Chapitre 20 - Le kaer du Lion
Je remarque que j’ai omis d’expliquer comment nous savions où nous rendre.
Lors du dernier contact mental avec l’Horreur, celle-ci était tellement impatiente de nous voir lui apporter l’épée en os qu’elle nous envoya l’image mentale d’une falaise dans laquelle avait été taillée la statue d’un lion accroupi. Du moins le haut du corps, la tête et les pattes avant. Une entrée se dessinait entre ses pattes.
Pendant notre séjour d’entraînement, nous en avons parlé au baron Lemak et il a fait venir ses érudits. L’endroit avait rapidement été identifié : il s’agissait d’un kaer situé à quelques jours au nord-est du Bac de Drelyn, dans les premiers contreforts montagneux des Épines. Jorr nous avait préparé un itinéraire qui contournait l’armée orke par le nord, en espérant passer suffisamment au large pour éviter leurs patrouilles.
Jorr faisant l’éclaireur, cela me laissait tout le temps de discuter un peu plus avec Luriel. Elle m’a battu froid pendant une heure ou deux avant de consentir à une vraie discussion, même si nous nous en tenions à des sujets triviaux. Visiblement, elle ne me pardonnait pas la scène de départ larmoyante avec Carelia. Je ne pouvais pas la blâmer sur ce point. Difficile aussi de lui dire que la petite blonde ne comptait pas pour moi sans passer définitivement pour un salaud ou un menteur, voire les deux. Les autres discussions du reste de la journée ne furent guère plus concluantes mais elles eurent le mérite de faire passer le temps.
Nous arrivâmes à Daoss le lendemain et nous constatâmes que la ville était presque complètement évacuée. Ici et là subsistaient encore quelques traînards. Peu après, Luriel vint nous annoncer son départ. Je l’entraînai à part afin que je puisse lui parler avec un semblant d’intimité. Cette discussion n’eut rien de passionnée et resta beaucoup au second degré. Il y était notamment question d’un aventurier au caractère volage. J’essayai de lui faire comprendre que nous rediscuterions de tout cela si je revenais. Elle l’espérait bien. En gros, j’avais encore ma chance, mais j’avais reçu un premier avertissement et elle ne me faciliterait pas la tâche.
Songeur, je la saluai puis la regardai s’éloigner sur sa monture. Chaque chose en son temps. D’abord liquider l’Horreur, ensuite revenir affronter Carelia et Luriel. Je me demandai laquelle de ces deux confrontations serait la plus périlleuse…
* *
Le lendemain, alors que nous étions en route vers le nord, nous nous arrêtâmes au gué situé à mi-chemin entre Daoss et les mines des Fer-Marteaux. Il s’y était déroulé une bataille qui remontait à une semaine environ. Un groupe de nains avec la livrée de Brindol avait combattu des écorcheurs. Tous les nains avaient été massacrés mais ils avaient emmenés avec eux bon nombre d’orks.
En fait non, pas tous les nains. En examinant les abords du terrain, j’avais repéré les traces d’un survivant qui s’éloignait du lieu de la confrontation. Escorté par Thregaz, je suivis la piste et finis par retrouver le cadavre d’un officier nain qui avait succombé à ses blessures. Aucune trace d’ork aux alentours. Je le fouillai et découvris un courrier cacheté du sceau du Baron Lemak et une bourse contenant d’étranges pièces. Nous revîmes vers les autres pour les aviser de nos découvertes.
La situation nous semblait claire : Le baron avait envoyé une demande d’aide aux nains avec paiement mais ses hommes étaient tombés dans une embuscade. Il fallait d’urgence porter ce message mais sans compromettre notre mission. Je proposai alors à Jorr d’aller chez les nains avec le message et le paiement pendant que nous continuerions vers l’est et notre destination. Il nous suivrait ensuite pour récupérer les montures et attendre notre retour. Le vieil éclaireur n’était pas enthousiaste à l’idée de nous quitter mais tout le monde convint que c’était le mieux à faire. Jeb décida de conserver une pièce élémentaire d’air en souvenir. Bah, une de plus ou de moins ne devrait pas changer le cours de la guerre…
Jorr m’expliqua attentivement le chemin à suivre et l’endroit à partir duquel il faudrait laisser les montures puis nous nous séparâmes.
* *
Les jours suivants, le voyage se fit résolument vers l’est, le long de sentiers de traverse à peine visibles. La seule difficulté rencontrée fut celle d’échapper à la vigilance de quelques espagras corrompus. Instruit de mes précédentes rencontres avec ces créatures, je me montrai très motivé et appliqué à ma tâche.
