Chapitre 21 : Dans l'antre du Mal
Nous étions désormais à pied d’œuvre. Nous nous étions introduits dans le kaer où l’Horreur qui nous avait marqués nous attendait. Pour autant, ses sbires ne semblaient pas nous faciliter le travail et s’opposaient à notre avancée. À moins qu’un troisième acteur se soit mêlé à notre petit jeu et veuille nous empêcher de la rejoindre. Nous pouvions nous perdre en conjectures tout notre saoul que cela ne nous ferait pas avancer.
Pour le moment, le but était simple : neutraliser tout ce qui se dresserait sur notre route, trouver l’Horreur – qui s’appelait Marlek d’après So’tek - et la tuer pour se libérer de sa marque. Une paille…
S’attendant à du vilain dans les prochaines salles, Gothzul et Thregaz reprirent la tête du groupe. Les faits leur donnèrent raison : à peine avaient-il franchis la porte par laquelle s’étaient engouffrés les fuyards qu’ils furent attaqués par un nouveau groupe d’orks, bien décidés à défendre l’accès à la salle suivante. Moins nombreux mais nettement plus compétents. Il y avait du lanceur de sorts et du guerrier bien méchant.
Le combat fut difficile et longtemps incertain. Je récoltai un paquet de blessures de la part d’un adversaire qui se joua de toutes mes attaques. On m’informa après coup qu’il s’agissait d’une illusion. De mieux en mieux… je vais me faire coucher par du vent maintenant ! Peu après, So’tek reçu un sortilège qui le mit hors de combat. Finalement, le reste du groupe finit par avoir raison de l’opposition et nous fumes vainqueur une fois de plus. Juste à temps, parce qu’une blessure de plus et j’allais nettoyer le sol avec ma belle veste.
Si le précédent combat avait été expédié, celui-ci avait été nettement plus rugueux et nous devions nous occuper de nos blessures avant de poursuivre. Nous étions bien conscients que nos ennemis allaient en faire tout autant et préparer leur défense mais mourir prématurément ne nous apporterait rien.
* *
Alors que le groupe pansait ses blessures et que So’tek reprenait ses esprits, la porte du fond s’ouvrit. Cela nous mit instantanément sur nos gardes et nous remballâmes rapidement nos affaires.
Une petite silhouette familière s’avança, suivie par huit cadavéreux. Les dangereuses créatures provoquèrent un net malaise mais c’est celui qui les menait qui monopolisa notre attention : un Roderick tout sourire qui nous regardait avec intérêt, comme s’il savourait l’effet de surprise.
Thregaz, Jeb et moi marquâmes un temps d’arrêt. Sachant que le vrai Roderick avait péri sous un nombre conséquent de cadavéreux, il ne pouvait pas être vivant. D’ailleurs, il avait le teint un peu terreux, sans être aussi blême que ses gardes. De même, ses habits étaient fripés et d’une propreté douteuse. Bref, on avait droit à un demi-cadavéreux. Comme si de rien n’était, Roderick s’adressa à nous et nous souhaita la bienvenue.
« Mes amis ! Comme c’est bon de vous revoir après tout ce temps. Je suis content de voir que vous allez bien. J’espère que vous n’avez pas eu trop de mal à trouver ? C’est vrai que c’est un peu en dehors des routes commerciales et que c’est assez mal indiqué, mais notre installation est assez récente.
Aucun doute. Vu son babillage incessant, c’était bien l’ancien troubadour de la compagnie. Devant notre absence de réponse, il en vint au cœur du sujet.
- Bon, je cause, je cause, mais j’en oublie l’essentiel : il y a un petit détail à régler et après on pourra tous aller se rincer le gosier avec le sentiment du devoir accompli. Normalement, vous avez un sabre en os à me remettre.
- Peut-être, répondit Thregaz d’un ton un peu hargneux. Mais nous, on y gagne quoi ?
- Oh ? Mais ce que vous voulez ! Tenez, vous pouvez prendre tout le matériel des orks morts et vous repartez tranquillement. C’est correct comme affaire, non ?
Depuis le début de la conversation, l’air de rien, So’tek avait commencé à tracer discrètement des cercles au sol.
Constatant notre incertitude, le nain poursuivit son boniment, ne prêtant aucune attention aux agissements du t’skrang. Je me demandai si le marché valait pour la meute de loups qui nous attendait en bas. Avant que j’aie eu le temps de poser la question, Jeb perdit patience, tissa rapidement un sortilège sous les yeux effarés de Roderick et lui expédia un bola de glace. Le nain couina de surprise et de douleur, puis il recula prestement et envoya les cadavéreux nous attaquer. Lui-même fit demi-tour et s’enfuit par là d’où il était venu.
