Chapitre 22 : Un retour contrarié
La nuit avait été calme, hormis quelques aboiements au loin. Le groupe avait bien profité de sa nuit de repos. Pas moi. Je me sentais toujours aussi faible et à deux doigts de tourner de l’œil. Heureusement que Jorr était là car, dans mon état, je ne valais pas tripette comme éclaireur.
À la mi-journée, un groupe de nuages de pluie décida de nous adopter et ne nous quitta plus. Thregaz demanda à Jeb s’il pouvait, à l’aide de sa magie, changer des nuages d’eau en nuage de bière. Le t’skrang, amusé, répondit par la négative mais promit d’y réfléchir.
J’étais en piteux état, mais pas au point de ne pas tenir compte de mes talents d’adepte. Cela faisait un petit moment que j’avais une méchante impression et quelques coups d’œil me confirmèrent qu’elle était fondée.
« Les gars, je vous informe que nous sommes suivis par un groupe de cavaliers, annonçai-je sur le ton de la conversation.
- Nombreux ? s’enquit Thregaz.
- Entre six et dix, je dirais.
- Tu sais qui c’est ? demanda à son tour Gothzul.
- Non, la pluie ne m’aide pas beaucoup. Mais, vu l’endroit, je ne pense pas que ce soit des amis.
- On fait quoi ? On accélère ? s’enquit So’tek.
- Compte tenu de notre état et de leur proximité, ça ne servirait à rien. Ils peuvent nous tomber dessus quand ils voudront, de jour comme de nuit. En plus, ils sont sans doute meilleurs cavaliers que nous, répliquai-je.
- Eh ! Cause pour toi mon gars ! s’énerva Gothzul.
- Sauf Gothzul bien sûr ! m’excusai-je. Pour ma part, je propose une embuscade pour s’en débarrasser.
Ils me regardèrent tous comme si un troisième œil m’était poussé au milieu du front.
- Toi, tu proposes un combat qu’on peut éviter ?! s’esclaffa l’ork.
- Et s’ils ne nous suivaient pas ? interrogea Jeb, prudent et désireux d’éviter une nouvelle brouille entre Gothzul et moi.
- Qu’est-ce qu’ils foutraient là sinon ? Et ils voyagent à la même vitesse que nous. Non, ce n’est pas une coïncidence. Et ils ne suivent certainement pas nous regarder rentrer tranquillement à Brindol.
- Et si nous utilisions une ruse ? intervint Thregaz.
Nouvel instant de stupeur dans le groupe, moi y compris. Thregaz qui veut ruser ?
- Tu penses à quoi ? lui demandai-je.
- Jorr continue avec toutes les montures et nous on se planque. Sans cavaliers, Jorr pourra aller plus vite, il les entraînera derrière lui et les distancera. Et nous, nous serons dans leur dos sur une autre route.
- S’ils ont un pisteur pas aveugle, il verra assez vite que les montures sont moins chargées et il en tirera les conclusions qui s’imposent, rétorquai-je.
- Pas sûr avec la pluie, intervint Jorr. Le plan de Thregaz peut marcher.
- Mouais ! Je ne le sens pas ce coup-là mais si vous êtes tous d’accord, on fera ça.
- Notre équipe n’est pas vraiment en état de tendre une embuscade, fit remarquer Jeb, non sans justesse.
- Sans doute, mais on ne sera pas en meilleur état le moment où ils nous tomberont dessus à l’improviste. Et nous aurons perdu l’avantage de la surprise. So’tek ?
- Je préfère le plan de Thregaz.
- Gothzul ?
- J’ai rien contre une bonne baston en temps normal, mais là, on n’a déjà tous eu notre dose. Alors si on peut éviter, je préfère.
- OK, c’est décidé. On va faire la ruse de Monsieur, conclus-je sans enthousiasme.
Nous appliquâmes donc le plan de Thregaz. Le groupe démonta et quitta le sentier pendant que j’effaçai nos traces, aidé par la pluie. Jorr nous confia également ses chiens afin de pouvoir accélérer si nécessaire. Nous nous cachâmes juste avant que nos poursuivants n’arrivent à notre hauteur. Ils étaient neuf orks : six wargs du crâne, un pisteur, un maître des animaux avec deux chiens et un cavalier monté sur une bête de la toundra corrompue. C’est sûr que même dans une embuscade, nous ne partions pas gagnants. Par chance, nous n’étions pas à proximité immédiate du chemin et la pluie nous évita de nous faire repérer par les chiens.
Nous marchâmes jusqu’à la tombée de la nuit en longeant la piste. En fin de journée, la pluie se lassa de nous mais le ciel resta bas. Je parvins à dégoter un endroit correct pour le campement et nous fîmes une halte bienvenue.
