Chapitre 18 - Le lac de Rhem

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 C'était le lendemain soir.

 J’écoutais le chant de l’espagette cendrée dissimulée au milieu d’un buisson de roseaux. Celui-ci me semblait tout à fait normal. La présence de cet échassier m’indiquait, d’une part, que notre approche avait été suffisamment discrète et que, d’autre part, il n’y avait pas de prédateur ou de patrouille d’orks à proximité.

 Nous étions tous revenus vers le lac. Cette fois, pas besoin de guide car j’avais mémorisé le chemin. Le groupe avait décidé une approche furtive de nuit contre mon avis. Gothzul n’était pas gêné par l’obscurité grâce à sa vision nocturne, mais c’était aussi le cas des autres orks. Thregaz, quant à lui, disposait d’une vision thermographique qui lui permettait de détecter les sources de chaleur jusqu’à une distance de deux cents mètres. Les t’skrangs Jeb et So’tek, pour leur part, disposaient de leur magie et de leur vision astrale. Au final, il n’y avait que moi qui étais pénalisé dans cette affaire. Étant l’éclaireur du groupe, j’avais trouvé la décision assez moyenne. Mais il me fallait faire avec.

 J’emmenai le groupe jusqu’à des buissons où j’avais préalablement repéré la présence d’une barque. Les deux t’skrangs, plus en phase avec l’élément liquide, se mirent aux rames et Thregaz se tassa à l’arrière, la main sur le gouvernail. La petite embarcation n’était clairement pas faite pour embarquer un troll et notre ligne de flottaison était assez inquiétante mais le lac était calme. Nous opérâmes une approche discrète du bâtiment le plus proche, éclairés par une lune timide qui se dissimulait souvent derrière les nuages, ce qui n’était pas pour nous déplaire. J’espérais également qu’il n’y aurait pas un de ces fichus espagras en chasse pour nous moucharder.

 Nous abordâmes silencieusement le ponton du premier bâtiment. Notre arrivée semblait être restée inaperçue, ce qui n’était guère étonnant vu l’ambiance qui régnait au premier niveau qui émergeait de l’eau. Un groupe d’orks était très occupé à je ne sais quoi mais c’était bruyant et fort heureux pour nous.

 Il semblait y avoir deux étages supplémentaires, y compris le dernier qui ressemblait à une espèce de clocher ouvert. Grâce à un treillage magique discrètement tissé par Jeb, Treghaz et moi escaladâmes le beffroi. La sentinelle était à moitié endormie et nous la neutralisâmes avant qu’elle ne puisse donner l’alarme grâce à la cloche qui était encore à sa place. Voilà qui était un problème de moins.

 Une fois le garde éliminé, je redescendis pour synchroniser le second groupe chargé d’attaquer les orks du premier niveau pendant que Thregaz et moi les prendrions à revers depuis le clocher. À peine remonté, je constatai que le troll était en plein combat contre un t’skrang particulièrement vif. Profitant de mon arrivée discrète, je lui portai un méchant coup de dos. Toutefois, l’escrimeur devina mon approche et évita partiellement mon attaque qui ne fit que le blesser. Le t’skrang se dégagea alors d’une volte et, estimant ses chances compromises face à deux adversaires, il fit un saut dans le vide et plongea dans le lac. Suivant sa trajectoire, je vis Jeb plonger à sa poursuite en lançant un « Je m’en occupe ! ».

 Je rejoignis Thregaz qui était déjà descendu au premier niveau pour aider Gothzul et So’tek contre les orks. Ces derniers avaient été surpris sans arme ni protection et mes compagnons les neutralisèrent si rapidement que le combat avait déjà cessé à mon arrivée. Avec une seule blessure pour Monsieur et quelques égratignures pour notre ork, le groupe s’en était plus que bien sorti.

 Jeb revint peu après avec un t’skrang blessé, haineux et fort peu coopératif.

« Bon, qu’est-ce que tu foutais là avec les orks ? interrogea Gothzul, en prenant son air méchant, ce qui n’est pas difficile pour un ork.

- J’apportais ma contribution au grand projet, cracha le captif.

- Le grand projet ? C’est quoi ce grand projet ? s’étonna So’tek.

- La vallée de l’Olsir n’est qu’une étape ! Nous embraserons le monde dans les flammes pour en reconstruire un nouveau ! Il faut finir le travail commencé lors du Grand Châtiment ! déclama le t’skrang avec emphase.

- Rien que ça… c’est pas une moitié de fanatique celui-là, commentai-je.

- Vous allez tous mourir et vous vous accrochez à vos pitoyables vies et à vos illusions ! éructa encore le t’skrang.