Grâce aux deux cercles de vie tracés par notre nécromancien, les cadavéreux qui s’approchaient de nous subissaient des blessures magiques qui les éliminaient promptement. Gothzul et Thregaz taillaient joyeusement et Jeb y allait de sa magie. De mon côté, je m’interposais devant tout adversaire qui s’en prenait à Jeb, sans grande efficacité toutefois. Ce fut un combat maîtrisé et notre groupe ne reçut aucune blessure sérieuse, grâce à la présence d’esprit de So’tek. C’était heureux car nous avions été déjà bien affaibli par les combats successifs.
Nous reprîmes notre progression et passâmes la porte par laquelle avait filé Roderick. Un escalier en colimaçon nous mena au niveau inférieur. Nous arrivâmes dans une salle circulaire dépouillée de tout aménagement. Elle comportait quatre issues, en plus de celle par laquelle nous étions arrivés. La première était une lourde porte barricadée depuis l’intérieur, la seconde était explosée, les morceaux de porte tombés de notre côté, et les deux suivantes étaient de simples portes de bois, en mauvais état. Après une rapide exploration, il s’avérait que les deux dernières donnaient sur les quartiers des orks et sur une salle de sacrifice, sans grand intérêt.
Nous franchîmes ensuite la porte détruite et débouchâmes dans ce qui devait être un temple. La vaste salle abritait de nombreuses alcôves et trois fontaines, dont une d’eau élémentaire souillée. Grâce à leurs perceptions astrales, les t’skrangs détectèrent que deux alcôves disposaient d’un passage secret. La première était piégée et souillée, la seconde comportait des traces de nécromancie. Nous décidâmes de choisir la seconde, moins risquée.
Une fois actionné, le passage secret donnait sur un couloir étroit qui menait dans une salle au centre de laquelle s’empilait un tas de cadavres. L’odeur était peu engageante et l’ambiance des plus morbides. Méfiant, Thregaz commença à fouiller dans le tas de corps. À ce moment, Roderick en jaillit et blessa le troll. Furieux, ce dernier répliqua à grands coups d’épée, secondé par la magie offensive des t’skrangs. Face à la fureur du groupe, le nain n’avait aucune chance et il mourut, une fois de plus. En espérant que ce soit la dernière.
Une rapide fouille de l’endroit ne permit pas de découvrir quoi que ce soit d’intéressant. Ni quittâmes les lieux sans regret tant ils étaient lugubres.
Nous revîmes dans la salle des fontaines, face au passage secret que nous n’avions pas encore exploré. Celui-ci donnait sur un petit couloir qui menait à une haute porte ouvragée et qui suintait de magie.
« La porte est piégée » avait prévenu Jeb et il n’y eut pas de bousculade pour savoir qui l’ouvrirait le premier. Hormis Gothzul qui était en bonne forme, les autres traînaient la patte à cause de multiples blessures, moi y compris. Je n’avais pas non plus de quoi confectionner cinq pailles pour savoir qui s’y collerait. Nous nous entreregardâmes quelques instants.
« Jeb, Sotek ? Vous n’avez rien dans votre arsenal magique pour nous aider ? tentai-je.
- Contre ça, non. Je n’ai pas de sortilèges pour dissiper un sceau de garde, désolé Valérian, répondit Jeb. Quant à essayer de triturer dans la trame d’un truc aussi corrompu pour tenter de le neutraliser, c’est tout aussi risqué que d’ouvrir la porte.
- Pas mieux pour moi, ajouta So’tek en haussant les épaules avec une moue fataliste.
- Bon, on fait quoi alors ? demanda Gothzul, un brin excédé. On rentre chez nous.
- Ça, sûrement pas ! commenta Thregaz.
Cette fois, ce fut Jeb qui craqua le premier. Il posa la main sur la porte, actionna la poignée et poussa la porte alors que les autres reculaient de deux pas, sans trop savoir à quoi s’attendre.
L’Horreur se trouvait derrière. Dans une pièce de taille moyenne qui tenait plus du cachot que de la chambre luxueuse. Elle était à la hauteur de sa réputation et ressemblait à un énorme ver blanc doté d’une multitude de bras et de jambes qui sortaient de son corps d’un peu n’importe où. Mais elle ne semblait pas - elle non plus - au mieux de sa forme : son corps blême était entouré de barbelés qui meurtrissaient ses chairs et créaient des boursouflures suintantes du plus mauvais effet.
Nous captâmes cette vision le temps d’une seconde, car l’ouverture de la porte avait eu un autre effet : celui de déclencher le sceau de garde ! Un épais nuage noir se matérialisa au milieu du groupe, à l’image de celui qui avait déjà causé bien du mal à la compagnie au lac de Rhem. Si Gothzul et moi échappâmes à ses effets, il n’en fût pas de même pour les autres qui n’apprécièrent pas plus la rencontre que la première fois : So’tek cria de douleur, Thregaz grogna et Jeb s’effondra.