* *
Je fus réveillé par Jeb peu avant l’aube car les chiens étaient nerveux et semblaient flairer un truc dans une direction. Je partis discrètement de manière à arriver de flanc vers l’endroit qui affolait les chiens. Je finis par repérer une bestiole qui rentrait dans un terrier de belle taille. Elle ressemblait à un gros lézard avec des yeux qui donnaient l’impression de briller d’un feu intérieur. Cela me rappela vaguement une histoire ou un conte déjà entendu et j’identifiai le bestiau comme étant sans doute un basilic. Un truc très dangereux. Je repartis vers le camp encore plus prudemment que j’étais venu et réveillait tout le monde pour prendre notre petit déjeuner un peu plus loin.
La matinée se déroula sans accroc et le sol commençait à sécher, rendant notre progression moins pénible. J’espérai qu’il n’était rien arrivé à Jorr et que nos poursuivants avaient perdu notre piste. Mais la présence du maître des animaux et des deux chiens continuait à m’inquiéter.
À la mi-journée, je remarquai un cadavre au milieu de la piste que nous longions de loin. Accompagné de Jeb et de Gothzul, j’allai prudemment y jeter un œil. Il s’agissait de l’un des wargs du crâne qui nous poursuivaient et il avait été tué de plusieurs coups d’épée. Avaient-ils rattrapés Jorr ? Les traces étaient nombreuses autour, mais je n’y décelai nulle indication d’un combat. Perplexes, nous reprîmes notre route.
Au cœur de la nuit suivante, nous fûmes attaqués par le groupe d’orks. Ils avaient retrouvé notre piste et nous assaillirent à l’improviste, de nuit. Bref, exactement ce que j’avais craint. Pour une fois, j’avais eu raison de choisir l’option combat. Mais il y avait peu de chances que je puisse m’en vanter : blessés, surpris, mal protégés et en sous nombre, mes compagnons et moi-même n’étions pas en position de remporter un tel combat. Cela risquait même de tourner au massacre.
So’tek s’effondra dès le début. Assaillis de toutes parts, nous ne pouvions le protéger comme à notre habitude afin qu’il puisse tisser ses sortilèges. Le reste du groupe, aidé par les chiens essaya de faire face. Alors que je faisais déjà face à un adversaire, la bête de la toundra me renversa et me blessa cruellement. Mal en point, je parvins à me relever à temps avant que mon adversaire ne profite de la situation. Il s’ensuivit une mêlée confuse où les blessures s’accumulèrent des deux côtés sans avantage réel. Toutefois, c’est la fraîcheur physique qui allait faire la différence. Quelques passes d’armes plus tard, Thregaz tomba sous l’accumulation des blessures, suivit quelques secondes plus tard par Jeb.
Il ne resta plus que Gothzul et moi. L’ork tenait le centre et monopolisait l’attention de nos assaillants. Contraint à la défensive par le nombre d’adversaires, notre guerrier ne parvenait que rarement à les blesser. Pour ma part, après être parvenu à terrasser mon ork, j’assaillis le maître des animaux et parvint à le blesser. Alors que je m’apprêtais à enchaîner une nouvelle attaque pour profiter de mon avantage, je fus heurté une seconde fois par la monture du cavalier ork. Mon corps décida que cela faisait trop pour lui et je sombrai à mon tour dans l’inconscience…
* *
Nouveau réveil douloureux. Cela devenait une habitude des plus déplaisantes mais, à tout prendre, c’était quand même mieux que pas de réveil du tout.
J’entendis les autres chuchoter entre eux et je me joignis à la conversation. La situation était assez étonnante : nous étions tous en vie et au sec. Nous nous trouvions dans ce qui pouvait passer pour une chambre et des bandages assez sommaires avaient été faits sur nos blessures. Mes compagnons m’informèrent que nous étions à l’auberge de Daoss. Les premiers réveillés avaient perçus des bribes de conversation entre des orks qui étaient passés dans le couloir.
Nous en étions à émettre toutes sortes d’hypothèses sur notre sort futur lorsque nous entendîmes les orks présents dans la salle du bas faire un raffut tel que nous avions l’impression qu’ils s’étripaient. Alors que le vacarme diminuait peu à peu, la porte s’entrouvrit et un vieil ork entra discrètement. Visiblement un combattant vétéran. Après nous avoir jeté un rapide coup d’œil, il déclara qu’il nous prenait désormais en charge et qu’il nous emmenait à son maître, Karak Œil-de-sang. Ce dernier avait des informations à nous communiquer. Voilà une tournure de phrase étonnante. Il nous aurait dit qu’il avait des questions à nous poser avant de nous tuer, j’aurais compris. Mais là…
Un rapide coup d’œil à mes compagnons d’infortune me permit de constater qu’ils étaient aussi perplexes et curieux que moi. Nous avions peut-être une chance de nous en tirer finalement.
