Chapitre 23 : Shaërul Verbe-Clair

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 Karak Œil-de-Sang tint parole. Il nous fit emmener dans la grange de la ferme où nous pourrions tranquillement nous reposer, nous rendit nos affaires et nous envoya sa guérisseuse. Une vieille ork, questrice de Garlen, se présenta bientôt et nous examina sous toutes les coutures ; elle nous prodigua ensuite des soins avec patience et concentration.

 Le traitement se révéla très efficace. Après une bonne nuit de sommeil et un baume de soins pris sur les réserves de So’tek, je me trouvai le lendemain dans une forme que je n’avais pas connue depuis longtemps.

 Mourgo continua de nous servir de guide et nous emmena vers le campement de Shaërul, situé à une journée de marche. En milieu de journée, des nuages de pluie s’accrochèrent de nouveau à nos basques. Et ils avaient de gros copains cette fois.

 Pour désagréable qu’elle fut, cette pluie serrée allait servir nos intérêts et masquerait notre approche. Revers de la médaille : il me semblait difficile de faire une vraie reconnaissance du camp dans ces conditions.


* *


 À l’approche du campement, nous trouvâmes un coin abrité et Mourgo nous en fit un dessin sommaire mais précis dans la boue. Deux bâtiments allongés se faisaient face, de part et d’autre d’un ruisseau, au milieu d’une clairière vaguement ovale qui faisait approximativement cinquante mètres par cent. Il y avait également six tours de guet placées de manière à couvrir toute la clairière. Celle-ci était bordée par la forêt sur trois côtés et par une petite falaise sur le quatrième. Fort de ces éléments, je partis avec Gothzul pour faire une reconnaissance depuis la falaise. Sa vision nocturne d’ork allait m’être précieuse pour avoir une vue d’ensemble et connaître les effectifs ennemis.

 Les six tours de guet étaient occupées et il y avait deux patrouilles de deux orks qui tournaient au milieu du camp. Plus deux autres orks qui gardaient des prisonniers attachés au milieu du ruisseau. Il fallait mettre au point un plan à base de diversion et de synchronisation. Bref, un truc qui avait toutes les chances de foirer dans les grandes largeurs.

 Nous rejoignîmes les autres et les informèrent de nos observations. Enfin, surtout celles de Gothzul, parce que l’éclaireur humain, de nuit, sous une pluie diluvienne, il n’y voyait pas à quinze mètres.

 Dans le bâtiment que nous avions identifié comme étant celui des chefs, il y avait une porte tournée vers la forêt. Il faudrait faire quinze mètres à découvert en prenant le risque d’être vu depuis au moins deux tours de guet et par les orks qui patrouillaient.

 La diversion était donc indispensable, et si possible sans que cela réveille tout le camp car l’idée était de neutraliser Shaërul dans son lit. En effet, j’avais insisté sur le fait que nos chances seraient nettement meilleures si une adepte troubadour n’avait pas le temps de parler. Compte tenu qu’elle était capable de mettre à sa botte des clans entiers d’orks, je ne donnais pas cher de nous si nous prêtions l’oreille à ses discours.

 Quant à la diversion, So’tek proposa d’utiliser sa magie pour attirer des prédateurs nocturnes. Son choix se porta sur des vers krill : des saloperies qui ressemblaient à un gros ver d’une trentaine de centimètres mais avec des ailes de chauve-souris et une bouche garnie de crocs. En gros, exactement ce qui nous fallait pour foutre la merde sans que ça pue trop la diversion.

 Le plan semblait plutôt correct et il fut décidé de le mettre en place sans plus tarder. Le nécromancien trouva un groupe de vers krill et les envoya emmerder l’ork d’une tour de guet située assez loin. L’effet ne se fit pas attendre : le garde beugla comme un damné, ce qui ne manqua pas d’attirer l’une des patrouilles et les autres sentinelles se tournèrent dans la direction d’où venait l’agitation.

 J’en profitai pour foncer vers la porte et m’introduire discrètement dans le bâtiment. Je pénétrai dans une vaste pièce qui servait à la fois de dortoir et de salle de repas. Par chance, elle était déserte. Je fis signe aux autres de me rejoindre. Thregaz et Gothzul arrivèrent bientôt mais les deux t’skrangs étaient plus loin et ils durent se camoufler pour éviter la seconde patrouille qui approchait.

