Chapitre 29 :Cadavéreux et mineurs nains

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 Quelques jours plus tard, notre fine équipe fut de retour au Bac de Drelyn. Les miliciens étaient heureux de revoir leurs foyers car l’aventure avait été suffisamment mouvementée pour eux.

 De notre côté, nous estimâmes que la zone était désormais sûre et, en accord avec le maître des animaux, nous lui confiâmes le soin de ramener le mastrylith à Brindol avec l'escorte des miliciens. Pour nous, il était temps d'entreprendre enfin l'exploration des alentours de Fort Vräss. En espérant que le temps soit clément, bien évidemment.

 Nous décidâmes de commencer par la zone située entre le fort et le village du Bac de Drelyn. Comme cela allait certainement être le secteur de nos déplacements principaux, du moins dans un premier temps, il convenait de le cartographie et d’en connaître les éventuels habitants et les menaces potentielles.

 La première journée se déroula tranquillement, sans rien de plus dangereux que quelques animaux sauvages qui gardèrent leurs distances. La nuit, l'alerte fut donnée par So'Tek qui montait la garde : une espèce de mousse rampait en direction des dormeurs. Comme nous doutions fortement que ce soit pour nous bercer, nous décidâmes de brûler cette cochonnerie. Ce genre de créature faisait partie des mutations dues au cataclysme du Châtiment et aucune n’était bénéfique. Il n’y eut pas d'autre alerte pour cette nuit.

 Le jour suivant, nous eûmes la surprise de rencontrer un obsidien solitaire. Vu la mousse (naturelle celle-là) qui poussait sur son dos et les bestioles qui se promenaient sur son corps, il y avait un moment qu'il n'avait pas bougé.

 Il ne bougea guère plus à notre approche. Tout juste se redressa-t-il légèrement pour mieux nous examiner avec une curiosité distante.

« Bien le bonjour cher voisin ! déclara Jeb en introduction.

- Ummmm, répondit dans un premier temps le colosse, comme s’il cherchait à retrouver l’usage de la parole. Jeee… sssuis.… Naaaareeeen.

- Enchanté Naren, poursuivit notre t’skrang diplomate, je suis Jeb.

- Jeeeeeeb. C’eeest bien… comme nom… c’eeest couuurt !

 Difficile de savoir si c’était un simple constat ou un trait d’humour obsidien. En tout cas, son débit de parole était aussi lent que lui.

- Vooooous êtes… des voisins ? reprit-il.

- Oui, nous avons repris le fort en ruines situé un peu plus au sud, expliqua l’élémentaliste.

- Ooooui, je voooois. Les haaaaabitants… n’ont pas touuuuujours… été respectueux… mais maintenant… çaaaa va mieux.

- Hum, certainement, dis-je. Dites-nous Naren, quelle est votre activité ?

 Il me regarda d’un regard sans âge ou se mêlait une certaine curiosité. Je crus y voir également un soupçon de réprobation.

- Heu… désolé, je ne me suis pas présenté. Je suis Valérian, adepte éclaireur, repris-je avec un léger embarras.

- Vaaa-lé-riaaan… hmmm… c’est long… je préfère Jeeeeb.

 Je levai les yeux aux ciels de consternation sous l’œil amusé des autres. Naren reprit la parole.

- Jeeeee suis un… prooootecteur et un… purifiiiicateur de la natuuuure. Et là… je puuuuurifie.

- Depuis longtemps ? ne puis-je m’empêcher de demander.

- Longtemps… pour vooooous… , pas loooongtemps … pour moi.

 Ça c’était de la réponse. Ce type était un vrai test de sang-froid pour ses interlocuteurs.

- Les dooooonneurs… de-noms… ne se comportent… pas bien. Ils pensent… queeee tout est… ààààà eux.

- Aheu ?!

- Ààààà eux… Qu’ils peuvent prendre… ce qui leur plaît… et détruire… ce qui neeee leur… plaît pas.

- Écoutez Naren, repris-je pour éviter une nouvelle tirade soporifique. Nous sommes assez sensibles à votre discours et nous vous invitons à Fort Vräss.

- Voooous m’invitez ? Cheeeez vous ?

- Oui ! Ce sont des choses qui se font entre voisins. Du moins chez nous. Une fois sur place, vous pourrez nous indiquer les lieux que vous souhaitez voir préservés dans les environs et nous essaierons de ne pas y toucher. Cela vous convient ?

- Oooooui. Je viendrai… quand j’aurai…. terminé ma rêveeerie.

