Chapitre 28 : Le clan des Cornes Tordues

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 Alors que nous cheminions vers Fort Vräss, je remarquai que nous étions entrés dans le premier jour du Temps Sacré, une période de cinq jours hors du calendrier qui sont généralement des moments de fêtes. Malheureusement, les nuages du coin semblaient avoir une idée assez personnelle de ce qu'était une fête… ou alors ils avaient tous décidé de faire la fête avec nous. Le fait est que, quelques heures après le début de notre équipée, il pleuvait comme stajian qui pisse et on ne voyait guère à plus de vingt mètres.

 Je parvins à trouver un abri de fortune pour nous protéger du déluge. Mes quelques connaissances climatologiques me laissaient penser que ces pluies risquaient de durer quelques jours, de manière plus ou moins abondante. Bref, ce n'étaient pas ce que j'appellerais des conditions optimales pour faire de l'exploration en extérieur.

 Thregaz nous informa que nous n'étions qu'à quelques heures du clan troll des Cornes Tordues et que ça pouvait être un coin sympa pour attendre que le temps se calme. Par ailleurs, nous avions prévu de nous y rendre afin de faire connaissance avec nos voisins.

 J'avais un assez mauvais souvenir du dernier camp troll qui nous avait offert l'hospitalité. Cependant, on pouvait espérer que celui-là ne serait pas sous la coupe d'une Horreur. Je me ralliais donc au reste du groupe et la proposition fut adoptée à l'unanimité.

 Génial… une semaine de vacances dans un village troll ! Dire que j’étais modérément enthousiaste était un euphémisme, mais il fallait faire un peu de relationnel avec nos voisins de l’est.

 Sur le trajet, nous aperçûmes un groupe d'espagras. Même s'ils n'avaient pas l'air corrompus par une Horreur, ce genre d'animaux restait dangereux. Par chance, ils ne semblaient pas apprécier plus que nous cette pluie soutenue et restèrent sagement dans leur nid.


*  *


 Grâce aux informations données par Monsieur, je parvins à guider un groupe complètement trempé au camp troll. L'accueil de nos hôtes fut partagé : chaleureux pour Thregaz, assez distant pour les autres. Nous n'échappâmes pas au rituel d'arrivée et chacun dû faire la démonstration d'un talent artistique. Jeb, Gothzul et So'Tek s'en sortirent plutôt bien et firent bonne impression. Pour ma part, j'essayai un peu de comédie et quelques histoires drôles qui ne remportèrent qu'un succès très mitigé, tout juste suffisant pour être accepté au village. Thregaz, de son côté, rata sa sculpture mais les trolls ne semblèrent pas y attacher d'importance. Pfff ! Pistonné, va !

 Ce rituel remontait à l’arrivée des Horreurs, lorsque les habitants de Barsaive s’aperçurent que les personnes corrompues ne parvenaient plus à maintenir un niveau de discipline suffisant pour accomplir un travail précis et élaboré. Dès lors, chacun s’appliqua à développer un talent artistique afin de démontrer, lorsque que cela était nécessaire, qu’il n’était pas corrompu. Même si la pratique artistique ne protégeait en rien de la corruption des Horreurs, elle avait le mérite de permettre de séparer le bon grain de l’ivraie.

 Cette coutume se pratiquait beaucoup à l’entrée des kaers, puis des villes et villages une fois les refuges abandonnés. L’étranger devait prouver qu’il n’était pas une menace pour une communauté avant d’y être admis. Chacun faisait alors la démonstration de ses talents de sculpture ou de dessin, mais aussi de poésie, de chant ou de danse. Ce rituel renforça beaucoup la Passion d’Astendar qui était la protectrice des arts. Elle gagna une place de choix dans tout temple des passions digne de ce nom. L’arrivée d’étrangers était donc toujours l’occasion d’un moment assez récréatif, mais attentif. Et malheur à l’artiste maladroit…

 Une fois cette formalité remplie, nos hôtes nous attribuèrent une grosse tente pour nous quatre, les non-trolls. Thregaz resta avec ses potes trolls mais revint bientôt pour nous annoncer qu'une fête serait organisée le soir et le lendemain en notre honneur et pour célébrer le Temps Sacré.

 Après nous être installés, nous profitâmes d'une brève accalmie des cieux pour faire une visite au drakkar volant du clan. C'était indéniablement du bel ouvrage, fonctionnel et solide. Je ne pus m'empêcher de frissonner en repensant que la dernière fois que j'en ai vu c'était lorsque Roderick tomba sous la masse de cadavéreux.

 Au retour, Monsieur nous présenta le vieux chef du clan, Warkle Brise-Côte. Préalablement à la rencontre, notre ami nous informa que Warkle était le premier troll du clan qu’il avait rencontré. Après que nous ayons détruit le pont sur la faille devant le nez de la horde de Karak Œil-de-Sang, pendant que je gardais à l’œil les orks et que le reste du groupe rentrait au Bac de Drelyn, l’écumeur du ciel était revenu sur le sentier où nous avions trouvé des traces de troll. Il l’avait remonté jusqu’à tomber sur une cabane branlante et rencontra alors Warkle Brise-Côte.