Il nous laissa là jusqu’au lendemain, afin que nous récupérâmes un peu de nos blessures. Nous quittâmes ensuite l’auberge, non sans remarquer que nos anciens gardes avaient disparus et qu’il y avait de belles gerbes de sang ici et là dans la salle principale. Il y avait visiblement des dissensions chez nos adversaires et cela allait peut-être nous profiter.
Mourgo – le vieil ork – nous escorta avec un détachement vers Brindol. En fin de journée, nous aperçûmes la ville assiégée qui tenait encore bon. Nous traversâmes l’armée orke à la nuit tombée, alors qu’elle se repliait pour prendre ses quartiers du soir et lécher ses blessures. Si j’avais été général ork, c’est la nuit justement que j’aurais lancé mes forces à l’attaque afin de profiter de l’avantage de la vision nocturne de mes troupes. Mais bon, ils devaient savoir ce qu’ils faisaient.
Nous continuâmes à voyager pendant une heure en direction du sud et atteignîmes une ferme isolée et partiellement en ruines. L’intérieur était chichement éclairé de quelques bougies et occupé par un groupe d’orks. Nous y rencontrâmes Karak Œil-de-Sang. Trapu, imposant et balafré, il dégageait à la fois une impression de force brute et de lassitude. Il nous observa un moment d’un regard incisif, puis entama la discussion d’une voix rauque.
« Vous voilà enfin ! Vous m’avez causé bien des soucis et cela fait déjà un bon moment que j’ai l’ordre de vous neutraliser. Je vous ai enfin à ma disposition, mais la situation a changé et je pense que vous pouvez désormais m’être utile.
Nous étions intrigués par ses propos et nul ne pipa mot, attendant la suite de son exposé.
- Il faut que je vous explique la situation, poursuivit-il. Je ne suis plus le véritable chef de notre armée car j’ai été ensorcelé - ainsi que les autres orks - par les mensonges et les sortilèges d’une sorcière du nom de Shaërul Verbe-clair. Pour ce que j’en sais, c’est une adepte troubadour martial. Je me planque depuis plusieurs jours ici afin d’échapper à son influence et je ne veux plus la suivre ! Tout cela va trop loin ! Je n’aime ni ses fréquentations, ni ses intentions. Elle fraye avec des Horreurs et d’autres saloperies du même genre.
Là, pour le coup, nous étions assez estomaqués par l’évolution de la situation.
- Et qu’attendez-vous de nous ? m’enquis-je
Surpris d’être questionné par un misérable humain - en piteux état qui plus est - Karak me jeta un regard noir mais répondit toutefois.
- Je sais où elle se terre et je veux que quelqu’un nous en débarrasse.
- Pourquoi ne pas intervenir vous-même ? questionna Gothzul.
- Tout d’abord, je ne sais pas trop à qui je peux faire confiance parmi mes hommes. Personne ne bronche pour l’instant, mais si je demandais à mes hommes de l’attaquer, certains se retourneraient peut-être contre moi. Vous, je suis sûr qu’elle ne vous a pas déjà ensorcelé. En plus, elle est bien entourée et je ne suis pas certain de réussir une telle attaque. Vous, elle ne vous verra pas venir et je peux vous sacrifier sans qu’elle fasse le lien avec moi.
- Comme c’est gentil ! commenta doucement So’tek.
- C’est bien beau tout ça, mais on y gagne quoi à tenter votre mission suicide ? contrai-je. Pour nous, que l’armée orke soit commandée par elle ou par vous, ça reste une armée orke qui attaque le Val.
Il se pencha vers nous et répondit lentement, en pesant chaque mot :
- Si vous me débarrassez de Shaërul, je reprends en main la horde et je lève le siège. J’en ai marre de cette guerre qui a déjà coûté la vie de beaucoup trop de monde, et surtout trop d’orks.
- Qu’est-ce qui nous prouve que vous tiendrez parole ?
- Rien du tout, petit humain ! Mais avez-vous vraiment le choix ? Si tu ne veux pas y aller, tu ne me sers à rien. Et si tu ne me sers à rien…
Je ne lui en voulus pas de ne pas finir sa phrase.
Je consultai du regard les autres et tous semblaient plutôt d’accord. Et, comme l’avait souligné Karak, nous n’avions pas vraiment le choix.
- Très bien, nous acceptons. Mais nous ne sommes guère en état de faire des étincelles en combat.
- Ah ! Ça c’est sûr ! répondit le chef ork d’un ton amusé. En gage de bonne volonté, je vais mettre ma guérisseuse personnelle à votre disposition ».
Il semblait donc que nous étions en selle pour une nouvelle mission. Et pour le compte des méchants qui avaient trouvés plus méchants qu’eux.
Décidément, tout le monde s’arrachait nos services.
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