- Dites, on va devoir supporter ça encore longtemps ? Parce que, là, il commence à me les briser menu avec son discours de merde ! s’impatienta Thregaz.

- Ouais ! Ta gueule ! renchérit Gothzul en bâillonnant le prisonnier. J’vais chercher un des orks qui peut encore causer pour voir s’il est moins con.

 Une minute plus tard, un ork blessé et pas très rassuré nous faisait face. Il se montrait bravache mais son regard hésitant ne jouait pas la même partition.

- Bon, le marché est simple : tu réponds aux questions et on ne te tue pas ! commença Gothzul.

- Heu… j’suppose que j’ai pas l’choix ! Qu’est qu’vous voulez savoir ?

- Qu’est-ce que vous faites là ? interrogea Jeb

- On accompagne les deux t’skrangs et on les protège pendant qu’ils font leurs expériences.

- Et le deuxième t’skrang, il est où ? demandai-je.

- Dans l’autre bâtiment, là-bas, répondit-il en désignant de la tête le second bâtiment qui émergeait.

- Et il est tout seul ? s’enquit Gothzul ?

- Non… il doit y avoir cinq ou six orks et quelques saloperies.

- Et c’est quoi les saloperies ?

- Les trucs volants qu’ils élèvent. Y z’ont des œufs de ces saletés…

- Super… on est tombé sur la couveuse des espagras ! lâchai-je

- Je sens qu’on va se faire une omelette géante ! commenta le troll avec un sourire féroce.

- Ouais… préparez les mouillettes ! » conclut So’tek.

 Une fois les prisonniers attachés, nous reprîmes la barque et mîmes le cap en direction du second bâtiment. Alors que nous abordions sur le ponton, je repérai deux espagras qui s’envolaient du toit, sans nous prêter plus d’attention que cela. Tant mieux pour tout le monde. Nous contournâmes le bâtiment principal pour aller vers la construction annexe qui devait abriter la couveuse. En tout cas, c’est ce que l’odeur semblait indiquer.

 À l’intérieur, nous découvrîmes effectivement le second t’skrang et celui-ci était fort peu content de notre arrivée. Il nous accueillit à coup de sortilèges et envoya l’espagra encore présent nous attaquer.

 Un désir de revanche me submergea et je fonçai droit sur la créature, à la surprise de mes compagnons. La créature était vive, l’odeur de décomposition suffocante et la luminosité réduite. Bref, je n’avais pas vraiment bien choisi le moment pour tenter un coup d’éclat et l’espagra se joua de mes attaques. Toutefois, je parviens à l’occuper et à éviter tous ses assauts, le temps que le reste du groupe dispose du nécromancien t’skrang (pas So’tek, l’autre !) et vienne à mon aide. Sous le nombre, la créature fit nettement moins de difficultés pour consentir à mourir.

 Je ressortis à l’extérieur du bâtiment pour reprendre un peu d’air et constatai que les orks s’enfuyaient dans une barque, ainsi que les deux espagras que j’avais aperçu auparavant.

 Je revins prévenir mes compagnons. Pendant ce temps, ils avaient découvert un grimoire et des potions, ainsi que deux œufs d’espagras sur un tas de trucs en décomposition. Toujours revanchard, je me suis approché pour briser les œufs à coups d’épée, mais j’ai été pris d’une violente migraine alors que je levais mon arme. J’ai reculé en chancelant sous l’assaut mental. Ces foutus œufs étaient protégés. Thregaz essaya à son tour et eut la même punition. Jeb décida de régler le problème à distance, à l’aide de sorts offensifs. C’est sûr que c’était plus pratique.

 Une fois le ménage fait dans l’annexe, nous décidâmes de visiter le bâtiment principal. Compte tenu de la fuite des orks et des espagras corrompus, il n’y avait certainement plus grand-chose à récupérer mais cela méritait tout de même une vérification. Les orks étaient sans doute plus intéressés par les pièces d’or que par les lettres ou les cartes.

 Après quelques salles sans intérêt (dortoir puant, salle de torture, salle à manger), nous découvrîmes une porte fermée. Un coup de pied de troll plus tard, nous pénétrâmes dans une pièce qui devait être la chambre du nécromancien t’skrang. Un gros coffre fermé et un cercle d’ossement attirèrent notre attention.

 Pendant que Gothzul surveillait le couloir, Jeb et So’tek examinèrent le cercle magique, Thregaz et moi nous intéressâmes plutôt au coffre qui excitait notre curiosité. Après un examen sommaire, il ne me parut pas piégé mais je ne parvins pas à l’ouvrir pour autant. Monsieur vint à mon aide avec un gros coup de marteau dans la serrure… déclenchant ainsi un piège magique sous la forme d’un nuage noir. Oups !