 Autrefois chef des Cornes tordues, Warkle avait dû s'exiler après qu’Amery Deux-fois-Maudit lui ait coupé les cornes au terme d'un assaut manqué des écumeurs trolls contre la garnison de Fort Vräas. Il avait tout de même eu le temps de participer à la vengeance des trolls, qui s'était soldée par la destruction du fort, le massacre de la garnison naine, et également la destruction des drakkars du clan.

 Amery avait conservé les cornes sectionnées du troll en trophée et les avait stockées avec ses autres trésors. Par chance, Thregaz les avaient récupérées lorsque notre groupe tomba sur le bric-à-brac de l’ancien propriétaire du fort. Warkle, devenu âgé, fût très reconnaissant à Thregaz de lui rendre ses cornes, ainsi que son honneur. Il retrouva rapidement le goût de vivre et il a ainsi pu retourner dans le clan où il retrouva son poste de chef après la mort de Fogruk Dent-de-Cristal pendant la bataille de Brindol.

 Toutefois, selon Thregaz, le vieux Brise-côtes était le chef du clan, mais tous savaient que ce n'est qu'une distinction honorifique, sa sagesse ayant été malmenée par son grand âge et ses années d'exil.

 Après quelques échanges de politesses et d'informations, Warkle nous prévint de la présence d'élémentaires de l'air vers l'est. Voilà qui était de nature à attiser la curiosité de Jeb pour le reste de la journée. Nous fîmes également la connaissance de Chondorak-le-Nuageux, le chef de guerre et questeur de Thystonius, la Passion de la bravoure et des défis physiques. Encore un gars adepte de la délicatesse…


*  *


 Alors que la journée avançait vers son terme, les guerriers et chasseurs rentrèrent au camp et l’activité augmenta graduellement pour satisfaire aux préparatifs de la soirée.

 La petite fête fut, somme toute, assez sympathique et les trolls nous acceptèrent progressivement. Mes chansons rencontrèrent un peu plus de succès que mes histoires drôles. Néanmoins, ça manquait de filles. Enfin… de filles humaines parce que côté trollettes, il y avait tout ce qu'il fallait. Certaines étaient mêmes étonnamment mignonnes. Avec quelques décimètres et quelques crocs de moins, je n'aurais pas dit non. Mais si je ne pouvais trouver chaussure à mon pied dans ce camp, il ne devait pas en être de même pour Thregaz. Pourtant, notre écumeur ne semblait guère prêter attention à ce genre de chose.

 Cela en était presque un affront à Astentar et l’occasion était belle de remplir un peu mon rôle de questeur. Même si je reconnaissais l’existence de toutes les autres Passions, celle des arts et de l’amour avait, très tôt, eu ma préférence. En tant que chantre d’Astendar, je me devais donc d’inspirer également mon entourage.

 Il me semblait que le moment était idéal pour recourir à mon talent de chant émouvant, que j’avais trop peu l’occasion d’utiliser. Celui-ci me permettait d’éveiller des sentiments parmi mon auditoire et de les diriger vers le sujet de ma chanson. Ainsi, je me lançai dans une ballade improvisée de nos dernières aventures et j’utilisai ce talent à chaque fois que je vantais les prouesses de Thregaz, en me concentrant sur les jeunes trolles.

 C'était la première fois que j'utilisais ce pouvoir de cette manière et je ne savais pas trop quoi en attendre. Les effets allèrent au-delà de mes espérances puisque six jeunes trolles papillonnèrent autour de Monsieur avant la fin de la soirée et parvinrent à l'entrainer dans une autre tente.

 Je m’accordai un discret sourire de satisfaction. Je ne serai plus le seul à subir les quolibets des autres sur mes frasques amoureuses.

 Le lendemain matin, lors d’un petit-déjeuner assez tardif, nous apprîmes que notre ami avait visiblement assuré comme une bête car il avait reçu quatre demandes en mariage. Les promisses s’appelaient Chiran et Afiriz, toutes deux filles de Fogruk Dent-de-Cristal, Haalilla et Weran. Nous découvrîmes ainsi que, chez les trolls, c'est la femme qui fait la demande. Et que la taille de la cellule familiale n’était pas vraiment limitée puisqu’il pouvait dire oui à toutes. Visiblement, Monsieur avait fait beaucoup de promesses pendant la nuit mais il n'en conservait aucun souvenir. À cette vitesse-là, le clan de Thregaz serait vite reconstitué… Respect Monsieur !