 Comme nous n'avions visiblement pas les mêmes références temporelles, ce n’était certainement pas demain que nous le verrions chez nous, ni même cette année sans doute. Peut-être viendra-t-il de mon vivant… ou pas.

- Aucun souci. Vous venez quand vous voulez », conclut Jeb.


*  *


 Après cette étonnante rencontre et une petite journée de voyage supplémentaire, nous arrivâmes en vue de Fort Vräss. Nous décidâmes de nous y installer et d'y établir dès à présent notre base d'opération pour explorer la contrée.

 Tout à nos grands projets, nous ne prîmes pas garde aux formes couchées ici et là dans la cour (nous avions pourtant fait le ménage la dernière fois). Une fois que nous fûmes bien engagés dans la cour, elles se dressèrent vivement et nous nous retrouvâmes encerclés par une dizaine de cadavéreux avant d'avoir compris ce qui se passait.

 D’un commun accord, nous décidâmes de nous replier vers une des tours de l'entrée pour pouvoir les contenir. Thregaz balança un formidable coup de hache qui renvoya au sol celui qui eut la mauvaise idée de nous barrer le chemin et couvrit le repli des deux t'skrangs. So'Tek reçu une blessure au passage mais parvint à pénétrer dans la tour où il commença immédiatement à tracer des cercles de vie. Jeb, à son habitude, monta à l'étage supérieur d'où il entreprit d'arroser les cadavéreux de sorts offensifs.

 Pour Gothzul et moi, ce fut plus compliqué. En protégeant le repli des lanceurs de sorts, nous avions tardé à nous retirer et nous étions désormais cernés et isolés des autres. Le guerrier ork recevait le gros des attaques et se fit blesser à plusieurs reprises, mais sans réelle gravité grâce à ses protections. De mon côté, je parvenais à éviter les assauts les créatures mais sans parvenir à m'extraire de la mêlée. Vu le nombre de cadavéreux qui grouillaient autour de nous, nous étions condamnés à la défensive et ce n'était certainement pas eux qui allaient fatiguer les premiers.

 L'entrée de la tour fût bientôt protégée par le cercle de vie de notre nécromancien. Thregaz, fidèle à son naturel téméraire, fonça alors à l'étage supérieur et effectua un saut offensif dans la mêlée des cadavéreux. Pas influençables pour un sou, les créatures ne furent aucunement impressionnées par la performance athlétique de Monsieur ; trois d’entre elles se tournèrent vers lui et commencèrent à faire pleuvoir une grêle de coups. Mal préparé à cette réception musclée qui venait de tous côtés, l'écumeur du ciel plia sous les assauts et s'effondra bientôt.

 Toutefois, l'arrivée inopinée du troll au sein de la mêlée avait permis de réduire la pression du surnombre sur Gothzul et moi. Grâce au soutien magique des t'skrangs, nous parvînmes enfin à les éliminer les uns après les autres. Quelques instants plus tard, le dernier cadavéreux tomba dans la poussière une ultime fois.

 Pendant que nos lanceurs de sorts, encore une fois déterminants dans ce combat, s'occupaient de Thregaz, Gothzul et moi entreprîmes d’ériger un tas avec les cadavéreux pour en faire rapidement un feu de joie et en être débarrassés une bonne fois pour toutes.

 À ma grande satisfaction, j'avais été moins ridicule que d'habitude dans ce combat. Sans être très efficace en attaque, j'avais fait l'essentiel : gagner du temps et éviter les coups pendant que nos lanceurs de sorts faisaient le ménage progressivement. Et si j'étais tombé, la situation serait devenue intenable pour Gothzul. Ma confiance en ce groupe ne cessait de croître au fil des rencontres hostiles et des différents monstres affrontés. J’avais l’impression que nous étions capables de survivre à pas mal de choses grâce à la résistance et la force de nos combattants, et à l’arsenal magique de nos deux t’skrangs.


 Une fois Thregaz revenu à lui et soigné, nous nous installâmes dans le bâtiment principal pour y passer la nuit et discuter des événements de la journée.

 Cette attaque de cadavéreux ressemblait furieusement à une embuscade. Mais de qui ? Et pourquoi ? Jeb et So'Tek avaient détecté des traces résiduelles de nécromancie dans l'enceinte du fort mais sans pouvoir être plus précis. Fort Vräss avait beau nous appartenir, il n'en était pas un lieu sûr pour autant. Visiblement, quelqu'un savait que nous reviendrions ici. Et ce quelqu'un ne nous aimait pas.

