14. Najima

7 minutes de lecture

Des ombres se dessinaient sur le haut d’une dune, marqué par les pas des dromadaires en ligne sur sa crête. Les cavaliers étaient voilés, afin de se protéger du vent sec et de la chaleur étouffante que leur procurait le désert. Le félin de l’étranger s’était caché dans la djellaba du jeune homme, n’appréciant pas la sensation du sable dans ses poils.

Le regard d’Onyx était porté sur l’encolure de sa monture, qui se mouvait au rythme de ses pas, se perdant dans ses pensées. Il essayait de savoir combien de jours allait-il voyager pour atteindre Thalios, comment entrer dans la cité et atteindre le cœur sans être attrapé. Il se rendit compte petit à petit dans quel périple il s’était lancé, et regrettait doucement ses choix si peu réfléchis.

— Tout va bien ?

Il sortit de son état second, tournant la tête à sa droite. Il regarda Unakite qui s’était avancé à ses côtés, ayant sans doute remarqué son absence à ses appels.

— Est-ce que tu vas bien ?

— Oui, j’étais perdu dans mes pensées… Qu’y a-t-il ?

— Sais-tu te battre ?

Une pointe de curiosité était perceptible dans sa voix.

— Pas vraiment… Mais j’apprends vite !

Cette réaction eut le don de faire rire les seuls hommes de la caravane ainsi que quelques femmes proches d’eux. Mais il remarqua que l’un d’eux restait inconnu pour lui. Il l’avait bien remarqué à leur départ de Rakugaki, mais il n’était jamais venu lui parler, ou même se présenter à lui.

— Dis-moi Unakite, qui est l’homme là-bas

Il pointa le cavalier en question, à quelques dromadaires d’eux, placé plus en avant de la cargaison.

— C’est le troisième gardien du Wahah, c’est un peu comme notre ombre.

Il fit en sorte de se faire attendre du concerné, sans réaction de sa part.

— Il n’était pas présent aux festivités la nuit dernière ?

— Il est resté sur les hauteurs. C’est un peu un solitaire, lui expliqua Topaze, dans leurs dos.

— Alors que fait-il dans la caravane ?

— Y a-t-il une raison valable pour voyager ?

Le sourire espiègle sur le visage d’Unakite faisait comprendre à l’étranger que chacun d’entre eux était là de son plein gré, pour des raisons différentes, et privées, comme pour lui. Il comprit pourquoi il était perçu comme un étranger depuis son départ, bien qu’il fût un habitant du désert comme eux.

Une silhouette plus petite que les dromadaires attira son attention, elle qui se faufilait entre leurs pas, courant un court instant, avant de trottiner, s’arrêter et repartir. Une silhouette aussi sombre que la nuit, semblable à un chien, mais beaucoup plus imposante.

— C’est… Un Arise ?

— Exact.

Un Arise ; un chien du monde d’Angorra qui semblait avoir disparu lorsque les déesses eurent péri. Sa silhouette était caractéristique de celle d’un grand canidé, un croisement entre un chien berger et un tesem du désert, sa carrure faisait penser à celle d’un loup. Ses oreilles pointues étaient dressées vers le ciel, et ses yeux sanguins en effrayaient souvent plus d’un. Ils étaient connus pour leurs instincts de chasseur hors du commun, et leurs incroyables loyautés.

— C’est incroyable, je les pensais disparus…

— D’aussi loin que je puisse me souvenir, il a toujours été accompagné de ce chien, songea Unakite avant de reprendre sa place dans la ligne.

Il porta son regard vers l’avant de la caravane, remarquant alors l’arrêt du meneur. Ils étaient positionnés en bas d’une dune, une zone plate et calme, à l’abri du vent, mais qui ne permettait pas de voir si quelque chose arrivait en haut des dunes.

— Nous nous arrêtons pour la nuit, s’écria Badho afin d’être entendu de tous.

— Ici ? Ce n’est pas trop dangereux ? chuchota Onyx en direction de Tilidad.

— Nos trois gardiens camperont sur les crêtes, nous, nous resterons ici. Les femmes sont protégées en bas par les dunes et les hommes restent sur les crêtes afin de garder un visuel sur d’éventuel danger.

Les montures s’arrêtaient les unes proches des autres, se couchant afin de laisser leurs cavaliers mettre pied à terre. Onyx fut une nouvelle fois surpris lorsque son dromadaire se coucha en laissant le haut de son corps céder sous ses pattes avant. Lui qui ne s’y attendait pas, il perdit rapidement l’équilibre, tombant de sa selle en passant au-dessus de l’encolure de l’animal.

Sarshall réussit à s’échapper avant la chute, retombant sur ses pattes, ce qui ne fut pas le cas de son compagnon de route. Ce dernier était couché sur le dos dans le sable, sous les rires des voyageurs qui avaient dégusté ce spectacle avec amusement. Il se redressa de façon à être assis, retirant son chèche pour secouer la tête, essayant de retirer le plus de grain de sable qui s’était glissé dans ses cheveux.

Une main se tendit vers lui, il releva la tête vers le jeune homme qui lui était encore inconnu. Ainsi, il put correctement le détailler, grâce à son chèche retiré. Ils semblaient être dans la même tranche d’âge. Sa peau était cuivrée, plus que celle d’Onyx. Ses cheveux étaient courts et bruns, le plus fascinant restait ses yeux émeraude, une couleur rare dans le désert.