*  *


 L'après-midi, nous fûmes amicalement conviés à participer à un combat à main nue contre des trolls du village. Ils avaient un sens de l'hospitalité assez particuliers nos amis trolls. Se foutre sur la gueule pour montrer qu'on est potes, c'est assez… heu… troll comme raisonnement ! Surtout pour moi et mes amis t'skrangs, c'était juste complètement déséquilibré. Mais bon, on se devait d’y aller pour ne pas les fâcher. Selon Thregaz, c'était un honneur et refuser serait un signe de lâcheté.

 Bah, je serai peut-être un humain avec un bras ou une jambe en moins ce soir, mais je serai tout boursoufflé d'honneur !

 Sans grande surprise, Jeb et So'Tek se firent éliminer au premier tour alors que Thregaz et Gotzul expédièrent leurs adversaires. Pour ma part, j'avais bien compris que si le troll en face me touchait, ça allait être douloureux. Donc, je misai tout sur ma mobilité et mon esquive, jusqu'à trouver un moment où mon adversaire était en déséquilibre pour pousser là où il fallait afin de le mettre au sol.

  À ma grande surprise, ma tactique fonctionna et je passai le premier tour. C'était inespéré ! Et le pire, c'est que j'allai également gagner les deux combats suivants de cette manière, bien que mes adversaires devenaient plus méfiants et qu'il s'en fallut d'un rien à chaque fois. Même si mon style n'était pas du goût de tous les spectateurs, je notai un début de soupçon de commencement de respect à mon égard.

 Mais ça se compliqua ensuite : en demi-finale, je rencontrai… Thregaz ! Je me dis que ce que j'avais fait à ses potes pouvait aussi marcher sur lui. Toutefois, il était hors de question que Monsieur perde devant son clan - et ses nouvelles épouses - face à un humain, et même pas un guerrier en plus ! D'un autre côté, si Thregaz soupçonnait que je triche pour le laisser gagner, je risquais de le vexer et de me prendre une vraie rouste, pour le coup. Toute la subtilité allait donc être de perdre mais sans que cela se voit.

 Grâce à mes petits talents de comédie, je parvins à embobiner tout le monde et je tombai avec les honneurs. Après tout, le résultat était logique pour tout le monde et je doutai que j'aie pu gagner de toute manière.

 La finale opposa Gothzul à Thregaz. À la surprise générale, au terme d’une lutte acharnée, l'ork envoya Monsieur au tapis et rafla le titre de vainqueur. Malgré tout, tout le monde fut content et les trolls allèrent féliciter un Gothzul ravi.

 Nous profitâmes de l'hospitalité du clan pendant cinq jours. Thregaz et Gothzul ne s’ennuyèrent pas un instant mais le temps sembla plus long pour les t’skrangs et moi-même, même si je finis par avoir un certain succès auprès des jeunes trolls avec mes musique et mes histoires d’aventures.


*  *


 Au sixième jour, les nuages se décidèrent – enfin ! - à aller jouer ailleurs, ce qui nous permit de nous remettre en marche vers le camp où nous avions laissé le mastrylith et ses chaperons.

 Au terme d’un jour de voyage, une fois sur place, force nous fut de constater qu'il n'y avait plus personne et cela n’augurait rien de bon. Je parvins aisément à suivre les traces du mastodonte et de son escorte et nous nous lançâmes à leur poursuite.

 Après une demi-journée de poursuite, nous repérâmes un feu de camp. J’allai en éclaireur avec Gothzul et nous découvrîmes un groupe d'écorcheurs orks avec des blessés. Estimant que nous étions de taille à faire face à la menace, nous rejoignîmes les autres puis approchâmes du campement ork. Gothzul et Thregaz parlementèrent assez calmement avec eux. Le chef des écorcheurs demanda simplement le droit de rester là pour soigner ses blessés et de pouvoir repartir ensuite. Ils furent assez évasifs sur ce qui avait provoqué ces blessés.

 L’ayant déjà vu accomplir ce genre de magie, je demandai à Jeb d’adopter sa forme de faucon afin de remonter la piste des orks pour en apprendre plus. L'élémentaliste revint une heure plus tard sans avoir noté quoi que ce soit d'important où qui puisse expliquer un affrontement. Étrange…

 Après quelques hésitations, nous décidâmes de laisser les orks tranquilles et nous repartîmes vers la plaine.


*  *


 En fin de journée, nous parvînmes à retrouver le mastrylith et ses escorteurs, dont quatre étaient blessés. Les miliciens du Bac furent très heureux de nous voir car il s’attendait à une autre attaque d’écorcheurs orks. Ils nous expliquèrent que, comme le bestiau s’était remis de ses blessures plus vite que prévu, ils avaient décidé de lever le camp sans nous attendre. Ils avaient été attaqués deux jours plus tôt par un groupe d’orks qui escomptaient bien mettre la main sur le pachyderme. Grâce à l’aide de Calim et du mastrylith, ils étaient parvenus à les repousser.

 Jeb et So'Tek s'occupèrent des blessés avec leur efficacité coutumière et, dès le lendemain, tout le groupe repartit vers le Bac de Drelyn. Sans attaque cette fois.

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