 Compte tenu de mon rôle, je fis mes plus plates excuses au groupe. Une embuscade aussi primaire n'aurait pas dû marcher avec un éclaireur digne de ce nom. Mais mes compagnons, compréhensifs, ne m'en voulaient aucunement puisqu’ils s’étaient fait aussi surprendre que moi ; et tout s’était bien terminé.

 Il fallut quatre jours de relâche avant que la compagnie ne soit en état de reprendre la route. Pour une fois, c'était Monsieur qui avait nécessité un repos et des soins intensifs. Son intervention téméraire avait débloqué la situation de manière déterminante, mais il s'en fallut de peu que ce soit au prix de sa vie.

 Nous avons décidé ensuite d'explorer ensuite la zone sud-est de notre territoire, histoire de voir si quelque chose avait bougé depuis notre dernier passage.


*  *


 Une journée de marche plus tard, nous arrivâmes en vue du ravin où nous avions brûlé le pont qui enjambe le précipice, à la barbe de la horde orke. Celle-ci avait dû faire un détour qui lui fit perdre plusieurs jours et des dizaines de guerriers à cause des embuscades des trolls.

 Jeb décida de reprendre sa forme de faucon pour avoir une meilleure vue des environs et détecter les mouvements. Nous entreprîmes d’examiner et de longer un peu la crevasse, veillés par Jeb sous sa forme de faucon. Soudain, un oiseau-nuage fondit sur le malheureux volatile. Jeb déploya des trésors d'acrobaties pour éviter l'attaque du prédateur et se réfugia dans un bosquet. À voir les marques qu'il portait aux pattes, l'oiseau-nuage était certainement celui que nous avions libéré lors de notre premier passage à Fort Vräss. Sale bête ingrate !

 Jeb, tout essoufflé, revint vers nous. Il n'avait plus guère envie de se transformer et il décida finalement de marcher un moment avec nous. C'est à ce moment que je remarquai des silhouettes de l'autre côté du ravin, au niveau de la piste. Apparemment, un groupe de nains, avec des mules et deux chariots, faisaient face au pont détruit. J'étais trop loin pour les voir, mais j'imaginai sans peine leur consternation. J'attirai l'attention des autres et nous commençâmes à descendre vers les nains. Ces derniers nous aperçurent et se tinrent sur leurs gardent, tout en continuant de surveiller leurs arrières.

 Grâce au treillage magique de Jeb, nous parvînmes à franchir le ravin. Les nains étaient sur la défensive mais c'est plus de la curiosité que de l'hostilité qui se lisait dans leurs regards.

« Bonjour amis nains ! lançai-je. Pouvons-nous connaître le motif de votre présence ici ?

- Humpf ! Amis, ça reste à voir ! déclara celui qui devait être le chef. Et ce qu'on fait ici ne regarde que nous !

- Sauf que ici c'est chez nous ! déclara Thregaz en avançant d'un pas et en faisant son plus beau sourire carnassier.

- Comment ça, chez vous ?! C'est une route libre ! Vous mentez !

- Et cette route restera libre, sauf pour ceux qui représentent une menace ou qui sont malpolis, ajouta Jeb sur un ton conciliant et en agrippant le bras du troll qui avait modérément apprécié l'insulte. Auriez-vous besoin d'aide ? Vous avez des blessés me semble-t-il.

- Humpf ! En fait, ça se pourrait bien. Sans pont pour traverser, on va avoir de gros soucis avec la bande d'écorcheurs orks qui nous a déjà attaqués. Et ils ont dit qu'ils allaient revenir.

 Je consultai rapidement du regard mes compagnons. Tout le monde semblait d'accord.

- Bon, nous allons vous aider car des écorcheurs sur nos routes, ce n'est jamais bon pour le commerce, argumentai-je.

- Ça c'est sûr ! renchérit le nain. Mais les ponts détruits non plus !

- Heu… certes, mais chaque chose en son temps. Vous pourriez nous en dire un peu plus maintenant ?

- Humpf ! Je m'appelle Terlesk, je suis marchand. Je dirige la compagnie de la Poignée de Main. Mes gars et moi (il désigna les cinq gardes et le petit groupe de mineurs qui l'accompagnaient) on est là pour rechercher une mine.

- Une mine de quoi ? s’enquit So'Tek.

- Ça, c'est pas vos oignons !

- Bon, soupirai-je, on va déjà se débarrasser des orks et on verra plus tard pour le reste. »

 Nous évacuâmes les blessés graves de l'autre côté et nous allâmes inspecter les défenses naines. Après examen, nos deux guerriers firent quelques modifications et conseillèrent Teresk pour renforcer son dispositif. Une fois tout cela en place, nous nous dissimulâmes derrière les chariots afin que d'éventuels écorcheurs ne détectent pas notre présence trop tôt.