 C’est le moment que je choisis pour me prendre les pieds dans un tapis, du fait du peu de lumière ambiant, et aller me vautrer bruyamment, emmenant une table avec moi et provoquant un fracas tout à fait inapproprié. Les deux orks approchèrent du bâtiment, intrigués.

 Les deux t’skrangs en profitèrent pour arriver dans leur dos et, aidés de Gothzul, ils neutralisèrent prestement les deux gêneurs, puis dissimulèrent leurs corps dans la pièce. Pendant ce temps, Thregaz et moi poursuivîmes notre inspection et passâmes dans la pièce suivante.

 C’était une chambre, certainement celle de Shaërul à en juger par les affaires et les vêtements féminins. Nous ne nous y attardâmes guère car la trappe ouverte dans le plancher indiquait précisément où étaient passés l’occupante des lieux.

 Alors que le reste de l’équipe nous rejoignait, Thregaz et moi entamâmes la descente de l’escalier en colimaçon avec prudence mais détermination. Il était tout de même peu probable que l’escalier soit piégé.


 Après une bonne cinquantaine de marches, nous arrivâmes dans une vaste salle souterraine. Tout ceci semblait ancien et laissait à penser que la cabane avait certainement été construite volontairement dessus. Plus loin, il y avait des voix lancinantes et des lueurs. Une fois le groupe à nouveau au complet, nous avançâmes en nous déployant.

 Nous tombions en plein rituel, avec nécromancien, cercle de crânes et tout le reste. Les protagonistes s’interrompirent à notre arrivée. Il y avait une mince et avenante trolle – certainement Shaërul – deux gardes humains, un ork et un archer sylphelin.

 La discussion s’engagea immédiatement entre Thregaz et Shaërul qui semblaient bien se connaître. Tiens, tiens… Monsieur nous avait fait des cachotteries ! Les propos étaient assez allusifs et évoquaient des événements inconnus du reste du groupe, antérieurs à notre rencontre avec Monsieur. D’après ce que j’en compris, la jeune troll et Thregaz étaient les seuls survivants d’un même clan et il cherchait à obtenir des informations sur ce qui s’était passé le jour où tout le clan s’était étripé. Et comme je l’avais craint, la voix de Shaërul avait des effets perturbants sur notre ami qui semblait désormais hésitant et nettement moins vindicatif.

 Comprenant également la situation, Gothzul s’avança vers la troubadour trolle mais un garde s’interposa. Sans hésiter, l’ork frappa l’humain et déclencha un combat généralisé, comme si chacun n’attendait qu’un geste pour sauter sur ceux d’en face.

 Pour ma part, je fonçai immédiatement sur le sylphelin que j’avais identifié comme le pénible de première bourre, hormis Shaërul. La facétieuse créature esquiva mon assaut et se mit rapidement hors de portée en s’envolant vers le plafond d’où elle pouvait décocher ses flèches. Exactement ce que je voulais éviter. Cette petite raclure nous causa quelques soucis jusqu’à ce que So’tek s’intéresse à son cas et lui fasse faire connaissance avec son sort de Danse des os.

 Dans la salle, le combat fit rapidement rage et Thregaz semblait l’homme… enfin le troll… à abattre pour ceux d’en face. Certains ennemis nous occupaient pendant que les autres se concentraient sur notre écumeur du ciel. Il écopa de plusieurs blessures, y compris celle, vicieuse, d’un adepte voleur ork qui jaillit des ombres pour le blesser cruellement de dos. Même s’il distribuait également, Monsieur n’était pas dans son meilleur jour, sans doute déjà ensorcelé par Shaërul. Il y eut la blessure de trop et le troll tomba dans l’inconscience.

 La trolle utilisait ses talents pour nous affaiblir individuellement, à tour de rôle, par des sarcasmes qui minaient notre concentration et notre efficacité. La trolle menant le camp d’en face, nous décidâmes d’utiliser sa tactique et de concentrer notre action sur elle. Après quelques assauts de Gothzul, bien épaulé par la magie des t’skrangs et plus modérément par mes modestes attaques, Shaërul consentit à tomber dans l’inconscience. Comme nous l’avions espéré, une fois la chef à terre, les autres adversaires se dispersèrent rapidement et fuirent la zone.