Il vint prendre sa main, et fut tiré vers l’avant pour se relever. Une fois debout, un détail le choqua rapidement. C’est leurs différences de taille, car cet homme était bien plus grand que lui, le dépassant facilement d’une tête. Soudainement intimidé par sa taille et son regard perçant, il recula d’un pas, mais l’inconnu se détourna de lui, partant aider Badho à monter le bivouac.

— Viens nous aider ! s’exclama Tilidad.

Il s’exécuta rapidement, leur prêtant un coup de main à monter les grandes tentes sur pieds. Ils cessèrent leurs activités à la nuit tombée, les deux grands chapiteaux étaient correctement dressés, un feu était allumé et chacun se retrouvait autour de ce dernier afin de profiter de sa chaleur réconfortante.

Onyx s’était mis à l’écart volontairement, ne souhaitant pas les gêner plus durant ce voyage. Il était assis à terre, adossé à un amas de sacs. Il regardait les membres du Wahah discuter joyeusement autour des grandes flammes qui s’élevaient vers le ciel étoilé. Sarshall avait élu domicile sur ses cuisses, s’étendant de tout son long sur les jambes du garçon, qui en profita pour caresser son doux pelage.

Son regard se porta vers le ciel nocturne, regardant avec attention les nombreuses étoiles présentes, et se perdit dans ses pensées. La première pensée qui lui traversa l’esprit concerna sa grand-mère, qui lui avait interdit de se lancer dans cette quête. Avait-il eu tort de ne pas l’écouter, d’avoir foncé tête baissée dans l’inconnu en pensant qu’il ferait le poids.

— Tiens.

Il papillonna des paupières un rapide instant, regardant le bol qui lui était tendu. Ses yeux remontèrent le long de ce bras, jusqu’à atteindre le visage fermé du jeune homme aux yeux verdâtres. Ils ne disaient rien, se contentant de ce regardé. Onyx finit par prendre en main le bol qui lui était donné, et le jeune homme retourna directement auprès du feu. Leurs réactions firent ricaner quelques femmes, qui ne pouvaient s’empêcher de charrier le troisième protecteur avant de tourner leurs attentions vers l’étranger.

— Viens auprès du feu Onyx.

Kiera lui faisait signe de s’asseoir à ses côtés.

— Je ne veux pas vous déranger plus…

Mais il fut vite contraint à obéir face aux demandes des femmes de la caravane. Soupirant, il se leva donc pour s’asseoir aux côtés de Kiera et Corail, sous les rires du reste de la caravane. Il n’était pas très à l’aise, mais ne pouvait rien dire. Le regard que lui portait Badho avec insistance l’inquiétait.

— Tu ne sais pas te battre, donc.

La voix grave du meneur eut le don de faire sursauter le concerné, qui baissa immédiatement le regard sur ses mains, se triturant les doigts.

— Nous commencerons l’entrainement demain avant le départ.

L’assurance d’Unakite le rassura, malgré le morceau de viande séchée qu’il mâchait sans ménagement.

— Il le faut, s’il veut pouvoir traverser Thalios en un seul morceau.

Onyx ouvrit grand les yeux, étonné d’entendre pour la première fois la voix de ce jeune homme encore inconnu. Il était d’autant plus étonné de constater un timbre de voix grave, lui qui l’imaginait plus aigüe.

— Je suis persuadé qu’il parviendra à rejoindre la cité sans difficulté.

Le sourire de Badho rassura le jeune homme, tandis que le meneur remua quelques braises.

— Pourquoi souhaites-tu aller à Thalios d’ailleurs ?

La soudaine question de Howlite jeta un blanc sur la conversation. Le jeune voyageur garda les lèvres fermées, ne sachant pas s’il pouvait divulguer sa quête aux membres de la caravane, ou seulement à son meneur. Il se retrouva quelque peu piégé, et ne savait pas comment se sortir de là, le regard de Badho semblait lui intimer le silence.

— Nous voyageons tous pour différente raison, nous n’avons pas besoin de le savoir.

Le dernier gardien se leva, quittant le cercle de la caravane pour rejoindre le haut d’une dune. Bien que son intervention ait été utile, ses paroles avaient blessé le voyageur. En réalité, c’était le ton employé qui était le plus blessant. Un ton froid et désintéressé, comme son attitude. Il baissa la tête en soupirant, prenant le morceau de viande fumée présent dans son bol avant de la mâcher, relever la tête vers les étoiles. Itildin le regarda calmement, intrigué par son comportement.

— Que regardes-tu ainsi ?

— Les najima.

— Les quoi ?

— Les étoiles. Na-ji-ma.

La jeune femme la regarda sans savoir quoi lui répondre face à son incompréhension, il comprit alors une part du pourquoi il était appelé étranger.

— Bien que tu viennes du désert, Tenerice est une ville située à l’extrémité Est de Rui Wang, expliqua Topaze en buvant une gorgée du breuvage présent dans son bol. Nous avons donc des expressions différentes, même si nous parlons la même langue.

— Donc je suis un étranger, même si je viens du désert…

— Exact. Mais nous réussissons à nous comprendre, c’est le principal.

Il leva son bol en la direction du jeune homme. Cette remarque rassura l’étranger qui leva à son tour son bol, remerciant silencieusement Topaze pour son intervention. La soirée se poursuivit calmement, les voyageurs entraient dans les tentes en silence, laissant la nuit les guider jusqu’au pays des songes, tandis que les gardiens surveillaient les alentours pour la protection de chacun.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Arawn Rackham ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0