 Je donnai l’alerte aux autres et pris mes jambes à mon cou. Je fus le seul à ne pas être touché par le nuage et c’est heureux. Les deux t’skrangs s’effondrèrent mais furent récupérés par Thregaz, titubant, qui les sortis tous les deux de la zone d’effet du nuage magique.

 Une fois sur le ponton, le troll s’évanouit et bascula dans l’eau. Bien qu’en mauvais état également, Gothzul plongea afin de remonter Thregaz. Il dût l’alléger au maximum afin de pouvoir au moins lui maintenir la tête hors de l’eau. Arrivé à la rescousse avec une barque, je secondai de mon mieux Gothzul afin de sortir le troll de l’eau. Une fois tout le monde ramené au sec et en sécurité, je fis une tournée générale de soins. Même si c’était plus des notions d’herboristerie qu’autre chose, ce ne pouvait pas empirer les choses. Et puis, il fallait que je m’occupe pour rattraper la bourde du coffre. Pas piégé qu’avait dit l’éclaireur…

 À ce moment, la voix se manifesta à nouveau dans notre tête « … ramenez… ramenez-moi l’épée en os… tout cela cessera… vous serez récompensés… vite… ». J’échangeai un regard avec les autres pour constater que tout le monde avait reçu le même message, sauf So’tek qui n’était pas marqué.

« Bon, on fait quoi ? Qui veut lui ramener sa foutue épée ? m’enquis-je

- Non, on ne la lui ramène pas, trancha Thregaz. Les autres opinèrent avec un bel ensemble.

- Pour ma part, je propose de foncer vers Throal. Nous donnerons l’alerte pour essayer d’envoyer des renforts à Brindol et nous pourrons ensuite chercher quelqu’un pour nous débarrasser de cette fichue voix.

- Heu… Valerian, intervint So’tek, il faut quand même que je te dise un truc. À ma connaissance, personne ne peut ôter la marque que vous avez. Ce n’est pas faisable. Il faut soit que l’Horreur l’enlève elle-même, soit la tuer.

- Hein ?! T’es sûr de ça !

- Autant que possible, oui, confirma à regret le nécromancien.

- Hum… et t’as d’autres bonnes nouvelles du genre ? grognai-je.

- Désolé… répondit le t’skrang en haussant les épaules.

- Donc, faut lui péter la gueule ! résuma Gothzul.

- Ouais, on va peut-être la lui ramener son épée, finalement. Mais pour la lui faire bouffer ! renchérit le troll.

- Yahou… la chasse à l’horreur est ouverte, commentai-je avec un enthousiasme très modéré.

- Pour l’instant, vu l’état du groupe, je pense que nous allons nous traîner au village sylphelin pour y reprendre des forces, tempéra Jeb avec son pragmatisme habituel.

- Donc, retour au village sylphelin ! Il leur reste peut-être encore un ou deux tonneaux de leur petit alcool de fleurs, s’enthousiasma Thregaz.

* *

 Mais ce ne fût pas aussi facile que cela.

 Ce marais devait vraiment fausser mes talents d’éclaireur car je parvins à mener le groupe droit sur le nid des deux espagras survivants du lac. Si ça, c’est pas de la poisse !

 Le combat fût compliqué par l’état général du groupe. Pour ma part, j’étais presque en bonne santé, mais ma faculté à influencer les combats restait des plus limitée. Mon plus grand succès a été, encore une fois, d’éviter les coups. Ce qui ne fût pas le cas de Gothzul et So’tek qui écopèrent de deux vilaines blessures qui s’infectèrent malgré mes soins et ils sombrèrent bientôt dans une inconscience inquiétante. Grâce à la force de Monsieur, nous parvînmes à les ramener au camp des sylphelins qui furent ravis de notre retour et des bonnes nouvelles que nous rapportions. Leurs guérisseurs s’attelèrent rapidement à la tâche sur nos blessés.

 Deux jours plus tard, nous pûmes reprendre la route, après une ultime fête de nos sympathiques hôtes en notre honneur. Au milieu de la pestilence et de la dangerosité de cette région, ce village sylphelin restera une parenthèse chaleureuse.

 Au terme de deux journées de marche soutenue mais prudente, et après avoir fait un détour pour éviter le retranchement ork au gué du sud, nous atteignîmes le village de Sombre-Gué. Celui-ci était désert et avait visiblement déjà été visité par les éclaireurs orks.

 En espérant ne pas arriver trop tard, nous reprîmes notre marche vers le nord. Allions-nous trouver Brindol encore ouverte ?

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