*  *


 Alors que la nuit était tombée depuis à peine une heure, les orks lancèrent l'attaque, sans aucun signe avant-coureur. Enfin, ce fut plutôt une charge dévastatrice qui traversa nos lignes de défense, pendant que quelques arbalétriers orks couvraient leurs arrières et neutralisaient les défenseurs isolés.

 Si mes compagnons tenaient bon, les nains, en revanche, mordaient la poussière les uns après les autres. Il fallait faire une diversion et occuper ces fichus arbalétriers. Je fis alors une chose parfaitement stupide : je décidai de les charger pour les obliger à concentrer leurs tirs sur moi et donner un répit aux autres combattants. Rétrospectivement, je ne sais pas trop pourquoi j'ai fait cela mais sur le moment cela m'a semblé plutôt futé. Sans doute pensai-je que les orks étaient mauvais tireurs ou qu'ils seraient si étonnés par ce mouvement qu'ils en oublieraient de tirer.

 Bref, c'était idiot et je constatai bien vite que les orks tiraient très bien et récoltai un méchant carreau en plein ventre comme récompense de ma témérité. Comprenant que je n'arriverais pas au contact ainsi et qu'un second projectile pourrait m'être fatal, je m'écroulai et fis le mort. Je fais cela très bien ; je commençai à avoir beaucoup d'expérience à ce niveau et les orks n'y virent que du feu.

 Quelque secondes plus tard, j'entendis des chevaux d’orks approcher lentement et je ne bougeai pas d'un cheveu. Une fois que les orks me dépassèrent, je me relevai rapidement et me précipitai vers le plus proche. D'un coup ajusté de mon épée courte, je coupai la sangle de la selle et attendis qu'il bascule pour me jeter sur lui. Mais, non content d'être de bons arbalétriers, ces fichus écorcheurs étaient aussi des cavaliers émérites. L'ork resta en selle et il avait bien d'autres problèmes que mes pittoyables tentatives car Thregaz accourait vers lui. Toutefois, si le cavalier ork ignorait ma présence, il n'en allait pas de même de sa monture qui rua dans ma direction. J'évitai de justesse les sabots meurtriers et cette attaque déséquilibra enfin le cavalier qui bascula sur le côté et chuta lourdement. Il n'eut même pas le temps de se relever que le troll fut sur lui et l'acheva d’une terrible frappe.

 Le reste de notre groupe s'en était plutôt bien sorti et seuls deux orks parvinrent à fuir. Il y avait deux morts et pas mal de blessés chez les nains mais la victoire était nôtre. Une fois de plus, la solidité et la complémentarité de notre groupe avait permis de briser l’offensive ennemie.

 Je n'étais pas très fier de moi, cette fois. Non seulement, ma diversion avait été stupide, mais en plus elle n'avait servi à rien. J'aurai dû me contenter de rester à l'arrière et de tirer à l'arbalète. J’avais eu de la chance et j’aurais pu récolter bien pire qu’un carreau. Dès qu’il eut un instant, So’tek vint m’aidait à l’extraire et pansa ma blessure tout en m’interrogeant avec une réelle curiosité sur ma manœuvre. J’éludai par des réponses évasives marmonnées.


*  *


 Le lendemain matin, grâce aux treillages magiques de Jeb, le groupe parvient à faire traverser le ravin à l’ensemble du convoi nain. Cela nous prit une bonne demi-journée car il fallut démonter les chariots et les remonter de l'autre côté, mais cela n'effraya pas les mineurs nains survivants.

 Le plus pénible fut sans aucun doute la traversée des mules qui mirent une évidente mauvaise volonté pour passer sur le treillage, malgré les planches posées sous leurs pas. Mais nous parvînmes à rejoindre Fort Vräss où les blessés purent se reposer tranquillement, moi y compris.

 Sur la route, Terlesk nous informa qu'il avait prévu d'aller à Brindol pour recruter quelques adeptes afin de l'aider à trouver sa mine.


 Trois jours plus tard, une fois que son groupe fut en état de repartir, ils quittèrent le fort en direction du Bac de Drelyn. Pour ma part, je soupçonnais que cette mine était celle où nous avions été accueillis par des mineurs nains quelques jours avant notre première arrivée au Bac.

 Cela tombait bien car notre prochaine exploration allait dans cette direction.

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