 Nous sécurisâmes les lieux et nous occupâmes consciencieusement de la troubadour trolle qui se retrouva bientôt attachée et bâillonnée. Il n’était plus question de la laisser nous influencer.


* *


 Peu après, Thregaz reprit connaissance en grognant. Il n’était pas particulièrement ravi de s’être fait manipuler et d’avoir été obligé de manger la poussière une fois de plus. Nous décidâmes d’interroger Shaërul par écrit. Elle fit bien évidemment des difficultés au début, mais elle comprit assez rapidement qu’elle n’avait pas trop le choix. Elle nous expliqua qu’elle avait été formée secrètement par son père, au sein de son clan. Elle avait utilisé ses talents de troubadour et sa magie pour déclencher un combat de masse au sein du clan et provoquer une extermination complète. Seul Thregaz y avait échappé car absent ce jour-là.

 Depuis, l’écumeur du ciel avait cherché partout Shaergraz (le vrai nom de Shaërul) pour connaître la vérité. Elle nous expliqua ensuite que les Horreurs faisaient partie de la vie et qu’elles étaient là pour nettoyer le monde afin qu’il puisse renaître au cycle suivant, que nous ne faisions que lutter contre l’inéluctable, que nos efforts pour nos petites vies étaient pitoyables, etc. Le discours habituel pro-Horreur.

 Bref, nous avions une nouvelle fanatique endoctrinée à la même école que l’autre abruti de danseur caudal t’skrang du lac de Rhem. Et elle nous servait la même soupe. Suite à nos questions, elle nous informa aussi qu’elle n’était pas capable d’asservir les Horreurs et que c’était le boulot d’un certain Tyrlaan, un nécromancien elfe qui s’était rallié à ses desseins.

 Shaergraz étant, avec lui, la dernière survivante du clan Garnaz, Thregaz ne put se résoudre à la tuer. Cependant, pour indiquer ses actions déshonorantes, il décida de lui couper les cornes. Cette action avait sans doute plus d’importance pour l’écumeur du ciel que pour la troubadour qui était visiblement loin des questions d’honneur.

 Pendant ce temps, j’attirai l’attention des t’skrangs sur la nécessité de lui ôter l’attirail magique qu’elle portait sans doute sur elle. En effet, un sort de détection et quelques manipulations plus tard, un petit tas d’objets avait rejoint leurs sacs à dos. À examiner plus tard. Nous décidâmes d’emmener la trolle avec nous, en cadeau à Karak.

 À l’extérieur, c’était la panique. D’autres vers krill étaient venus se joindre à la fête, puis une femelle. Et là, ce n’était plus la même histoire, car madame faisait presque la taille d’un troll, avec ailes, tentacules et tout le bazar. Bref, c’était un sacré foutoir, et le fait que la patronne n’était plus là pour donner des ordres dans le camp n’arrangeait rien. Et plus encore si les fuyards avaient répandu l’info qu’elle avait été capturée.

 Assez rapidement, les orks fuirent le camp. Nous en profitâmes pour libérer les prisonniers. Et parmi ceux-ci, Gothzul découvrit son père. Là, ça commençait à faire beaucoup. Après la trolle du même clan que Thregaz, voilà le père de notre ork qui arrive en plein milieu. Je commençais fortement à douter que notre présence au milieu de ce bazar soit vraiment un hasard. Et je me dis également que mes compagnons étaient vraiment de vilains cachottiers…

 Nous retrouvâmes Mourgo Blanches-blessures. Il fut assez étonné que nous revenions avec la trolle. Selon lui, notre mission consistait à la tuer. Nous la lui remîmes en lui disant qu’il pouvait en faire ce qu’il voulait. Une seconde plus tard, l’épée de l’ork transperçait le corps de Shaergraz. Deux secondes de plus et elle séparait la tête du corps. Mourgo ramassa la tête et partit la porter à Karnak après un rapide remerciement. Il nous conseilla, toutefois, d’attendre un jour ou deux avant de rejoindre Brindol. Le temps que Karak reprenne en main ses troupes et que le reste se disperse.

 Nous décidâmes de repartir au camp de Shaergraz pour y patienter. C’était un endroit qui en valait un autre et nous avions tout sur place : maison, nourriture et lit. En espérant que les vers krill n’y aient pas élu domicile.

 Et en espérant surtout qu’un certain Karak Œil-de-sang tiendrait parole.

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