Alors que le nuage se dissipait, Marlek s’adressa mentalement à nous, une fois encore. Elle renouvela son offre de la vie en échange du sabre en os. Et elle se heurta, une fois encore, à un refus général et déterminé. Courroucée, elle nous bombarda d’une nouvelle attaque mentale qui nous fit cracher nos boyaux. L’attaque avait fait mouche car Thregaz s’écroula, victime de la blessure de trop. Pour ma part, j’étais au bord de l’évanouissement et la scène m’apparaissait floue. Loin de se rendre, Gothzul chargea la chose, soutenu par les sorts offensifs du nécromancien t’skrang qui n’était guère plus vaillant que moi. À deux et demi contre un truc comme cela, le combat semblait désespéré. Cela tombait bien : le désespoir en combat, c’est notre marque de fabrique !
Ne pouvant risquer la moindre blessure supplémentaire, je rangeai mon épée courte et pris mon arbalète. Fébrile et gravement blessé, je décochai un carreau qui ricocha sur la peau épaisse du monstre. Les sorts de So’tek peinaient également à trouver un défaut dans ses défenses magiques. Gothzul avait un peu plus d’efficacité avec son sabre, mais l’Horreur lui rendait coup pour coup. Pas évident que notre ork tienne la distance à ce jeu-là.
Malgré la tournure de la situation et mon impuissance, je sentis un calme inattendu m’envahir. Comme si la scène se déroulait au ralenti et me semblait lointaine. Face à la situation, je parvins à surmonter la douleur de mes blessures, puisant une résistance insoupçonnée les Passions savent où. Je rechargeai posément mon arme et visai calmement ma cible, faisant abstraction des enjeux et de mon état chancelant.
Une seconde d’éternité plus tard, un carreau meurtrier fusa et traversa l’œil droit de l’Horreur. Elle poussa un cri de douleur et se rejeta en arrière. Gothzul et So’tek profitèrent de l’ouverture pour lui délivrer, qui un énorme coup de sabre qui trancha chair et membres, qui un sort destructeur en pleine tête. Vaincue par l’accumulation des blessures critiques, Marlek s’effondra. Ne voulant prendre aucun risque, Gothzul abattit son sabre encore plusieurs fois sur le corps du gros ver blanc.
So’tek et moi nous laissâmes tomber à terre d’épuisement physique et nerveux. Nous échangeâmes un regard d’incrédulité heureuse : nous avions vaincus ! Nous allâmes ensuite vérifier l’état de Jeb et Thregaz. Tous deux étaient en vie. En mauvais état mais ils survivraient à leurs blessures.
Par miracle, la compagnie était toujours au complet !
Nous quittâmes les lieux et remontâmes au niveau du promontoire au niveau de la gueule du lion de pierre qui surmontait l’entrée du kaer. Respirer un air frais, non chargé de remugles de corruption fut déjà un soulagement pour tous.
* *
Nous prîmes quelques heures pour nous reposer, afin que tout le monde soit en état de se traîner ailleurs. Nous quittâmes bientôt le kaer du Lion, physiquement en piteux état mais moralement heureux après cette victoire arrachée à un destin que nous avons refusé collectivement. Et le fait que nous soyons tous en vie était la cerise sur le gâteau.
Gothzul semblait increvable (sauf quand il jouait à l’éclaireur…) et Thregaz avait une faculté de récupération impressionnante. Mais les deux t’skrangs et moi ne jouions pas dans la même catégorie et notre survie nous apparaissait miraculeuse. Même s’il était le dernier arrivé dans l’équipe et qu’il était moins concerné que nous par cet affrontement, So’tek s’était montré déterminant et tout aussi déterminé que nous.
Nous passâmes le reste de la journée à nous traîner dans la plaine caillouteuse. Par chance, il n’y avait aucune trace de la horde de loups qui nous avaient précédemment escortés.
En début de soirée, nous retrouvâmes Jorr et ses chiens. J’étais presque heureux de retrouver ces sales bestioles qui semblaient ne voir en moi qu’un casse-croûte potentiel au premier défaut de vigilance de leur maître. Le vieil éclaireur nous apprit que les nains avaient accepté d’aider Brindol et n’attendaient plus que le paiement. Comme il leur avait remis, ils s’apprêtaient à aller porter assistance à leurs alliés. En revanche, ils avaient modérément apprécié qu’il manque une pièce élémentaire. Jeb haussa un sourcil écailleux de surprise et baissa la tête, un brin penaud.
Peu après, nous établissions un rapide campement et l’équipe partait pour un concours de ronflements, veillée par le vieil éclaireur et ses cabots.
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