À partir du quatrième jour, le terrain devint plus désolé et rocailleux et nous approchions de l’endroit où laisser nos montures. Cependant, il y avait déjà deux chevaux d’écorcheurs à proximité. Je ne remarquai aucune trace des cavaliers. Ne voulant pas prendre de risque, nous décidâmes de laisser nos propres montures un peu plus loin. Jorr devrait être capable de les retrouver. Nous espérions également que les deux orks étaient morts ou seraient repartis d’ici là. Et sans nos propres montures de préférence.
Alors que nous poursuivions notre chemin à pied, j’avisai des nuages menaçants venant de l’est. Il pleuvrait cette nuit, et pas qu’un peu. J’avais intérêt à trouver un abri correct pour le groupe si nous souhaitions ne pas être trempés comme une soupe. Rien de bien difficile pour un éclaireur un brin compétent et nous fûmes bientôt installés sous un large surplomb de roche, dos à l’est, c’est-à-dire que nous serions à l’abri du vent et de la pluie.
Notre arrivée étant prévue pour le lendemain, j’en profitai pour demander à So’tek de m’aider à placer le charme de sang prêté par Luriel. Le nécromancien avait été étonné que je possède un tel objet et il l’avait longuement examiné avant de me confirmer que c’était bien un charme de protection contre la magie des Horreurs. Sa puissance était modérée mais il se montrerait indiscutablement utile là où nous allions.
Je détestais cette idée d’un truc étranger dans mon corps qui vampirisait mon métabolisme – même si c’était de manière ténue - mais si ça pouvait m’aider contre l’Horreur, je me ferai une raison. D’une manière générale, j’avais une répulsion assez viscérale à l’égard de la magie du sang. Cette magie particulière tirait sa puissance de sacrifice, généralement sanglant. Toutefois, seuls les plus puissants enchantements nécessitaient de faire des victimes. La plupart du temps, il s’agissait de ne consentir qu’à la perte d’une petite quantité de sang en échange d’un effet magique.
Les charmes de sang étaient de petits objets enchantés qui tiraient leur puissance du sang de leur porteur. Celui était posé à même la peau qu’il transperçait lentement jusqu’à pouvoir puiser le sang nécessaire à l’activation de sa magie. Il fallait compter une journée avant que l’objet soit pleinement efficace.
La nuit fut aussi pluvieuse que prévue. En revanche, la meute de loups qui hurla à plusieurs reprises autour du campement n’était, elle, pas prévue. Il n’y eut aucune attaque mais cela conféra une certaine nervosité aux tours de garde et beaucoup dormir mal.
* *
Au matin, nous constatâmes rapidement que la meute était toujours là et nous encerclaient. Bizarrement, ils n’attaquaient toujours pas et ils semblaient nous montrer le chemin vers l’est. En d’autres termes, notre présence avait été repérée par l’Horreur et elle nous avait dépêchée une escorte. C’était vraiment trop d’horreur… trop d’honneur pardon !
Nous marchâmes dans la plaine caillouteuse pendant six bonnes heures avant de parvenir devant la falaise en forme de lion. Tout le monde aspirait à un peu de repos et à un terrain régulier, à force de trébucher. Mais il n’était pas question de se relâcher, surtout avec notre escorte qui nous pressait d’avancer.
La statue du lion de pierre était intégrée à la falaise et sa taille était des plus impressionnantes. Les seules griffes des pattes étaient aussi grandes que moi. À environ douze mètres de hauteur, la tête de lion semblait surveiller notre approche de ses yeux aveugles.
En approchant de l’entrée du kaer, nous constatâmes que les doubles portes principales étaient grandes ouvertes. À une vingtaine de mètres de l’ouverture, les loups devinrent nerveux et n’avancèrent plus. N’ayant pas grand-chose de mieux à faire, nous avançâmes et franchîmes les portes, tout aussi curieux que prudents.
Il me vint à l’esprit une certaine expression qui parlait de se jeter dans la gueule du loup. En l’occurrence, pour nous c’était un lion de pierre. Les loups, c’était pour les débutants en emmerdes…
À l’intérieur, une lueur diffuse dont l’origine nous échappait nous évita de recourir à nos torches. Il n’y avait pas de petites économies ! Nous pénétrâmes dans une large salle circulaire absolument vide. À l’opposé de l’entrée, une grosse porte bardée de runes défensives nous faisait face. Visiblement, celle-ci n’avait pas été ouverte.
