. » Elle releva la tête et le regarda droit dans les yeux. « Pourquoi ici, Mathis ? Pourquoi t'isoler autant ? »

Mathis détourna le regard, le visage fermé, comme s'il essayait de contenir une tempête intérieure. « Je... je n’avais pas envie de répondre à des questions, Camille. »

Le silence retomba, pesant, rempli de tout ce qu’ils n’osaient pas dire. Camille soupira et s’enfonça un peu plus dans sa chaise, l’observant sans insister, sans juger. Elle attendait, laissant le silence remplir l’espace, un silence qu’elle savait nécessaire.

Finalement, elle murmura, d’une voix douce, mais ferme : « Mathis, tu ne peux pas rester ici indéfiniment, comme ça. C’est... ce n’est pas une vie. »

Il haussa les épaules, un soupir amer échappant à ses lèvres. « Peut-être que c’est tout ce que je mérite. » Il ne la regardait pas, ses yeux fixés sur le sol, cherchant à éviter son regard. Sa voix, d’habitude si assurée, s'était brisée sous le poids de la culpabilité.

Camille secoua la tête, se penchant légèrement vers lui. « Ce n’est pas vrai. On fait tous des erreurs, Mathis. Mais tu... tu te punis, comme si tu voulais effacer tout ce que tu as fait de bien aussi. »

Mathis serra les poings, luttant contre les émotions qui menaçaient de le submerger. Il ouvrit la bouche, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Il sentait la colère et la tristesse se mêler, des émotions si profondément enfouies qu'il n’était pas certain de pouvoir les exprimer.

Camille lui prit doucement la main. Ce simple contact ramena un flot de souvenirs, des moments passés ensemble, des rires partagés, des rêves qu'ils avaient construits. Il la regarda, et, pour la première fois depuis longtemps, il sentit une étincelle d’espoir, quelque chose qu'il pensait avoir perdu.

Ils restèrent ainsi, main dans la main, le silence s’étirant entre eux. Puis, d’une voix douce, Camille rompit le calme. « Tu sais, je me souviens de ce jour à la plage. On avait décidé de construire le plus grand château de sable. On a passé des heures à ramasser des seaux d’eau, à creuser, à sculpter. On avait tellement ri ! »

Un sourire involontaire s’esquissa sur le visage de Mathis. Il se remémora ce moment avec une clarté vive : le soleil, les rires d’enfants, et la promesse que tout irait bien.

« Je me souviens, » répondit-il, sa voix hésitante. « On avait même ajouté des drapeaux en papier. On croyait que ça allait tenir toute la journée. »

Camille éclata de rire, une mélodie légère qui résonna dans la pièce. « Et puis, la marée a tout emporté. On était si déçus. Mais je me souviens que tu m’as dit que ce n’était pas grave, qu’on pourrait toujours en reconstruire un autre. »

La nostalgie emplissait l’air, et pour un instant, la douleur du passé sembla s’évanouir. Mais cette pensée ne dura pas. La réalité des choix de Mathis le rattrapa, et il se trouva incapable de soutenir son regard plus longtemps.

« Je ne suis pas celui que tu crois, Camille. J’ai fait des choses... des choses terribles. »

« On a tous des démons, Mathis. Mais je suis là pour t’aider, pas pour te juger. »

Le regard de Camille était sincère, mais cela n’apaisa pas la tempête qui grondait à l’intérieur de lui. Il savait que chaque mot qu’il prononçait serait pesé et analysé, qu’il ne pouvait plus échapper à la vérité de son existence.

Dans un élan de désespoir, il murmura : « J’ai peur de ce que je pourrais te faire, de ce que je pourrais devenir. »

Camille se leva et se dirigea vers la fenêtre. Elle regarda dehors, puis se retourna, les yeux brillants. « Alors, ne deviens pas cette personne. Ne laisse pas ton passé définir qui tu es aujourd’hui. »

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