À notre approche, un gardien spectral apparut et projeta sans sommation un sort de zone. Je ressentis une soudaine crise de panique et ressentis un besoin très pressant de détaler d’ici. Toutefois – à ma grande surprise – je parvins à surmonter cette frayeur et à faire face à l’apparition. Malheureusement, cela ne fut pas le cas de notre première ligne : Thregaz et Gothzul avaient déguerpis !
J’avançai de quelques pas pour m’interposer entre le gardien et les deux t’skrangs qui tissaient tout ce qu’ils pouvaient. Des projectiles magiques fusèrent vers notre adversaire mais ne semblèrent pas l’incommoder outre mesure. Espérant faire mieux, je me lançai à l’attaque. La créature se joua de mes pitoyables assauts et je dus reculer en ayant récolté deux méchantes blessures en récompense de ma témérité. Alors que je me tournai vers les lanceurs de sorts pour leur demander s’ils avaient des idées, je me rendis compte qu’ils avaient également battu en retraite et étaient déjà au niveau de la porte. Ils auraient pu prévenir tout de même !
Étant désormais seul face à un gardien visiblement immunisé à beaucoup de choses, je suivis le mouvement et optai pour un repli stratégique.
Une fois à l’extérieur, nous retrouvâmes nos guerriers un brin penaud. À tout prendre, j’aurais préféré fuir aussi plutôt que de prendre inutilement deux blessures.
Nous examinâmes ensuite la falaise en quête d’une autre entrée. Il semblait que la gueule était creuse et Jeb pensa avoir aperçu une silhouette à ce niveau lors de notre approche. Nous décidâmes donc de tenter l’escalade grâce au sortilège de treillage magique de notre élémentaliste. Suivi par Gothzul, je progressai le long de la paroi vers la gueule de pierre.
Arrivé à la hauteur de la gueule, je constatai que, effectivement, celle-ci était bien creuse et qu’il était possible de passer entre deux dents. Je pris pied discrètement sur la plate-forme de la gueule.
Celle-ci faisait bien sept ou huit mètres de large sur une quinzaine de mètres de longueur. Les dents du lion constituaient les piliers qui tenaient la partie supérieure. Je me mis immédiatement à l’abri d’un pilier en constatant qu’il y avait déjà du monde sur la plateforme : un groupe d’orks en guise de comité d’accueil.
À peine Gothzul m’avait-il rejoint qu’ils nous chargèrent. Mon compagnon d’armes se déchaîna et profita de la configuration des lieux pour adopter un système de combat d’une redoutable efficacité : il attrapait les adversaires à bras le corps et les projetait, les uns après les autres, dans le vide derrière lui.
Après une chute de douze mètres, il y avait peu de chance qu’ils en redemandent. Trois orks connurent ce sort funeste. Il restait à espérer que l’un de nos potes restés en bas n’en prenne pas un sur le coin de la figure…
De mon côté, j’avais exceptionnellement fait preuve d’un soupçon d’efficacité. L’ork le plus près de moi me chargea férocement, pensant pouvoir aisément couper en deux le modeste humain qui avait osé venir en ces lieux. J’ai pu esquiver son assaut et, dans le même mouvement, je lui ai planté mon épée courte (que j’avais appelé Kurt en hommage à un copain d’enfance) en plein dans la cuisse. Il a beuglé un coup et est revenu à la charge immédiatement avec une attaque haute, destinée à me faire sauter la tête. Cette fois, je suis passé sous la lame et la mienne s’est plantée en plein dans son bide. Il s’est reculé, les yeux exorbités, et est tombé au sol pour ne plus bouger et se vider de son sang.
J’ai juste eu le temps de me replacer que deux nouveaux adversaires m’arrivèrent dessus. Voyant ce qu’il était arrivé à leur collègue, ils m’attaquèrent plus prudemment, ce qui me convenait tout à fait. Percevant que Thregaz était en passe d’arriver, je me contentai de gagner du temps et d’éviter leurs attaques, me limitant à quelques feintes en retour, mais sans trop chercher à les attaquer afin d’éviter de me livrer et récolter des blessures.
Jurant et pestant contre un treillage magique qui n’était pas adapté à sa taille, Thregaz finit par nous rejoindre. Un écumeur du ciel, c’est plus doué pour descendre que pour grimper ! Et un troll en colère qui ne demandait qu’à en découdre, c’était trop pour le moral déjà éprouvé des orks : les survivants décampèrent prestement vers une porte ouverte au fond de la gueule du lion.
Nous attendîmes que les t’skrangs nous rejoignent puis nous avançâmes vers la porte empruntée par les fuyards, tous les sens aux aguets. Cette fois, nous étions à l’intérieur et les choses sérieuses allaient commencer.
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